La pensée libertarienne (2) : Introduction à la critique, distinctions, et petit historique
Nous donnons là l'introduction à la critique, qui découle de notre premier texte, non la critique elle-même. Comme expliqué, nous éditerons trois parties à la critique, donc trois articles différents (travail, société, individu). Pour l'illustration, je tiens à préciser que le dessin des canards est un calque réalisé à partir d'un travail du meilleur auteur des aventures de Picsou : Keno Don Rosa, dont nous recommandons vivement la lecture
Le problème
Le but général de notre série d’articles, comme celui de notre essai, est, on l’aura compris, de produire une critique de la pensée libertarienne. D’emblée, on peut se demander l’intérêt d’une telle démarche, dans la mesure où celle-ci apparaît pourtant marginale. Au dehors du parti américain, dont le plus haut score électoral est de 3,28 %, et qui a su un peu se médiatiser, les défenseurs du libertarianisme sont presque invisibles, et suscitent encore beaucoup de moqueries. Parallèlement, il existe déjà des critiques assez rigoureuses de cette pensée, et il est légitime de se demander notre apport particulier.
Dans notre premier article, nous avons insisté sur le fait que la pensée libertarienne ne se limitait pas aux partis et à ses représentants. Nous voulions montrer comment, sur les dernières décennies, le moteur des réformes politiques occidentales que l’on dit habituellement libérales, étaient inspirées par le libertarianisme. Nous avons même dit, et nous repréciserons cela par la suite, que ce qui est considéré comme simplement libéral, et non libertarien, s’occupe moins de théorie que de pratique, et que, au bout du compte, ces deux mots désignent, plutôt que deux idéologies différentes, deux rôles différents dans une même idéologie.
Ce schéma est, sans aucun doute, radical, et il ne correspond pas strictement à la réalité, bien sûr. Cependant, il s’annonce valable d’un point de vue général. Les faits sont là. La révolution conservatrice initiée dans les années quatre-vingt, qui marque la rupture avec les politiques keynésiennes, et qui, jusqu’à nos jours, n’en finit plus de s’imposer, est clairement et officiellement inspirée par des libertariens. Les écrits libéraux, qui ne se revendiquent pas libertariens, comme ceux de M. Jean Tirole, qui a obtenu, il y a quelques années le prix d’économie "en mémoire d’Alfred Nobel", ne font pas de philosophie, et se contentent de reprendre les définitions proposées par les écrits libertariens que Mises, Hayek, Friedman, et Rothbard se sont efforcés de développer et de démontrer. Les textes libéraux ne sont généralement que des variations de remarques économiques et politiques sur motifs philosophiques imposés. Plus généralement, l’étude de l’Histoire, et nous y consacrons deux chapitres de notre essai, montre que ce qui constitue les éléments les plus spécifiques de la pensée libertarienne sont présents dès les premiers temps du libéralisme, au début du dix-septième siècle, sur le territoire nord-américain.
Si les critiques sérieuses de la pensée libertarienne précisent toujours ces faits historiques, et n’hésitent pas à montrer que nombre des querelles entre libéraux et libertariens ne sont que des soucis de détail, aucune n’ose, pour autant, réduire le libéralisme de gouvernement au rôle de simple exécutant d’une pensée franchement libertarienne. Cependant si la séparation entre les pensées libérales et libertariennes n’est principalement qu’une illusion, nous ne pouvons plus produire une critique sur les seules spécificités libertariennes, et nous devons prendre en compte comment ces spécificités se répercutent dans ce qui n’apparaît que libéral. Plus encore, dans la mesure où les pays occidentaux sont principalement gouvernés par des pensées libérales, il nous faut mettre en lumière comment les idées libertariennes font même parfois figure de doxa, de dogmes dans l’opinion publique.
Vouloir séparer trop poliment le libéral et le libertarien est en fait d’une précaution excessive, et fait obstacle à la lucidité que nous devons garder sur la continuité qui existe de l’un à l’autre. Notre critique, au contraire, veut montrer que leurs désaccords, bien que sincères au demeurant, ne remettent jamais en cause l’essentiel. Plutôt que de partir, comme c’est souvent le cas, de l’idée qu’ils ont une souche commune, pour montrer comment ils se distinguent finalement, nous voulons poser en amont les différences que l’on admet généralement entre eux, pour montrer, au fur et à mesure, leurs moindres importances.
Dès lors, exposons ces différences sans plus attendre.
Libéral vs libertarien
On admet généralement qu’il existe surtout un point irréductible de divergence, et on y ajoute un second, d’importance également, mais moindre que le premier.
Ce qui distingue libéraux et libertariens avant tout, c’est, bien sûr, la question de l’État. Au vu des spécificités de vocabulaire de chacun des auteurs, il est assez difficile de l’exprimer globalement sans s’exposer à des objections de la part des partisans de l’un ou de l’autre de ces auteurs, mais nous le ferons néanmoins et avec le plus de précaution possible.
Pour la saisir dans sa complexité, il faut comprendre que la querelle prend sa source dans la conception du droit. Libéraux et libertariens sont des défenseurs de la théorie du droit naturel, c’est-à-dire qu’ils considèrent que le droit est une extension des lois de la nature, par opposition au droit positif, qui envisage que toutes les règles humaines sont des normes construites, conventionnelles. Simplement, les libéraux pensent que le droit naturel ne saurait être respecté sans la garantie que seul un État peut donner, et donc estiment nécessaire de construire, sur une échelle globale, une normativité semblable à celle conçue par le droit positif. Au contraire, un libertarien ne croit pas qu’une association d’individus puissent prétendre à agir en fonction du bien commun, et conçoit donc l’État comme une entreprise privée qui confisque les droits naturels pour les redistribuer arbitrairement. Si les minarchistes admettent la nécessité d’un État, ils le considèrent tout de même comme un mal nécessaire, tandis que les libéraux ont su conserver un certain respect, et une certaine confiance en l’État.
Indéniablement, il existe là une différence non négligeable, et si nous pouvons émettre des objections quant à savoir s’il s’agit là d’une différence essentielle, nous les réservons plutôt pour nos développements. Pour ce qui est de notre introduction, nous nous bornons à signaler qu’il s’agit d’une divergence théorique, et que c’est la raison pour laquelle nous ne pouvons la négliger. S’il ne s’agissait simplement que du rôle attribué à l’État, nous ne pourrions que constater la continuité du libertarianisme et du libéralisme : certains minarchistes sont parfois plus étatistes que des libéraux un peu radicaux. Ce qui nous importe ici, c’est bien plus la divergence quant à la conception du droit.
Le second point de différence notable, mais un peu moins important concerne la liberté des mœurs. La chose est complexe. Tout d’abord, les libertariens remarquent, à juste titre que l’expression "liberté maximale des mœurs", sans préciser l’existence du principe de non-agression et de son extension à la propriété, peut donner une vision inadéquate de l’idée libertarienne. Il ne s’agit pas de laisser le chaos s’installer librement, mais de laisser les gens faire ce qu’ils veulent chez eux. Cette liberté n’empêche pas la police, et l’institution de la justice. On pense simplement que la motivation du bien commun, dont se réclame l’État, est moins efficace que celle de l’argent, dont se réclameraient les institutions privées de police et de justice. Dans cette mesure, il est vrai que la liberté des mœurs trouve davantage de défenseurs.
Au-delà de cela, ces contradicteurs sont encore nombreux sur les bancs libéraux. Nous l’avons dit, l’électorat capitaliste est traditionnellement attaché aux mœurs de la bonne famille, et si les révoltes sociales des trente glorieuses ont su les secouer quelque peu, il sait également que les mœurs et les révoltes sont justement très liées, et que ce qui commence par une consommation récréative d’alcool peut finir en émeute. Parallèlement, il sait que cette libération s’accompagne toujours de l’ouverture de secteurs de consommation, de nouveaux marchés, et donc qu’elle est particulièrement bénéfique pour les affaires. Les libéraux n’y sont donc pas opposés, et pensent même, bien souvent, que c’est le sens de l’Histoire, mais veulent en revanche, que la libération se fasse progressivement.
De ceci, nous voyons assez clairement la différence entre libéraux et libertariens. Les libertariens prônent une ouverture immédiate de la liberté des mœurs, tandis que les libéraux optent pour une libération progressive, et veulent justement un État pour organiser cela intelligemment, et sans débordements. Leur finalité est donc commune, mais dans la mesure où, dans le réel actuel, dans la société contemporaine, la méthode dominante est celle des libéraux, et suscite une vraie opposition libertarienne, nous ne pouvons négliger cette différence.
Au dehors de ces divergences importantes sur l’État et la libération des mœurs, les querelles entre libéraux et libertariens ne remettent rien de philosophique en question. Il existe beaucoup de diversités théoriques sur les questions d’ordre économique, notamment à propos des politiques monétaristes. Mais elles ne sont pas les résultantes de divergences philosophiques, simplement des différences de priorité dans les principes à faire appliquer.
La méthode
Au vu de ces remarques, notre critique ne peut plus se limiter à l’examen de la doctrine libertarienne, mais doit s’élargir à ce qui dans la société s’y rattache par l’intermédiaire des politiques libérales. Voilà la particularité, sinon l’originalité de notre travail. S’il existe une continuité entre les principes libertariens et les structures libérales mises en œuvre par les gouvernants, la négliger nous expose à une certaine stérilité, voire à l’erreur d’interprétation. Ainsi, la mise en lumière de cette continuité va permettre de lever le voile sur la logique théorique des réformes actuelles qui se prétendent purement pragmatiques, mais qui se fondent en réalité sur des définitions très précises de ce que sont l’homme, la vie, le monde, le bonheur, la morale, et toutes les notions dont s’occupe habituellement la philosophie.
D’ordinaire, on accorde aux libertariens le fait qu’ils n’aient jamais pu mettre en œuvre leurs réformes, et que l’on ne sait donc pas ce que cela donnerait. Eux-mêmes disent toujours que nous ne sommes pas du tout dans un monde libéral, et que les crises que l’on impute au libéralisme sont en réalité causées par des excès d’État. Autrement dit, ils refusent strictement la continuité que nous voulons mettre en lumière de leur doctrine aux réformes actuellement en marche. Toute notre démarche consiste à prouver le contraire.
Surtout, nous voulons pointer les problèmes de ce système. À cet effet, le lien que nous allons établir entre les différentes structures de la société et leur origine idéologique libertarienne nous permettra de démontrer, dans le réel, ses erreurs et ses contradictions. Ainsi notre problématique générale peut se formuler de la sorte : Qu’est-ce qui dans la société semble aller de soi, mais est pourtant issu d’une idéologie précise, et s’annonce finalement contradictoire, inefficace, ou indéniablement injuste ? Par exemple, il nous faudra prouver que l’entreprise, telle que nous la définissons, telle qu’elle existe aujourd’hui, et dans toute la familiarité que nous avons avec cette notion, n’est finalement qu’une application de principes libertariens peu recevables.
Concrètement, nous avons organisé notre critique selon trois ordres, le travail, la société, et l’individu, eux-mêmes subdivisés selon des thématiques concrètes originaires de la pensée libertarienne, comme l’entreprise, l’innovation, la concurrence, le mérite, le régalien, etc. D’évidence, chaque fois que nous toucherons à des sujets de querelles entre libéraux et libertariens, nous le signalerons et l’expliquerons.
On a coutume d’examiner une philosophie en partant de sa métaphysique la plus abstraite pour s’intéresser par la suite, et au fur et à mesure, à ce qui en découle. Cependant, la pensée libertarienne a ceci de particulier qu’elle est très attachée à ses exigences empiriques. Ses prétentions au pragmatisme, dont le libéralisme se fait le porte drapeau, découlent du fait que ses principes de philosophie première sont – c’est indéniable – très peu métaphysiques, et se constituent surtout d’observations du réel, de la nature. Par conséquent, nous avons préféré, comme pour la définition de notre premier article, partir de la question générale du travail, plus que de celle de l’individu, ou de la société.
Enfin, avant de commencer, nous avons pensé utile d’exposer sommairement une chronologie explicative de l’histoire libérale. Il était possible de l’insérer au fur et à mesure de nos remarques critiques, mais cela aurait alors suscité de longues digressions un peu maladroites, et nous ne voulons pas troubler le lecteur. Il est plus simple, et plus lisible de poser en amont un récit général agrémenté de définitions, auquel nous renverrons le lecteur chaque fois que nous nous y référerons.
Apperçu historique du libéralisme
Le libéralisme est une forme de capitalisme, dont on peut situer la naissance au début du dix-septième siècle, sur le continent nord américain, au tout début de sa colonisation par les anglais.
Le capitalisme avait une existence déjà avant cela. On considère généralement que la logique du stock et du profit est apparu dans le courant de la période néolithique. On sait peu de choses sur ses variations préhistoriques.
Le phénomène que l’on appelle la mondialisation n’est pas non plus spécifique au libéralisme, puisqu’on en trouve déjà des formes dans la période babylonienne, dans la construction impériale chinoise, et surtout avec les Républiques de Venise et de Gênes, et la ligue hanséatique, à la période médiévale. Venise fonde, à la fin du treizième siècle le système de l’Incanto des galées, qui est le père de la société par action, et donc l’ancêtre de la Bourse. La Sérénissime est, sans aucun doute, le paradigme du capitalisme médiéval.
Avant la colonisation anglaise de l’Amérique, les centres capitalistes ont reposé, non sur des dynamiques individuelles, mais sur des organisations collectives oligarchiques, souvent étatiques et centralisés. Mais ce n’était alors pas tant un choix opposé à la notion d’individu – qui n’avait pas encore de sens – qu’une logique issue des conditions de l’époque. Pendant la période médiévale, les hommes se définissent avant tout en fonction du groupe social auquel ils appartiennent. On fait partie d’un clan, d’une noble famille, d’un régiment, d’une paroisse, d’une abbaye, d’une fraternité, d’une guilde d’artisans ou de marchands, d’une coopérative paysanne, d’une compagnie artistique, avant même d’être quelqu’un.
Lorsque les républiques maritimes italiennes émergent, au début du deuxième millénaire, leurs prospérités reposent sur des organisations collectives. À Venise, c’est l’État qui fait tout, à Gênes, la coordination des armateurs. Pour tous, il ne fait aucun doute que sans ces associations, l’accumulation de richesses est impensable. S’il existe des conflits de personnes, des critiques sur les règles ou les organisations, l’idée de réduire l’institution collective n’a alors pas de sens, puisqu’il est la condition première et sans laquelle l’accumulation de richesse est inenvisageable. Nous pouvons même dire que c’est concrètement anachronique de qualifier ce capitalisme de libéral dans la mesure où aucun des pôles capitalistes de la période médiévale ne réunit les éléments et les opinions essentielles de l’idéologie libérale.
De même, nous devons dire que, au Moyen-Âge, le capitalisme ne domine pas tant l’Europe que de nos jours. Les régimes monarchiques ne font pas de l’accumulation de richesses un fondement de leurs organisations. Au vu des succès des républiques maritimes et des jeux de rivalités, elles intègrent peu à peu ce principe, mais la chose ne se fait que très progressivement, et d’autres domaines, comme le religieux, ont, des siècles durant, une importance bien plus grande dans la façon de conduire leurs politiques. Dans ces conditions, le capitalisme n’a progressé que sous la domination stricte de l’État, et n’a donc rien de libéral à l’origine.
Les opinions qui formeront plus tard la doctrine libérale sont d’abord nées de querelles religieuses. La Réforme protestante engage le processus de distanciation des institutions. Les critiques exprimées par Luther, Calvin et Zwingli portent avant tout sur les pratiques religieuses imposées par Rome, mais dans la mesure de l’hégémonie du religieux sur les autres domaines de la vie quotidienne, surtout à cette période, elles se comprennent aussi dans une extension au politique, et puis à l’économie.
Dans son contenu, la Réforme porte principalement sur le rapport de l’individu à Dieu. Alors que le catholique veut racheter ses pêchés, et pour ce faire, suit les indications du clergé, prie les saints, et attend le verdict du curé, intermédiaire incontournable dans sa relation à l’Être suprême, le protestant considère que, quoiqu’il fasse, Dieu a déjà choisi, que donc le clergé ne peut rien y faire, sinon conseiller, que seul le texte biblique revêt un caractère d’absolu, et que le croyant, par conséquent, est seul face à Dieu.
L’Europe est alors, on le sait, le théâtre de guerres entre catholiques et protestants. Où les catholiques sont vainqueurs, le modèle perdure, bien sûr. Mais les pays convertis ne changent pas non plus beaucoup. La rupture avec l’Église ne signifie pas la rupture avec le pouvoir politique. Ainsi les États du Saint-Empire romain germanique reconnaissent-ils la souveraineté de l’Empereur, l’Angleterre ne fait que déplacer les prérogatives du Pape sur la couronne, la République de Genève contient une hiérarchie et une juridiction épiscopale.
L’Amérique du nord, en revanche, est vierge de ces conflits. À partir du dix-septième siècle, le nouveau monde devient ainsi le refuge des protestants qui ne supportent plus les compromis avec le catholicisme, en même temps qu’il attire les entrepreneurs ambitieux. Sous ces auspices, le visage du capitalisme prend alors une tournure inédite, change de structure et de méthodes. Notamment, le travail productif, que les catholiques considèrent avilissant, est revalorisé. Ou encore, l’initiative individuelle, qui fait figure de rébellion dans un régime monarchique, est récompensée. Ainsi émerge le libéralisme.
Les premiers écrivains libéraux, tel Adam Smith à la fin du dix-huitième siècle, comme les auteurs libertariens du vingtième siècle, s’accordent pour dire que le libéralisme est avant tout une pratique, et ils s’inspirent tous principalement de la construction américaine, qu’ils estiment être un paradigme de processus de développement libre et naturel.
Par la suite, nous pouvons diviser l’histoire du libéralisme en quatre temps principaux.
La construction, proprement dite, de cette philosophie, entre pratiques, observations et théorisation, s’étend de l’arrivée des premiers colons, en Virginie et dans le Massachusetts, jusqu’à la fin de la guerre de Sécession. Dans cette période apparaissent toutes les idées fondatrices de ce que l’on appelle alors libéralisme, et dont certaines, comme le rejet de l’État, sont aujourd’hui considérées comme spécifiquement libertariennes. Lysander Spooner qui est considéré comme l’ancêtre des anarcho-capitalistes, notamment pour son texte pamphlétaire Outrage aux chefs d’État, est contemporain d’Abraham Lincoln.
La guerre de Sécession fait figure, en quelque sorte d’apothéose du stade expérimental de la pensée libérale. Tous les conflits internes à cette idéologie y ont été exacerbés et tout particulièrement sur ses thématiques libertariennes. La Sécession n’est rien autre que l’expression du rejet de l’Union, et l’issue du conflit, c’est-à-dire la réunification marque un renforcement de l’État fédéral, donc une distinction de la logique purement libertarienne.
La seconde période du libéralisme s’étend jusqu’à la période Rooseveltienne, et est souvent qualifiée de moment de capitalisme sauvage, ponctué de crises violentes, de dépressions, de révoltes, de répressions sanglantes et de prospérités très éphémères. D’un point de vue politique, il est pourtant indéniable qu’on y observe un renforcement des prérogatives de l’État, et la création d’un certain nombre d’institutions que rejettent aujourd’hui les libertariens. Et parallèlement, nous devons noter que jamais les autorités politiques américaines n’ont été autant corrompues que durant cette période.
En essayant de prendre tout cela en compte, nous pouvons dire que, après une période de balbutiements étatiques, pendant laquelle ce sont surtout les initiatives individuelles qui ont construit le pays, on a davantage misé sur l’utilité de l’État et sur ses avantages inhérents, mais toujours à des fins capitalistes et libérales. Certes, des conflits opposent toujours les partisans d’un État plus fort, et ceux d’une plus grande liberté individuelle, mais puisque, avant Roosevelt, les gouvernements successifs ne proposent pas de politique redistributive, ces querelles ne constituent pas de rupture dans l’histoire libérale.
La troisième période commence justement par le fameux New Deal du président Roosevelt, destiné à résorber, par une politique interventionniste, les effets dévastateurs de la crise de 1929. Aux mêmes moments, John Keynes, qui se dit libéral, publie une série de travaux qui préconise la nécessité pour les États, de réguler en partie les affaires économiques. Son idée la plus connue est sans doute celle de régler les salaires des travailleurs en fonction des prix des produits de consommation. Ces deux figures symbolisent, en tout cas aux États-Unis, le tournant étatique du libéralisme.
Plus généralement, on explique aussi l’émergence du keynésianisme par la montée en puissance du marxisme, des révoltes ouvrières et, bien sûr, par la victoire des bolchéviks en Russie. Face aux critiques, il a s’agit de montrer que le capitalisme ne délaissait pas la classe ouvrière, quitte à ce que l’État intervienne.
C’est également dans cette troisième période, et en réaction à Roosevelt, qu’émerge la doctrine libertarienne proprement dite. Disons-le sans détour : elle se montre, dans son origine historique, comme une pensée réactionnaire. À la fois sa naissance cristallise un rejet radical du système établi, et à la fois, elle ancre ce rejet dans des principes antérieurs à ce système, qu’elle estime être une dérive décadente d’un modèle originaire plus juste.
De la même façon que le royalisme n’existait pas avant la chute de l’Ancien régime, tout simplement parce qu’il était hégémonique, le libertarianisme émerge parce que son modèle naturel a été détourné par le keynésianisme. Évidemment, il ne s’agit pas d’un bête retour en arrière : comme le royalisme de M. Maurras, le libertarianisme de Messieurs Friedman et Rothbard ne proposent pas de faire exactement comme avant, mais un modèle inspiré de ce qu’il se faisait avant.
Enfin, la quatrième et actuelle période a débuté, nous l’avons déjà dit plusieurs fois, avec la révolution dite conservatrice du duo Thatcher-Reagan, la chute du bloc soviétique, et l’abandon progressif des politiques keynésiennes. Elle se caractérise par des réformes d’inspiration principalement libertariennes. Nous avons déjà insisté suffisamment sur ce propos.
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON