La Pensée-Perspective
Le monde qui nous environne est perspective, l'Univers lui-même est perspective. Il n'y a que notre pensée qui se croit exemptée de la nécessité de se plier à la règle universelle de la perspective et qui s'autorise - royalement - le privilège d'évoluer en faisant comme si tout n'était pas perspective. N'est-ce pas aberrant ? René Descartes avait compris cela. Il a en effet compris qu'il faut penser en perspective. Qu'est-ce que penser en perspective ? Là aussi, Descartes est un pionnier. Il a compris que la mise en perspective s'effectue en utilisant les trois dimensions, ce qui du reste se pratiquait déjà à son époque en peinture. Dans un tableau, la maîtrise des trois dimensions de l'espace permet la vision en perspective, une perspective réelle qui abandonne les trompe-l'oeil de l'art baroque. Mais notre pensée, elle, a-t-elle franchi le même pas ou bien serait-elle restée à l'étape du trompe-l'oeil ?
Descartes a compris quelles étaient les trois dimensions au milieu desquelles nous évoluons et ces trois dimensions sont : la dimension métaphysique (l'être), la dimension physique (champ des passions notamment : Descartes a publié un Traité des passions), la dimension de la perception (il a consacré un traité à l'optique). Descartes a ainsi embrassé dans sa vie de philosophe les trois dimensions possibles !
Avant de commencer ma démmonstration, je fais ici un court rappel de ce que j'ai exposé dans mon article sur le cogito en trois dimensions :
I - La déclinaisons du cogito cartésien
1 - Cela est perçu donc cela existe (dimension du perceptible). Preuve que j'existe.
2 - Cela échange donc cela vit (dimension physique). Preuve que je suis vivant.
3 - "Je pense donc je suis" (dimension métaphysique). Preuve que je suis une pensée libre.
Les deux premières preuves sont des preuves scientifiques alors que la troisième est métaphysique. Cette dernière n'en demeure pas moins une preuve (dans sa dimension) tant que personne n'a pu aller plus loin. Et d'ailleurs, qui le pourrait ? Cette preuve paraît indépassable sur le plan métaphysique.
Qui dit trois dimensions dit trois dimensions de la connaissance : la connaissance perceptive, la connaissance physique (sensations, émotions), la connaissance de l'être (la pensée et les sentiments).
II - La triple dimensions Relations - liens - rapports
Cette triple dimension que j'ai déjà expliquée précédemment, y compris dans mon essai publié en juin 2017 (et qu'il n'est pas indispensable d'acheter puisque je vais vous résumer cette théorie ici !), vient en partie coïncider avec les trois dimensions précédentes. Soyez patients, je vais peu à peu vers les exemples concrets mais lisez-tout, c'est important !
Je mentirais en vous disant que la coïncidence et parfaite. Car alors je penserais en "trompe-l'oeil" et non en perspective, je m'autoriserais, comme le font trop de théoriciens, d'arranger un peu les choses pour que celles-ci entrent dans ma façon de voir. Mais c'est là toute la différence entre pensée perspective et pensée plate ou en trompe-l'oeil.
La coïncidence (imparfaite) des trois séries de dimensions se présente ainsi :
La dimension de la relation : elle s'apparente à celle de la perception
Je définirai cette dimension comme la "mise en perspective, au sein d'un champ donné, d'éléments qui coexistent et qui sont interdépendants par les lois plutôt non matérielles".
Les lois qui créent la relation sont : la perception (sous toutes ses formes, y compris celles que l'humain ne possède pas), mais aussi les lois du temps et de l'espace. Tout ce qui est contemporain à notre monde, par exemple, partage une relation de simultanéité de l'existence. L'existant, rappelons-le, comprend tout ce qui se prouve par la perception.
La dimension du lien : elle se rapproche de celle de l'échange physique
Le lien est un rapprochement physique entre deux éléments qui possède des qualités ou des attributs communs. Alors que la relation concerne surtout la forme (dimensions spatio-temporelles) et la quantité, le lien est matériel et physique. C'est la dimension de la profondeur des choses, de la substance et donc la dimension de la preuve du Vivant.
C'est par exemple la cellule qui absorbe l'oxygène et rejette du gaz carbonique. Tous les êtres vivants dépendent de ces liens sous formes d'échanges physiques. Nous donnerons des exemples concrets plus loin.
Le rapport : il coïncide à peu près avec la dimension de l'être métaphysique, de la pensée abstraite.
Je définis pour l'instant le rapport comme étant "la mise en action des forces ou des dimensions entre deux choses".
La dimension de la pensée confrontée à celle du Néant donne le cogito. Le rapport de deux dimensions, celle de l'être (conscience de la mort) et celle du Vivant ou du physique (la peur) produit la religion, l'art, la philosophie. Etc.
III - Des exemples concrets
Dimension de la relation - perception
La perception peut être sensorielle, empirique, mentale :
- Je perçois l'existence d'un caillou : relation de perception sensorielle (la vue, le toucher). Je perçois la distance entre cet arbre et moi. Je perçois la relation d'échelle entre le caillou et l'arbre entre moi et moi et l'arbre, etc.
- Je perçois quelque chose d'anormal : relation empirique. Ici, quelque chose dérange ma perception habituelle. L'habitude est normative en ce sens qu'elle produit des normes qui régissent ma façon de réagir. Si une chose survient dans mon champ de conscience et qu'elle ne "colle" pas à mes normes, je suis alerté par cette "anormalité". Ensuite, soit je l'incorpore dans mes normes que je complète par cette information, soit je reste en état d'alerte et je réagis.
- Je perçois mentalement que ce fait est une exception par rapport à la règle. La relation mentale est alors abstraite, c'est une relation que crée notre intelligence animale et humaine. Je perçois de façon mentale aussi la différence entre le présent et le souvenir ou l'imaginaire. Je perçois l'Autre comme distinct de moi. Etc.
Voilà les trois aspects de la perception qui fondent la relation dans le champs de l'existant.
Dimension du lien : l'échange physique
Descartes a abordé cette dimension dans le traité des passions. C'est essentiel car chez l'être humain, l'échange physique possède une palette plus large que dans le monde végétal et animal. Aux échanges physiques qui prouvent que nous sommes vivants et qui se manifestent notamment par la faim, la soif, le désir, et leur satisfaction, s'ajoutent ce que les philosophes appellent d'une façon large et générique "les passions".
Mais, il convient de différencier, selon moi, ce qui relève exclusivement de la dimension physique : les émotions qui surgissent dans nos échanges avec le milieu (la peur, l'attirance physique, la joie physique...) des passions qui empiètent sur la dimension de la relation ou la dimension du rapport. Je ne pourrai développer ce point conséquent que plus tard. Je donne donc juste quelques petits exemples : l'envie est une passion qui naît de la perception de ce que l'autre possède (dimension de la relation). La colère actionne la conscience qui se sent excédée de ce qu'elle apprend et qui heurte son être propre (dimension du rapport).
Dimension du rapport : dimension de l'être et de la pensée
Cette dimension puissante est non seulement capable d'accoucher de vérités essentielles comme le cogito, elle peut aussi créer des concepts et, en les confrontant, produire des pensées nouvelles. Cette pensée est capable d'exploiter les connaissances acquises par les deux autres dimensions. Par exemple, elle utilise la notion de grandeurs et celle de quantité pour créer la géométrie et les mathématiques. Dépassant les deux premières dimensions, elle parvient à comprendre l'Univers. Elle semble sans limite.
"Je pense, je suis" est une loi de la dimension du rapport appliquée à la seule dimension de l'être.
E=MC2 est une loi de rapport qui transcende les trois dimensions : celle de la perception (on sait que l'intuition en est en partie l'origine), celle du rapport (la pensée dans toute sa force d'abstraction), celle de l'être (on a dit que son auteur avait une idée de Dieu caché derrière les équations...).
Conclusion
Le défi est donné par Descartes. En donnant les trois dimensions de l'intelligence et des lois du monde, il nous appelle à penser en perspective. Mais je devrai poursuivre cette idée dans un second article à venir car résumer en quelques mots serait insuffisant. Disons simplement que la pensée perspective consiste à construire des repères et à tracer des lignes en perspectives entre les repères sûrs. Descartes en donne d'ailleurs un exemple avec l'image du voyageur égaré dans la forêt et qui trace des lignes imaginaires d'un arbre à un autre pour trouver son chemin. Cependant, la pensée perspective va bien au-delà. D'abord parce qu'un marin procèderait différemment (repère magnétique avec la boussole, repérage à la position des étoiles, à la présence ou pas d'oiseaux, à la profondeur de l'eau, etc.). Ceci pour dire que la pensée perspective est tributaire de l'environnement dans lequel nous évoluons. Ensuite, la pensée perspective, c'est aussi la capacité de faire interagir les trois dimensions que nous avons vues, c'est être capable de raisonner mais aussi d'écouter la vie qui est en nous et de s'assurer que nous percevons ce que nous examinons sous tous les angles nécessaires, sous toutes les sous-dimensions qu'il est requis d'examiner.
Quiconque ne décide pas en fonction des trois dimensions universelles produit une pensée boiteuse qu'il risque de payer tôt ou tard. Quiconque ampute une dimension en utilisant par facilité le trompe-l'oeil au lieu de la perspective, se dote d'un soc de charrue tordu qui tracera des sillons injustes (au sens d'entorse à la justesse des choses et à l'esprit de justice). Penser en perspective suppose enfin de comprendre les passions pour comprendre de quelles façons elles s'immiscent dans nos choix. Cela fera l'objet d'un autre article.
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