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La planète à feu et à sang

Le « capitalisme » met la Terre à sac, voire à feu et à sang – croissance des « profits » oblige, des profiteurs de pénuries organisées aux marchands d'armes... Sa pulsion d’illimitation pourrait même nous coûter la planète toute entière – et bien au-delà... Un « autre monde » est-il bien certain ? Une historienne, Ludivine Bantigny, n’en désespère pas...

Qui ne rêverait de vivre dans un « monde de justice et d’équité » garantissant un « égal accès aux biens et aux moyens d’une vie bonne » ? Qui n’aimerait une vie « conçue comme épanouissement humain, respect du vivant, dignité pour tous » ? Qui n’envisagerait volontiers une vie publique vécue comme une « capacité partagée à délibérer pour décider pour tout ce qui nous est commun » ?

Mais voilà : tout se passe comme si nous vivions sous le joug d’un « système » qui produit de la pauvreté et fait le malheur du monde. Plus précisément : le malheur d’une multitude de petits perdants au profit d’une poignée de « gros gagnants », embusqués au sommet de la chaîne alimentaire...

Comment l’espèce présumée humaine et pensante voire « solidaire » a-t-elle pu s’en accommoder jusqu’à présent ? Maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Rouen, Ludivine Bantigny rappelle qu’à l’origine de son livre, il y a des visages, des noms, des vies sacrifiées au laminoir managérial – et des morts, aussi, tombés au champ du déshonneur d’une régression sociale et humaine généralisée.

Elle évoque ces hommes et ces femmes qui se sont immolé par le feu, pendu ou tué d’autre manière - éliminés de l’équation par une implacable « logique comptable » ou une sordide frénésie d’accumulation. L’historienne appelle « ensauvagement » ce qui peut « tout autant désigner la prédation qui enrégimente le vivant dans la sombre loi du marché  » que la barbarie ordinaire ou autres « incivilités », crimes et délits de « droit commun » qui dévastent nos cités ultraconnectées et en surchauffe. Le terme a beaucoup servi « à longueur de colonnes et de slogans », dans la « presse grand public », et l’historienne en livre un rappel rageur dans un « libelle » d’une soixantaine de pages, pour rappeller ce qui meurtrit et tue insidieusement, plus sûrement qu’un affrontement frontal « à armes égales », en provoquant crises, crimes et guerres à répétition : « De ce point de vue, le capitalisme a toujours été ensauvagé : ses origines sont tachées de sang ».

Ludivine Bantigny souligne qu’ « on a affaire à un capitalisme dentaire, vorace et féroce » qui n’en finit pas de vouloir « faire du plus, encore et encore » : «  Il faut valoriser la valeur, happer la plus-value pour entretenir l’accumulation, faire de l’argent avec l’argent, tout mettre en oeuvre pour qu’il rende. Donc, il rend. Encore faut-il que ce soit plus que ne le font les concurrents. Car les capitalistes se mènent entre eux une guerre acharnée et c’est aussi pour ça qu’ils doivent nous l’imposer. Leur logique est à l’expansion absolument illimitée : le principe d’illimitation est d’ailleurs au fondement même du système. Tout peut et doit se transformer en marchandise : tout, jusqu’à nos corps et nos esprits, au plus intime de nos pensées  »...

Cette prédation insatiable ne peut qu’engendrer ou « reconduire des formes de souffrance » qui auraient pu être « éradiquées » depuis bien longtemps – du moins, dans un monde moins fermé aux exigences les plus élémentaires d’une conscience humaine en éveil : « L’appropriation privée qui inflige la production pour la production, l’accumulation pour l’accumulation, enfante la surbordination, rançonne et appauvrit. Ce dont nous rêvons, c’est de faire cesser le désastre et pour nos vies, l’exploitation.  »

En somme, la « valeur refuge » ultime, c’est bel et bien l’humain. Mais il est déclaré obsolète – et surnuméraire, de surcroît, soumis au traçage d’ores et déjà appliqué à la marchandise et au bétail pour satisfaire aux exigences d’un totalitarisme marchand d’autant plus insatiable qu’il se dématérialise : « Et nous voilà pris dans la toile. Le tracking (...) trace et traque nos choix, nos goûts, nous souhaits, toutes les données des usagers (...) Le contrôle est électronique et les mouchards sont numériques. L’extraction de la plus-value exige de soumettre l’humain comme le non-humain, la biosphère accaparée par l’injonction du monde marchand.  »

La nouvelle collection « Libelle » lancée par les éditions du Seuil et dirigée par Julie Clarini, réunit des consciences qui n’abdiqueraient pas cet impératif d’humanité élémentaire face à l’injustifiable « droit » de prédation que certains s’octroieraient arbitrairement - et sauvagement... Il s’agit bien d’éveiller les consciences pour déclencher les « débats » qui s’imposent, comme celui lancé par Ludivine Bantigny dans ce premier essai. Ils sont d’autant plus urgents que le « capitalisme » n’est plus assuré d’un « développement durable », faute de « ressources » à extraire d’un socle vital qu’il ne cesse de détruire...

Pourtant, il n’en persiste pas moins à donner libre cours à sa frénésie d’illimitation mortifère. Après d’être "dématérialisé" et outrageusement défiscalisé, il persiste à nier rageusement toute contre-réalité vivable, fondée sur un consentement collectif.

Pour l’heure, il n’a pas perdu encore sa capacité à se réinventer et à se régénérer au détriment du plus grand nombre comme de la plus irréductible des réalités, dans cette phase cruciale où il joue son va-tout en surjouant son coup d'avance. Le but ultime d’une « civilisation » serait-il de se résigner à l’accaparement par quelques-uns des richesses vitales, publiques et privées, à une échelle planétaire jamais vue - et à la dépossession finale de tous ? Crier "Au feu !" en incriminant le "réchauffement" ne suffit plus. Chaque jour de cette guerre menée sur tous les fronts augmente le degré d'insoutenabilité de la souffrance humaine. L'urgence engage à quitter les postures de belles âmes indignées pour apporter son aide aux pompiers. Pour de vrai.

Ludivine Bantigny, L’ensauvagement du capital, Seuil, collection « Libelle », 70 pages, 4,50 euros


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18 réactions à cet article    


  • Clark Kent Kaa 21 mars 2022 17:33

    Concrètement, on fait quoi ?


    • lephénix lephénix 21 mars 2022 20:20

      @Kaa
      ceux qui ont conscience des enjeux et se sentent concernés par l’urgence peuvent par exemple intégrer ou créer des réseaux d’entraide de proximité comme solaris pour parer au plus pressé...


    • Ruut Ruut 22 mars 2022 14:12

      @Kaa
      Commençons par aller voter massivement, le reste suivra.


    • lephénix lephénix 22 mars 2022 20:32

      @Ruut
      rien n’empêche de s’occuper du « reste » sans attendre les" élections’ voire même y compter...


    • Yann Esteveny 21 mars 2022 17:43

      Message à tous,

      Promotion commerciale d’un livre vide rédigée par une « Maître de conférences »

      pour vous expliquer que le capitalisme est destructif.

      Ceux qui ont de l’argent à perdre pourront l’acheter.

      Ceux qui voudront savoir qui tire les ficelles iront ailleurs.

      Le capitalisme gauchiste vide autant les poches que la tête.


      • lephénix lephénix 21 mars 2022 20:21

        @Yann Esteveny
        merci pour votre visite et votre franchise c’est donc que vous l’avez lu ou parcouru...


      • pipiou2 21 mars 2022 22:24

        Une historienne hors-sol comme on en fabrique beaucoup en France.

        Si il a une multitude de petits perdants ici en Europe, comment qualifiez-vous les 80 % de la planète qui vivent beaucoup moins bien que les Européens ?


        • lephénix lephénix 21 mars 2022 22:37

          @pipiou2
          il s’agit bien de la population mondiale qui pâtit de l’hubris et de la prédation d’une infime minorité qui a besoin de créer la misère des masses pour se sentir de la « race des seigneurs » décidant de qui est « essentiel » ou non...


        • pipiou2 21 mars 2022 22:46

          @lephénix
          Alors les Européens, dont vous, font partie de cette « infime minorité » qui crée la misère du Tiers-Monde ?

          J’espère que vous ne vous considérez pas « misérable » en comparaison des milliards qui crèvent la fin, avec une espérance de vie de 20 ans inférieure à la votre.


        • Lynwec 22 mars 2022 07:56

          @pipiou2

          A ce stade, je crains qu’il n’y ait plus rien à faire pour vous sauver.

          L’infime minorité est celle qui détient les 99% des richesses de la planète et s’emploie à réduire à 500 millions d’esclaves pucés l’immense majorité de sans dents...
          Si parce que vous avez un niveau de « survie » acceptable en comparaison avec les populations qui « crèvent la faim » et que de ce fait, vous vous pensez membre de l’élite qui crée la misère du monde, c’est exactement le but recherché par les 0,001%...Merci pour eux d’être si bon public.


        • lephénix lephénix 22 mars 2022 08:54

          @pipiou2 
          pourquoi désolidarisez-vous la misère des habitants de l’UE (et non de « l’europe »....) vivant bien en deça du seuil de pauvreté et de la détresse de celui des autres dépossédés de la planète ? c’est l’espèce présumée « humaine » toute entière qui subit le joug de ceux qui créent la misère partout... à moins que vous ne considériez qu’il y a des « bons » et des mauvais « pauvres »...


        • eddofr eddofr 22 mars 2022 14:55

          @lephénix

          Du temps de l’esclavage, il y avait le nègre de maison et le nègre de champs
          .
          Le nègre de maison n’était pas moins esclave, même s’il était bien mieux traité.

          Pourtant, certains nègres de maisons finissaient par se croire membres de la « maisonnée » et prêts à la défendre au prix même de leur vie ...


        • pipiou2 22 mars 2022 17:24

          @lephénix
          Déjà les habitants de l’UE vivant bien en deça du seuil de pauvreté c’est une très petite minorité et même ceux-là sont nettement mieux lotis que le milliards d’êtres humains qui vivent dans la misère totale, sans CMU, sans aucune aide.

          Dire que vous , européen favorisé qui exposez vos états d’âme tranquillement sur votre ordinateur, sur Internet, vous êtes « sous le joug de la misère », c’est de la victimisation plutôt excessive.

          Est-ce que vous savez ce qu’est la vraie misère. Est-ce que vous savez ce qu’était la misère il y a à peine un siècle ?


        • lephénix lephénix 22 mars 2022 20:29

          @pipiou2
          à qui croyez-vous apprendre quoi que ce soit sur les dysfonctionnements de ce qui ne fait plus monde avec des lapalissades en mode inversion accusatoire ? ceci dit, il ne vous devrait pas vous avoir échappé que je ne prétends que passer le travail des autres, pas « exposer » le moins du monde des états d’âme ou prétendre à la « victimisation », on vous laisse la posture...


        • lephénix lephénix 22 mars 2022 20:37

          @eddofr
          il y a aussi le temps de l’esclavage qui s’ignore, avec les idiots inutiles et surnuméraires encore inconscients de leur obsolescence d’ores et déjà décidée et qui croient encore « en être »...


        • Ruut Ruut 22 mars 2022 14:14

          Seules nos actions comptent, tout le reste n’est que mirages.


          • I.A. 22 mars 2022 16:12

            Merci pour ce partage, et cette superbe promesse :
            « En somme, la valeur refuge ultime, c’est bel et bien l’humain. »


            • lephénix lephénix 22 mars 2022 20:35

              @I.A.
              il y a des promesses qui se doivent d’être tenues, depuis l’hominisation, aussi sûrement que le chrysalide se change en papillon, le germe en épi ou le bourgeon en fleur...

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