La police entre parenthèses, ouvrons les guillemets
Dimanche 7 Juillet, nous décidions, ma compagne et moi, de nous rendre au cimetière de Montparnasse pour nous recueillir sur la dernière demeure de Jacques Chirac. Sa tombe, division 11, est idéalement placée au carrefour de quatre grandes allées, faisant écho à l’ouverture d’esprit du Président. Devant la sépulture se produisait une scène magique, presque irréelle, tellement symbolique. Un vieil homme vêtu d’un keffieh et d’un Agal faisait des invocations en arabe. Dans le silence du lieu, ses prières suspendaient le temps comme dans un désert. Je pensai alors au non-alignement de Jacques Chirac à la politique étrangère des Etats-Unis. Ce bédoin devait venir de bien loin pour lui dire merci. Cette scène fut interrompue par une dame s’interposant entre lui et le Président. Visiblement agacée par la cérémonie non liturgique de l’Arabe en tenue traditionnelle, elle s’appliquait à s’interposer entre les deux hommes et à parler fort à son compagnon pour couvrir la voix de l’adorateur. Peine perdue. Je n’entendais que la prière. Me vint alors à l’esprit, ce 16 Juillet 1995.
Jacques Chirac s'exprime au Square des martyrs du Vel d'Hiv, à Paris :" La France, patrie des lumières et des droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable". Il mettait fin à des décennies d’irresponsabilité morale de la France concernant la Rafle du Vel d’hiv. Mettait-il fin au racisme ? Apparemment non.
Mais il tombait les parenthèses. Car Vichy avait été mis entre parenthèses. Ainsi, cette histoire de la France ne lui appartenait plus. Pendant presque 20 années, F. Mitterrand fut notre Ponce Pilate. Pourquoi la France devait-elle être tenue pour responsable d’un évènement qu’il lui était étranger ? Avec Jacques Chirac, les parenthèses se transforment en guillemets car c’est au nom de la France et des Français que le Maréchal Pétain s’exprimait. La devise « Travail, Famille, Patrie » était enterrée, mais elle l’était dans le sol français, dans sa terre et notre chaire. Pour Jacques Chirac, il ne fallait pas faire semblant, cette histoire était la nôtre mais il était convenu que tout appartenant à cette période devait être enterrée.
Une seule chose ne l’a pas été.
Une loi.
Celle du 23 Avril 1941. Première phrase : « Nous, Maréchal de France, chef de l'État français. »
L’auteur est enterré. Mais il continue à parler au nom du peuple français.
Cette loi porte organisation générale des services de police en France.
Toujours en vigueur.
La police nationale telle qu’elle existe aujourd’hui est l’œuvre du Maréchal Pétain. Je me pose alors une question. Simple. Les postulants au concours de la police nationale doivent-ils lire le texte instituant la profession à laquelle ils aspirent comme il est demandé pour d’autres métiers (magistrats ou médecins) afin de connaître la philosophie de son acte fondateur ?
D’autres questions.
Comment un ministre de l’intérieur et un Président de la République peuvent-ils légitimement, d’une seule voix, défendre une corporation dont l’atavisme réactive encore le gène du racisme parmi les professionnels, presque malgré eux ? Comment défendre cette profession au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité alors que sont acte fondateur mentionne Vichy pour lieu de naissance ?
Les évènements aux Etats-Unis ont réactivé en France un sentiment de peur. Cette peur n’est pas tant le fruit d’une réalité cruelle et actuelle envers certains de nos semblables. Elle est dans l’inconscient collectif, le résultat de la réminiscence d’un souvenir qui fait encore honte à la France. Celui d’un stade. Un stade bondé. Des policiers aux aguets obéissant avec zèle aux ordres du Maréchal. Des citoyens français destitués de leur nationalité sous les coups des forces de l’ordre. Sous les coups de la France.
Nous n’avons pas oublié. Nous avons enterré. Mais pas tout.
Il faut maintenant abroger. Refonder. Repenser la profession.
Alors que nos regards sont dirigés vers les manifestations aux Etats-Unis, nous voulons maintenant nous souvenir de nos propres George Floyd. Ici. En France.
Ce Dimanche 7 Juillet, devant sa tombe, je me souviens d’un homme. D’une phrase. Notre maison brûle et nous commençons à peine à nous en apercevoir.
EG
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