La politique expliquée à mon enfant pas né
Salut Pierrot. Tu permettras que je t'appelle Pierrot, vu que tu n'existes que dans ma tête.
Je vais essayer de t'expliquer comment fonctionnait la politique au moment où tu aurais du naître. Une forme d'explication, ou d'excuse, par anticipation... vu que quand tu voudras me le demander, je ne serai probablement plus là.
J'aurai bien aimé pouvoir discuter maintenant de politique avec mon grand-père. Il était né en 1904, a vu trois républiques, deux guerres mondiales, mais s'est éteint en 2002, avant que j'ai eu le temps de lui poser des questions vraiment intéressantes.
Du coup, je laisse ici un témoignage très partial de ce que j'estime être une sorte de photographie de la politique française en ce début de 21eme siècle.
Par quoi commencer ? C'est toujours très facile d'expliquer un phénomène après coup, mais beaucoup plus dur de le prévoir. Les outils qu'on utilise sont des mots en "-isme", et on essaie d'expliquer le maximum de choses avec. Parfois avec un succès très relatif (quand on n'a qu'un marteau, on voit des clous partout).
Mon marteau porte un nom : matérialisme. C'est une forme de doctrine qui dit que lors d'un conflit, les justifications avancées par les combattants ne sont jamais les bonnes. Ce ne sont que des drapeaux qui font de bons points de ralliement lors des batailles, mais un drapeau n'est jamais la raison pour laquelle on se bat. La raison pour laquelle on se bat, c'est la convergence d'intérêts des combattants. Comprendre "Intérêts économiques". J'ai été confronté à ce mode de pensée il y a une vingtaine d'année, et c'est le filtre le plus efficace que j'ai trouvé jusque là.
Un petit exemple : les guerres entre les catholiques et les protestants qui ont ensanglantées ce pays tout au long du 16eme siècle peuvent être expliquées de différentes façons :
- Dans la religion catholique, le p'tit Jésus est créé magiquement par le Saint Esprit directement dans le ventre de Marie, tandis que dans la religion protestante, il est conçu de manière plus conventionnelle. Ce point de désaccord théologique majeur fait que tout le monde s'étripe. (explication issue de l'outil "idéalisme")
- Dans la religion catholique, s'enrichir par le commerce est un pêché et le marchand un sale type. Dans la religion protestante, c'est une vertu. Ce désaccord économique majeur fait que les marchands et les aristocrates s'étripent. (explication issue de l'outil "matérialisme")
Même si la première explication fait des discussions de comptoir plus amusantes, je doute que l'hypothétique pucelage d'une femme morte il y a 1500 ans soit une raison suffisante pour déclencher une guerre civile. Par contre, les dirigeants des villes qui disent aux dirigeants des champs "maintenant c'est fini, on ne vous obéit plus", ça me parait plus plausible. Même si c'est tristement terre-à-terre.
J'ai bien conscience que le matérialisme a une limite : celle de la pertinence des intérêts économiques. Au moyen âge, tout le monde bossait toute la journée, et en période de disette on entrait en guerre pour pas être ceux qui crèvent de faim. Aujourd'hui, on bosse quelques heures par jour pendant une courte période de la vie, et on se bat pour ne pas être celui qui sortira les poubelles (je vis dans un monde où les SDF ont des téléphones portables). Bref, plus le monde est riche, et moins on est dirigé par son estomac. Et la pertinence de l’outil "matérialisme" baisse en conséquence. Mais faute de mieux, je continue de l'utiliser.
Pourquoi est-ce que je te parle de conflits quand j'ai annoncé t'expliquer la politique ? Tout simplement parce que c'est la même chose. La politique, c'est la façon dont on s'organise pour résoudre les conflits. Quand tout le monde veut la même chose, on n'a pas besoin de chef, de loi, de police ou d'état pour le faire. On le fait, tout simplement, et on y arrive parce que personne ne s'y oppose. La politique, c'est juste un mot pour désigner la façon dont on gère les conflits collectifs.
Et quels sont ces conflits collectifs ?
Le premier, l'un des plus anciens, et celui qui concerne presque tout le monde : le conflit travail / capital inhérent à toute économie capitaliste.
Il est pas compliqué à comprendre :
- quand tu embauches quelqu'un pour faire un boulot, tu as intérêt à ce qu'il bosse le plus tout en le payant le moins.
- quand tu es embauché pour faire un boulot, tu as intérêt à fournir le moins d'effort, tout en ayant le salaire le plus élevé.
Le conflit est flagrant et immédiat. Il est aussi vieux que le salariat, et il est devenu généralisé depuis la chute des autres rapports de production (esclavage, servage, communauté ...)
Ce conflit généralisé a créé deux camps, qu'on retrouve dans tous les pays capitalistes :
-la droite, qui se définit par la défense des intérêts des capitalistes.
-la gauche, par la défense des intérêts des prolétaires.
Jusque là, c'est pas compliqué. Même si c'est assez amusant, parce qu'aucun des deux camps ne peux gagner. Du moins, pas sans un changement majeur dans la façon de penser de toute la population. Changement que je ne vois pas venir.
Là où ça se complique, c'est quand d'autres conflits, sans rapport avec le premier, viennent se greffer sur la guerre déjà existante. Des conflits mineurs (mais très importants pour ceux qui les vivent), où les protagonistes cherchent à attirer à eux les combattants du conflit majeur, suivant le vieil adage "l'union fait la force". Les matérialistes parlent alors de "convergence des luttes".
Quelques exemples d'autres conflits qui traversent la société à l'heure actuelle :
-entre propriétaires et locataires
-entre orthodoxes religieux et laïcs
-entre homosexuels et homophobes
-entre racistes et universalistes
-entre nationalistes et mondialistes
-entre réactionnaires et progressistes
(... et j'ai bien conscience que chacun de ces termes appelle à une définition précise, mais j'ai déjà assez digressé)
Ces différents camps s'agglomèrent suivant les circonstances du moment. Une fois l'agglomérat fait, il forme une sorte de bloc culturel, pas forcément logique, mais généralement bien admis par ceux qui y vivent.
Par exemple, si en France, tu croises quelqu'un qui dit "il faut supprimer le code du travail", il y a de fortes chance pour qu'il soit contre le mariage pour tous. Même si ça n'a aucun rapport.
Maintenant, discutons un peu des représentations concrètes de ces dynamiques actuellement à l’œuvre.
Nous avons un parti de droite réactionnaire, appelé "Les Républicains", principalement parce que "Parti de Droite", ça ferait "PD" comme initiales, et que ce parti a aggloméré les homophobes. Parti qui, démographiquement parlant ne représente plus grand monde et se cherche une identité plus fédératrice. De fait, il change régulièrement de nom. Avant, on l'appelait "UMP", pour Union pour un Mouvement Populaire. Encore avant "UMP" pour Union pour la Majorité Présidentielle. Encore avant RPR... Parti à idéologie assez stable (principal avantage de la réaction), qui s'oppose à tout changement d'où qu'il vienne, mais malmené électoralement par un doppelgänger...
Juste à coté, un parti de droite progressiste, appelé "Parti Socialiste", baptisé ainsi 10 ans avant ma naissance. Sa principale caractéristique est d'être historiquement un parti de gauche, mais qui a basculé à droite peu de temps après sa première expérience au pouvoir, début 1980. Je ne connais pas le déclencheur, j’étais tout gosse. Il faudrait que je demande à mes parents. Ou que je regarde son financement : d'expérience, un parti qui n'est pas financé majoritairement par les cotisations ou dons de ses militants est un parti de droite. Toujours est-il que cette bascule ne concerne que le 1er conflit (droite / gauche), mais il est resté constant tous les autres conflits de l'agglomérat dit "de gauche". Ca lui conféré une bonne assise électorale, et lui a permit de garder l'étiquette "de gauche", créant ainsi une grande confusion au sein de l'autre principal parti de droite. Une grande confusion au sein des diverses formations de gauche, et une immense schizophrénie dans cette profession appelée historiquement "journalistes" mais que Georges Orwell qualifiait de "Public Relation".
Ces deux là forment le bloc des partis dits "de gouvernement". Les règles de financement étant ce qu'elles sont, ils captent (et vivent majoritairement par) l'essentiel des aides publiques. Toute personne voulant faire carrière dans l'état sans avoir à passer de concours est condamné à en être membre. Ces deux partis forment ainsi une sorte de clan qui tient les rênes de l'état, organisme bicéphale dont les désaccords nombreux, mais mineurs, masquent leur principal point de convergence : une politique économique entièrement dédiée à la préservation de l'ordre social actuel.
A coté de ces deux partis de gouvernement, nous avons le Front National. Historiquement de droite aussi, mais tendance violente (le militantisme à coup de barre de fer), il vivotait tranquillement jusqu'au milieu des années 1980. La transition du PS lui a ouvert un boulevard, puisque la trahison économique a laissé de coté tous ceux qui ne s'identifiait pas à l'un des conflits annexes de la culture dite "de gauche". Il a continuellement capitalisé sur le mécontentement en brandissant l’étendard "parti de la contestation", pour devenir un blob conséquent ayant un certain poids électoral. Son principal problème : agglomérer le mécontentement n'est pas une position constructive viable, et son position historique de parti extrémiste crée un gros déphasage entre ses rares militants et son large socle électoral.
Et toute une flopée mineurs, en vrac :
Le Parti Communiste, historiquement de gauche, qui n'en fini plus de mourir. Dévoré par son alliance contre nature avec le PS. Alliance qui fourni le confort d'un revenu garanti. Le PC n'a pas réellement cherché la convergence des luttes (ou a lamentablement échoué, ce qui revient au même) et s'est logiquement effacé devant le PS. La trahison du PS l'a laissé orphelin de son socle électoral, et il n'a pas su faire passer le message "c'est pas parce que vous êtes bien payés que vous n'êtes pas ouvrier". Il n'est donc plus constitué que de retraités nostalgiques des luttes contre la vieille bourgeoisie incarnée par De Gaulle.
Le Parti de Gauche, parti très récent, qui n'arrive pas à réellement décoller. Le seul parti qui ait encore des militants à mes yeux, mais qui a du mal à se positionner entre "l'institutionnel financé" et le "puriste qui veut changer les choses". Du coup, pas de réelle cohérence dans l'action locale, ni de grande visibilité au quotidien. Sorti des citadins de grandes métropoles, je n'ai pas l'impression qu'il soit même connu.
Le Nouveau Parti Anticapitaliste (ex LCR) et Lutte Ouvrière. Je les mets dans la même case, vu qu'ils sont identiques. Un peu comme les amateurs de "death metal" et ceux de "trash metal", ils se considèrent différents, mais seulement vu de l'intérieur. De gauche, partisans d'un changement total de société (sortie du capitalisme), ils souffrent de ce que la révolution nécessite bien plus qu'un simple bulletin de vote (Si voter changeait quelque chose, il y a longtemps que ça serait interdit)
Le Mouvement Démocrate (ex UDF), dit "de centre", donc bien à droite, comme tout ce qui se réclame du centre (autre bizarrerie culturelle), ce parti ne divergeait de l'UMP que pour des raisons historiques, qui n'ont plus lieu d'être. Le MoDem n'existe quasiment plus, absorbé par l'ex-UMP.
EELV (Europe-Ecologie-Les-Verts), parti dit "écologiste", qui a eu son heure de gloire au début des années 90, lorsque la transition du PS à droite a donné de l'espace à une nouvelle formation. Ils ont ciblés (plus ou moins volontairement) les "cadres moyens et ouvriers bien payés" (appelés "CSP+") soucieux de leur environnement, et ont eu quelques succès électoraux. La formation s'est quasiment auto-dissoute lorsque le PS a proposé des postes rémunérés à leurs dirigeants. Comme pour le PC, ils ont préférés l'institution au militantisme, agrandissant le boulevard du FN. L'empreinte idéologique du mouvement est toutefois restée, mais le conflit "écologistes/productivistes" (que j'aurai pu ajouter à la liste au dessus) a quitté la culture "de gauche" pour devenir relativement apolitique. Du coup, l'ex-parti "Vert" disparaît à grande vitesse.
... Et d'autres que je ne cite pas, trouvant leur influence inexistante.
Si je j'écris tout ça maintenant, c'est qu'il y a une élection présidentielle prochaine. En avril ou mai, si je me souviens bien. Bien malin qui en devinera le résultat...
En lice :
François Fillon, pour LR, malmené dans son propre camp. LR perd son identité de "parti de référence de droite", et c'est quand les choses vont mal que les divisions se forment. Il paye principalement la défaite de Sarkosy face à la plante verte Hollande, candidat sans enthousiasme en 2012 (valeur par défaut du PS à l'époque). Les blessures d'un mandat catastrophique ne sont pas cicatrisées, et LR est en plein guerre interne depuis 5 ans. Je ne serai pas surpris d'apprendre que la principale boule puante qui lui a été jetée vienne de son propre camp.
Benoît Hamon, pour le PS, malmené dans son propre parti. Le PS est en crise d'identité depuis 20 ans et peine à s'affirmer comme parti de droite. Il ne doit sa survie dans les années 2000 qu'à son 1er secrétaire François Hollande, et sa capacité à réaliser "la synthèse", façon élégante de dire "ne se mettre personne à dos". Celui-ci, devenu président, a fait ce qu'il connaît de mieux : la (photo)synthèse. Le problème, c'est que refuser le conflit, en président, c'est principalement ne rien faire. Il n'a pas gagné l'adhésion de la droite réactionnaire pour autant, même si c'est son programme. Le PS en paye les pots cassés et traverse une n-ième crise, juste avant une élection, et sans personne pour "réaliser la synthèse". Bonne chance Benoît :)
Marine Le Pen, pour le FN. Comme je l'ai déjà dit, au cours des 30 dernières années le FN a réussi à imprimer dans l'imaginaire collectif qu'il était le parti de la contestation. Sa progression constante tient en la capacité actuelle de la direction à museler les militants les plus cons (pardon, les plus "historiques"). Le FN est à un croisement de son histoire.
Une victoire le fera muter :
-par l'impossibilité de garder l'image du "parti de la contestation" quand on est au pouvoir
-par l'afflux des parasites (pardon, "professionnels") de la politique, qui iront à la soupe et diluera son socle idéologique historique
Une défaite a de grande chance de le faire éclater, car c'est en période de reflux que les dissidences arrivent, et ce parti n'a pas vraiment les outils de la gestion de la dissidence.
Jean-Luc Mélenchon, historiquement sous l'étiquette "Front de Gauche" (alliance PC-PG), mais qui court officiellement hors-parti. A mes yeux, il a le même problème qu'en 2012 : son socle électoral n'entre pas dans le domaine rural. C'est le plus à même de réaliser "la synthèse" à gauche, mais même dans ce cas là, il ne fera pas 15%. En 2017, la gauche française ne pèse pas plus dans les urnes. Je ne m'en lamente pas, j'avais voté pour lui en 2012 en mode "vote utile" (autre bizarrerie culturelle : ça consiste à ne pas voter pour notre candidat préféré, parce qu'on nous a mit en tête qu'il n'avait aucune chance de gagner), mais je serai abstentionniste en 2017.
Emmanuel Macron. Ovni politique, profite de l'absence de candidat étiqueté "centre" lors de cette élection. Il n'a aucune structure derrière lui, ni programme clair, ni idéologie de référence. Juste de la comm, de la comm et encore de la comm. Candidat de la pure sociologie de centre-ville parisien, il fait baver tous les journalistes et les sondeurs : ce sera le "Hillary Clinton" de 2017, il va faire pschitt au 1er tour, et tous les sondeurs/journaleux se lamenteront une fois de plus sur le thème "Mais comment on a pu autant se tromper ?". Conseil gratuit de ma part pour ces derniers : quittez Twitter, c'est le réseau social des crétins.
Et moi la dedans ?
Et bien, comme je l'ai dit un peu plus haut, je ne vais pas aller voter. Pour la même raison que je ne vote pas pour Miss France. Tout ça, c'est du pur symbolique : l'état français n'a pas de moteur. Quand je vois tous les changements (en bien comme en moins bien) qui ont eu lieu entre 1800 et 1950, et quand je vois l'absence totale de changement depuis 1980... Ça me fait penser à la description de la vie d'un empire par Gleen Cook (on a les références qu'on peut) :
1. la prise de pouvoir par un conquérant. Venu de l'intérieur ou de l'extérieur, il est armé d'un truc nouveau (militaire, économique ou social) qui supplante l'ordre ancien très rapidement.
2. la consolidation du pouvoir par ses héritiers. Gestionnaires compétents de l'armée du conquérant, ils savent quelle est la force du truc nouveau. Ils peaufinent tous les petits réglages de la nouvelle administration pour en faire une mécanique bien huilée.
3. la décadence. Aveuglés par l'illusion d'un empire éternel, les gestionnaires suivants se contentent de profiter un maximum du système en place, sans rien créer, sans rien améliorer. Affaiblissant ainsi l'empire jusqu’à l'arrivée d'un nouveau conquérant.
Quand je vois la situation, et l'inanité des propos des candidats actuels, je me dis qu'on est en pleine décadence. Tous parlent de "lutte contre le chômage", alors que le chômage qu'on le veuille ou non, c'est l'avenir. Tous parlent de l'Europe comme d'un truc réel alors qu'il ne s'agit que d'un vague embryon d'un truc à naître. Tous parlent de l'argent comme si c'était un objet physique alors qu'il ne s'agit que d'un simple contrat social.
Pour moi, les conquérants de demain s'appellent Google, Uber, Amazon et Paypal...
Que ces quatre fusionnent, et le mot "entreprise" appartiendra au passé, et un nouveau rapport de production sera né. En bien comme en mal. Dommages que pendant ce temps, les politiques continuent de faire comme si on était en 1950...
Bonne chance Pierrot !
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