La présidente du Medef, l’UIMM et Mme Ciganer-Albéniz face à l’information du silence
Les prodigieuses performances technologiques dans le domaine des médias ont répandu une illusion, celle de la transparence accessible : le monde serait devenu une maison de verre. Quoi de plus insensé ? L’actualité vient utilement d’offrir l’occasion de ne pas s’y laisser prendre. Elle jette un éclairage opportun sur la face cachée de l’information qui, plutôt que d’être comparée à celle de la lune, ressemble davantage à l’illusion de l’iceberg, aussi dangereuse pour le badaud que pour le bateau.
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Coup sur coup, ce dernier week-end, deux affaires ont mis en lumière la fonction d’information jouée par le silence. On a évoqué l’une d’elles dans un précédent article : Mme Ciganer-Albeniz a mis un mois pour démentir, le 7 mars 2008, un supposé SMS qu’elle aurait reçu de son ex-mari, selon le Nouvelobs.com (1). Dans l’autre exemple, c’est l’ancien président de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), M. Gautier-Sauvagnac, soupçonné un temps lui-même de s’être fait acheter son silence par une indemnité de départ mirobolante, qui met en cause le silence de la présidente du Medef : il a soutenu, le 8 mars, qu’elle avait été informée, dès mai ou juin 2007 et non le 25 septembre comme elle le prétend, des pratiques de « fluidification du dialogue social » grâce au flot d’argent liquide dont étaient abondamment arrosés des partenaires sociaux. Elle aurait donc gardé le silence sur ce qu’elle savait parfaitement. Et ce serait sous la contrainte d’un article à paraître révélant ces méthodes qu’elle aurait cherché à jouer l’innocente et à rejeter toute solidarité et responsabilité.
L’illusion de l’iceberg
On mesure comme le silence est lourd d’informations diverses. Ce sont, à l’évidence, toutes celles que l’être vivant garde légitimement secrètes pour assurer sa survie et ne pas s’exposer inutilement aux coups de ses adversaires : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. A fortiori, les groupes n’agissent pas autrement, qu’ils soient partis, religions, entreprises ou institutions : ils veillent tous à protéger les informations « sensibles » dont la divulgation menacerait leur conservation ou leur stratégie de conquête. C’est le rôle affecté aux divers services de renseignement et aux classifications de documents sous le sceau du « secret défense ».
Il en découle que ces informations cachées sont sinon les plus nombreuses du moins les plus importantes et les plus intéressantes. Il n‘est pas exagéré de se représenter le domaine de l’information comme un iceberg qui fait illusion montrant moins qu’il ne cache. Et ces informations très protégées sont forcément l’objet de toutes les convoitises. Pour accéder à l’information extorquée à l’insu et / ou contre le gré de l’émetteur, il peut être fait usage de tous les moyens, légaux et illégaux, moraux et immoraux, de la simple enquête critique méthodique, au chantage et à l’argent.
On songe aussi aux écoutes téléphoniques comme celles de l’Élysée des années 80, utilement rappelées, mardi soir 11 mars 2008, dans une émission de Christophe Hondelatte sur France 3 : Ils ne respectent rien. Parmi les sketchs d’humoristes, a été glissée de façon facétieuse la scène tragique et hilarante où l’on voit le président Mitterrand en train de « démentir comme un arracheur de dents » toute écoute ; filmée par des journalistes belges de la RTBF en 1993, elle est devenue depuis un grand classique de la duplicité : « L’Élysée n’écoute rien ! martèle-t-il avec la dernière énergie. Il n’y a pas de système d’écoutes ici et moi personnellement je n’en ai jamais vu une seule. (...) Si j’avais su qu’on allait tomber dans ces bas-fonds, je n’aurais pas accepté l’interview ! » (2) Depuis la condamnation de ses hommes de main, le 13 mars 2007, par la Cour d’appel de Paris, et sous réserve que la Cour de cassation saisie la confirme, on sait ce qu’il faut en penser. Piètre image que celle que laisse ainsi le président Mitterrand à la postérité !
Garder le silence ou parler ?
Ainsi, quand il advient que ces informations cachées sont prétendument découvertes, qu’elles soient fondées ou qu’il s’agisse de leurres, l’instinct de conservation commande-t-il de réagir. Et le plus vite est le mieux pour tenter de prévenir les effets nuisibles qu’elles risquent de provoquer.
- Le président Sarkozy n’a pas tardé, dès sa publication, pour dénoncer dans ce SMS un leurre de la manière la plus ferme qui soit, une plainte en justice, fût-elle promise à une prospérité incertaine. L’image d’adolescent immature, que cette publication donnait de lui, était désastreuse. Il ne pouvait garder le silence sous peine d’accréditer cette information.
- Mme Parisot n’a pas traîné non plus pour démentir dans la journée l’accusation, mensongère selon elle, dont elle faisait l’objet, et avec la même énergie en annonçant le dépôt immédiat d’une plainte en diffamation, confirmé le 11 mars. Et on le comprend. C’est toute sa stratégie de réhabilitation de l’image du patronat qui est en jeu. S’il était avéré, le silence qu’elle est accusée d’avoir gardé sur les pratiques corruptrices de l’UIMM jusqu’à leur divulgation imminente par l’article paru dans Le Figaro du 26 septembre 2007, signifierait qu’elle les tolérait, voire les « couvrait ». Son « opération mains propres » avec, entre autres initiatives, une promotion de l’entreprise dans les établissements scolaires (3), ne serait plus qu’un leurre de diversion.
- En regard, le silence gardé un mois durant par Mme Ciganer-Albéniz, sans l’annuler, affaiblit au moins la portée de son démenti. « Le silence, a-t-on déjà dit, peut être interprété comme un acquiescement », selon le mot de Miguel de Unamuno. « Qui ne dit mot consent », dit un proverbe français proche d’un proverbe allemand : « Keine Antwort ist auch eine Antwort », pas de réponse est aussi une réponse ! À tout le moins, peut-être Mme Ciganer-Albéniz a-t-elle obéi à des intérêts différents de ceux de son ex-mari.
On voit comme on est loin de la définition de l’information que les médias ne cessent de répandre pour leur promotion et l’égarement de leurs lecteurs. Le magazine L’Expansion (18.07- 4.09/1991) soutenait franco en 1991 qu’une information était « un fait avéré porté par les médias à la connaissance du public. » Voilà qui était rassurant ! Le journal Le Monde en 1993 (12-13/02/1993), plus circonspect, affirmait, de son côté, qu’ « informer, c’ (était) choisir de faire savoir » ; et il proposait à ses lecteurs un contrat selon lequel ceux-ci « (eussent) la quasi-certitude que toute information publiée (était) exacte. » (!) Mais quant à cet objet que l’on « choisit de faire savoir », aucune précision n’était donnée. On n’en savait pas davantage sur les critères qui conduisaient Le Monde à choisir les informations qu’il publiait et celles qu’il refusait de publier.
Les exemples ci-dessus montrent pourtant que la décision de mettre en lumière une information ou de la laisser dans l’ombre, de parler ou au contraire de garder le silence, n’est pas moins importante à élucider que le souci d’exactitude dans la relation. Une définition de l’information doit donc en tenir compte. Et sous cet angle, il n’est pas douteux qu’une information est la représentation d’un fait, transmise ou gardée secrète par un émetteur, ou encore extorquée par un récepteur. Paul Villach
(1) « L’affaire du SMS : le silence aussi est une information », 10 mars 2008
(2) Voir cette vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=8XVeBjHA8v8
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