La Présidentielle : un mode de scrutin en perte de vitesse et de légitimité
En comparant la participation électorale par ville en fonction de la date d'équipement en matériel télévisuel (aujourd’hui l’informatique, le net) aux États-Unis, l'économiste Matthew Gentzkow démontrait il y a plusieurs années, que paradoxalement la médiatisation entraîne une baisse de la motivation électorale réelle, par un désintérêt progressif pour la lecture des journaux et l'écoute véritable de la radio, jusque une perte ou réduction des connaissances politiques. Là comme ailleurs l’image tendrait à annihiler la réflexion, la pensée.
Chacun sait les ravages de la société du spectacle permanent. L’accès à une multiplicité non pas d’informations mais de données brutes sans analyse, inscrit dans une « culture » du fait divers et de l’anecdote, du bon mot, du bon angle de caméra, de la surface.
Comparativement aux Etats-Unis, la France aura su garder plus longtemps quelques lettres de noblesse et suffisamment de « sérieux » aux scrutins électoraux. Il n’est pas exclu que la résultante monarchique des institutions et du premier « personnage » de l’Etat, participe à cette préservation prolongée du Politique face à l’accroissement de la gadgétisation spectaculaire des médias.
Dans les années 80 (cette régression, tactique ou réelle étant d’actualité) des élus commencèrent à pousser la chansonnette dans des émissions de variété. Un président vînt révéler dans un JT son adoption du langage « chébran » avec le présentateur assis sur son bureau. Etre entouré d’une Cour de vedettes devînt un gage d’efficacité électorale et de « modernité ». Les conseillers publicitaires commencèrent à être plus écoutés que les Conseillers réellement politiques. Afin de participer à cette course à la scénaristique, un Président endossait bientôt un costume de scène. Un chapeau d’un autre temps fît l’affaire, agrémenté d’une écharpe rouge, bientôt adoptée par les proches. L’image supplantait la pensée, et les actes de gouvernance. Le spectacle était né.
Comme on inonde l’assistance de confettis les jours de fête, l’électorat recevait bientôt des volées de « badges » en fin de meetings. Afin de fidéliser la clientèle, on invitait cette dernière à les porter à la boutonnière. La « génération » des produits autant que d’un élu allait marquer l’Histoire, la petite histoire. Un successeur invitait pareillement à manger des pommes durant une campagne. La cuisine politique faisait-elle peu à peu table rase de toute exigence ou hauteur de vue ?
Tout cela mena à la plus récente gouvernance « bling bling » ainsi qu’à la téléréalité politique très « Primaire ». Cette campagne 2012 marque par la saturation spectaculaire relative à cette « séquence » de la communication électoraliste. Le peuple pensait que la crise et le chaos social sans cesse plus visibles sauraient nous épargner un nouveau déballage publicitaire, autant que les dépenses financières induites (location de salles immenses, transports…). Mais non, la classe politique aura ressorti ses plus beaux tréteaux dans la « Cour » de son école, pour la fête rituelle du grand patronage, comme d’habitude.
Hélas, la phase actuelle constituée d’une crise sans précédent autre que très lointain ne saurait supporter ce retour des vieilles habitudes. Cette fois-ci, le spectacle serait terminé.
Officiellement, plus de 9 millions de citoyens « vivant » au seuil de pauvreté et environ 60 % parvenant seulement à la fin du mois sans trop de dégâts sont les premiers « spectateurs » souffrants du grand cirque, de sa sonorisation grandiose, des éclairages surpuissants orientés vers des images et affiches dignes de vedettes.
Misère.
Ainsi, une Etude récente de Ifopa estime que le taux d’abstention pourrait atteindre 32 % au premier tour. Près d’un Français sur trois s’apprêterait à aller à la pêche le 22 avril et probablement le 6 Mai, trouvant premièrement la classe politique totalement disjointe du peuple. Le divorce. Jamais une campagne ne fût aussi vite essoufflée, poussive, irréelle, triste.
Certes, la rediffusion sur grand écran des heures fastes du Front Populaire et de la Révolution française aura su donner un peu d’entrain aux spectateurs. Le désespoir peut faire croire un instant aux lendemains qui chantent, un instant.
Désormais, le peuple déchante de façon quasi immédiate, à la vitesse de l’Internet. On tente même de revenir aux heures plus glorieuses de « l’arrivée de la Gauche au Pouvoir ». Cette fois-ci, ce ne serait ou sera qu’un énième retour. S’il fallut attendre deux ans après le « grand soir » de Mai 1981 pour entendre raisonner que « l’emmerdant c’est la Rose » avec l’acclamation majoritaire, cette fois-ci, le désenchantement pourrait bien régner en quelques mois. Comme en décembre 1995, il n’est pas exclu qu’en Décembre 2012, un air de « révolution citoyenne » se fasse entendre... mais dans les rues ? Et ce quel que soit le vainqueur.
Abstention ? A moins qu’il ne s’agisse d’une dernière chance donnée aux dirigeants de tous bords, un « CDD » de très courte durée. Ceux qui iront voter semblent y aller « en contre », comme une équipe de foot irait de dos affronter les concurrents. Aller au spectacle une dernière fois, pour oublier un instant la misère de masse... la révolte explosive longtemps retenue ?
Le 15 Avril, les deux principales compagnies iraient donc jusqu’à rassembler leur « troupe » résiduelle de fans, au même moment, à quelques petits kilomètres à pied dans Paris. Les chaînes de télévision aussi programment leurs soirées en fonction de la concurrence. Oui, du spectacle.
Les télé-philosophes et géopolitiques convoqués pour donner un peu de sens à l’Absurde assurent par avance que les femmes, les jeunes électeurs, les électeurs les plus âgés, les chômeurs, les membres des milieux populaires, auront tendance à s’abstenir (Ifop) davantage, comme d’habitude. Autant dire, une vraie majorité ?
Oui, tout doit être fait pour que le rituel spectaculaire puisse avoir lieu sans trop bousculer une société déjà bancale. Comme d’habitude ? Cette phase, ici et ailleurs, demeure pourtant inédite. Les habitudes s’avèrent rarement appropriées face à l’inconnu. Ainsi, le vote par conviction sera très minoritaire. Attiser les divisions, créer des boucs émissaires (désigner un grand méchant loup sacrificiel Elyséen…), faire croire que notre petit territoire peut avoir les moyens de vaincre les loups de « la finance mondiale », promettre que les euros tomberont du ciel... telles sont les principales répliques et « éléments » de langage tendant à prolonger le spectacle jusque son terme. Abstention.
Près d’un Français sur trois (32 %) s’apprêterait en effet, toujours selon l’Ifop, à bouder les urnes : du jamais vu sous la Ve République ! Un grand “chamboulement” redevient possible. Celui du mode de scrutin présidentiel ?
Les observateurs observent… que « au lieu de progresser dans la dernière ligne droite, comme c’est toujours le cas, l’intérêt des Français pour cette campagne ne cesse de diminuer » (Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop). Alors que Sarkozy et Hollande sont largement en tête des sondages pour le premier tour, les électeurs ne sont que 43 %, selon le même institut, à souhaiter le face-à-face de ces deux postulants (53 % – dix points de plus ! – préféreraient un autre duel de second tour). Le premier acte du spectacle convient plutôt au public. Pour le second et l’épilogue, le coeur n’y sera plus. Les artistes ne séraient crédibles que pour un seul feuilleton. Pour le film, le peuple rêve de plus grand, plus beau, plus haut.
Le triomphe de la politique spectacle n’empêche même plus les audiences des émissions politiques télévisées (17,4 % en moyenne contre 25 % en 2007 selon l’ifop) d’attester du même désintérêt grandissant des Français pour cette campagne.
Le “sursaut civique” tant célébré de 2007 n’aurait été qu’une aventure d’un soir, bien loin du grand amour retrouvé. Les français ne veulent plus de promesses ! Pourtant, comme un amant insistant et grotesque s’engageant à offrir la lune, chaque jour apporte son lot (à moins qu’il ne s’agisse de loterie) de mains sur le cœur. Promis, les plus riches seront dépouillés ? Au plus, de leur paire de lunettes de rechange. Promis, il n’y aura plus de cambriolages, qui viendront envahir le JT. On en parlera plus. Garder le silence serait un progrès. Comme l’abstention ?
Huit Français sur dix considèrent que quoi qu’il en soit « 2012 sera une année de difficultés économiques » selon un sondage réalisé récemment par le réseau Gallup International. Non seulement la France conserve son titre de championne du monde du pessimisme économique, mais les inquiétudes des Français se sont accrues. Ce niveau est le plus dramatique jamais enregistré en France depuis le début des enquêtes annuelles du réseau Gallup International, en 1978.
- Cette Présidentielle ressemble à une fin de cycle. La « représentation » que les français se font d’eux même s’inscrit dans une longue dépression collective, accrue par toutes les failles ou usures de la représentation au niveau électoral, et plus largement institutionnel. La crise n’est pas sans renforcer cet état des lieux.
- Ne serait-il pas temps de redéfinir pour 2017 (ou avant) la structuration même des élections présidentielles ? Cette opposition (souvent feinte et exagérée) frontale conduisant à diviser ou « cliver » n’est-elle pas la cause première du désintéressement croissant des citoyens à l’égard de ce scrutin et du Politique ? La mise en place de ce « ring » voyant deux finalistes se battre en place publique médiatique a-t-elle encore un sens ?
- Sauf à songer à la création d’un troisième tour, l’admission au second de tour de tous les candidats atteignant un score significatif (10 à 15 %) ne serait-elle pas à même de contourner une violente confrontation interdisant ensuite toute large « majorité d’idée » (formule d’Edgar Faure) seule à même de gouverner intelligemment et efficacement, au 21eme siècle ?
- Sans craindre les « majorités introuvables » de la 4eme République n’y a-t-il pas un réel intérêt à provoquer des « ralliements d’idée » et de projet, durant un second tour plus ouvert ?
L’abstention récurrente ou latente, outre l’illusion circonstancielle de 2007, n’invite-t-elle pas à cette refondation du scrutin présidentiel ? Les absents n’ayant pas toujours tort, il est fort probable que nous gagnerions à donner la parole à ceux qui refusent de la prendre dans un cadre artificiel et exigu, devenu peut être bien suranné.
Guillaume Boucard
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON