La professeur poignardée d’Étampes (suite) : une culture de l’indignité à l’Éducation nationale, preuves en mains
On se souvient que, le 14 novembre 2008, le tribunal administratif de Versailles a condamné l’État à verser 15.000 Euros d’indemnité avec intérêts à Mme Karen Montet-Toutain : c’était la chiche réparation du préjudice subi à la suite de la tentative de meurtre de sept coups de couteaux dont elle avait été victime de la part d’un élève dans sa classe du lycée professionnel Blériot d’Étampes, le 16 décembre 2005. La réaction du rectorat de Versailles avait alors surpris : il n’interjetait pas appel, avait-il déclaré, selon le Parisien.fr du 9.12.2008, au motif que « l’Etat (avait été) exonéré de toute responsabilité » dans cette agression (1)

On ne comprenait pas dans ce cas pourquoi l’État était ainsi condamné si ses représentants n’étaient pas impliqués d’une manière ou d’une autre dans ce préjudice. On a donc cherché à se procurer le jugement. Après lecture, tout s’éclaire.
1- Un jugement à lire entre les lignes
Le document est on ne peut plus concis. Il comprend quatre pages. Si on écarte le dispositif procédural, l’analyse des faits et le jugement tiennent en deux pages. Et si on ne prend pas en compte le rappel de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 et de son commentaire, l’analyse proprement dite du litige tient en 9 lignes.
Autrement dit, le tribunal ne s’est pas apesanti sur des faits qui ne nécessitaient aucune controverse, tant ils étaient évidents et faisaient mal sans que l’administration ait rien fait pour les prévenir. Ceci, certes, n’est pas écrit clairement noir sur blanc par le tribunal. Mais il faut lire entre les lignes.
2- Le rapport des inspecteurs-maison longtemps refusé à la victime
On apprend, d’abord, que Mme Montet-Toutain avait dû demander au tribunal que lui soit transmis le fameux rapport d’enquête des inspecteurs-maison qui avait conclu à l’exonération de toute responsabilité de l’administration en janvier 2006, conformément aux déclarations préalables du ministre de Robien ! Cela signifie donc que l’administration avait dans un premier temps refusé de le lui communiquer. Il est vrai que la loi du 12 avril 2000 qui a vidé de son contenu la loi du 17 juillet 1978, autorise l’administration à refuser à sa convenance la communication des documents administratifs nominatifs qui font apparaître le comportement d’autres personnes. Toutefois, elle s’était entre temps ravisée : le tribunal constate donc que le rapport a fini par être remis à l’intéressée et que la requête est devenue sans objet.
3- Le comportement cynique de l’administration et son mépris du professeur
Le rappel de la loi est ensuite l’occasion pour le tribunal d’énumérer les obligations de l’administration ("la collectivité publique") quand un fonctionnaire est attaqué à l’occasion de ses fonctions. Cette protection est d’abord un devoir : « La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires… », dit l’article 11 de la loi 83-634 du 13 juillet 1983.
1- Aucune assistance préventive
Force est de constater que l’administration n’en a rien fait dans cette affaire. On sait qu’elle a joué odieusement sur le fait que Mme Montet-Toutain, dans l’ignorance des textes, n’avait pas adressé une demande de protection à l’autorité compétente, le recteur, conformément à la procédure légale. Elle s’était contentée, la malheureuse, de faire un rapport au conseiller principal d’éducation, d’alerter l’inspectrice pédagogique régionale par courriel et la proviseur de vive voix en essuyant de sa part des rébuffades humiliantes : « De mieux en mieux ! » avait rétorqué cette dernière quand la victime lui avait signalé que ses élèves avaient menacé de la violer en classe et de se la passer à tour de rôle ! Mais cela signifie qu’il ne s’est trouvé personne de l’administration ni parmi les collègues, syndiqués ou non, pour lui indiquer la procédure de demande d’une protection statutaire en cas d’attaque à l’occasion des ses fonctions ! C’est du joli ! Qu’on se reporte au livre de Mme Montet-Toutain ! (2)
2- Aucune réparation spontanée du préjudice subi
Le tribunal souligne, d’autre part, « que cette obligation de protection peut avoir pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire est exposé et de l’assister dans les procédures judiciaires qu’il pourrait engager, mais aussi de lui assurer une réparation intégrale des préjudices qu’il a subis ».
- L’assistance consentie à Mme Montet-Toutain s’est donc réduite au service minimum : seuls ses frais d’avocats ont été pris en charge, constate le tribunal. L’administration n’a même pas jugé utile de se constituer partie civile aux côtés de la victime : sans doute les faits n’étaient-ils pas assez graves… puisque la victime avait survécu !
- Quant à la réparation intégrale du préjudice subi, l’administration a eu l’indélicatesse de tenter d’y échapper. Elle pensait sans doute que c’était une façon de reconnaître sa part de responsabilité dans la tentative de meurtre et que tout recours de Mme Montet-Toutain devant la juridiction administrative serait frappé d’irrecevabilité pour vice de forme puisqu’elle n’avait pas respecté la procédure initiale de demande de protection statutaire.
Le tribunal n’a pas ergoté : il n’en a pas moins reçu sa demande : « (…) Il ne résulte pas de l’instruction, écrit-il, que (l’administration) l’ait indemnisée du préjudice moral résultant de son agression ; qu’en l’absence de tout motif d’intérêt général, Mme Toutain est donc en droit d’obtenir de l’État qu’il l’indemnise de ce préjudice moral (…) »
Sans doute, le jugement de parle-t-il pas explicitement de « la faute » commise par l’administration dans son refus initial de la protection statutaire due à Mme Montet-Toutain et dans son assistance minimale à ses côtés devant la juridiction judiciaire. Et on doit le regretter. Mais on ne peut nier que la première abstention a laissé la voie libre à la perpétration du crime, et que la seconde a montré le cynisme et le mépris du professeur qui guident cette administration. La condamnation de l’État à verser cette indemnité à la victime n’en livre pas moins de ses représentant un visage hideux. Il n’y a qu’une administration inhumaine pour pouvoir se féliciter d’un tel jugement sous prétexte que le mot « faute » n’y figure pas. Elle se moque bien de n’avoir même pas eu l’élémentaire correction d’épargner à la victime qui avait déjà tant souffert, une procédure supplémentaire et inutile pour obtenir la réparation à laquelle elle avait simplement droit. Quelle indignité ! Et ça prétend éduquer la jeunesse d’une nation ! (3) Paul Villach
(1) Paul Villach, « La conduite indigne de l’administration envers K. Montet-Toutain, cette professeur poignardée dans sa classe », AGORAVOX, 9 décembre 2008.
(2) Paul Villach, « Le livre de Karen Montet-Toutain, professeur poignardée : le service public outragé ! », AGORAVOX, 4 octobre 2006.
(3) Paul Villach, « Karen-Montet-Toutain, ce survivant reproche vivant qu’aimerait discréditer Le Figaro », AGORAVOX, 26 janvier 2009.
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