La pulsion de mort (actualisée au vu d’événements récents)
Quelques événements récents ont accru l’actualité de ce petit texte : le premier, en avril, est connu sous le nom d’« attentats du marathon de Boston » : l’autre, en mai, a vu un petit garçon de cinq ans exécuter sa petite soeur avec la carabine qu’on lui avait offert : ce nouveau drame été qualifié de « malheureux accident ».
Puis, il y a eu la reprise d’une vague pulsion de mort dirigée contre soi : dans une école, dans une cathédrale…
Ce dernier suicide a fait l’objet d’un texte de propagande sur AGORAVOX. L’auteur y évoquait sans rire un « sacrifice ».
Pas de chance pour l’écrivaillon : dans la journée, la pulsion de mort donnait lieu à un drame plus retentissant dans la banlieue de Londres.
Régulièrement, des « experts » passent à la télé pour deviser sur de graves sujets, et parfois pour en débattre.
Ce jour-là, le sujet était cette pulsion de mort qui anime parfois les citoyens étatsuniens (néanmoins sujets de la psychiatrie). C’était suite à de ces massacres, je ne sais plus lequel, il y a deux ou trois ans. En 2012, on retiendra celui perpétré dans un cinéma à l’occasion de la sortie d’un nouveau Batman ; et celui dans une école maternelle qui a pu donner l’impression que le président fraîchement réélu peut-être vouloir légiférer sur la question des armes.
Généralement, le culte des armes dans cet empire et le culte du 2ème amendement qui le justifie sont mis en avant pour expliquer « historiquement » le phénomène. Il est écrit dans ce fameux amendement que « le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. »
Ce jour-là, un spécialiste de la civilisation étatsunienne osa une assertion et usa d’un paradoxe. Certes, il arrive à des citoyens américains de massacrer de temps en temps une dizaine de leurs concitoyens (parfois même, dans des écoles, des citoyens en devenir). Mais la civilisation étatsunienne n’a pas connu ces massacres de masse dont a été coutumier le vieux continent : guerres napoléoniennes, boucheries de la Première Guerre mondiale et extermination de populations civile lors de la Seconde.
Cette remarque peut être discutée. Elle est donc discutable. Je ne me souviens plus si elle a été discutée.
Certes, on peut opposer la shoah à Bowling for Columbine. Dès lors les massacres étatsuniens passent pour de petits détails.
Quelques remarques pour prendre du « recul »
Mais les Etats-Unis ont été pionniers dans la guerre de masse quand leur union, justement, a été mise en cause. Les Français la connaissent sous le nom de « Guerre de sécession ». Les Etatsuniens l’appellent plus sobrement « Civil War ». Ce fut « quatre années de batailles sauvages, avec 2.800.000 combattants, qui firent quelque 628.000 morts et des centaines de milliers de blessés, sur une population de 35 millions d'habitants ».
http://www.medarus.org/NM/NMTextes/nm_03_02_secession.htm
« La guerre a été meurtrière. A ce jour, la guerre de Sécession reste le conflit le plus coûteux en termes de destructions et de pertes humaines dans l'histoire américaine. Les historiens s'accordent pour estimer qu'environ 620 000 soldats ont été tués et au moins autant blessés. Le plus souvent, les hommes ne sont pas morts au combat, mais des suites des épidémies qui ravageaient les régiments. Le Nord a perdu presque un soldat sur cinq, c'est-à-dire environ 360000 hommes. Quant au Sud, près d'un soldat sur quatre a péri, soit environ 260 000 hommes. En plus de ces pertes militaires, on compte plusieurs centaines de milliers de victimes civiles, soit environ un million d'hommes et de femmes sur une population totale de dix millions d'habitants. »
http://cle.ens-lyon.fr/anglais/la-guerre-de-secession-ou-les-etats-desunis—20402.kjsp
Ces chiffres résonnent avec ceux de la Première Guerre mondiale
Le pourcentage de pertes par rapport aux combattant engagés est de 22 %. Et donc supérieur à celui de la France ( 20 %). Rapporté à la population il est moindre : 1,79 % pour 4,08. La population des Etats-Unis étaient alors moindres (35 millions) que celle de la France (40 millions). Mais surtout la France envoya sur les champs de bataille plus de 8 millions de combattants. La Guerre Civile e vit s’affronter 2,8 millions de combattants.
En effet, les pertes étatsusiennes dans les deux conflits mondiaux furent de 350 300 pour le 1er et 300 000 pour le second ; et 211 480 pour la guerre du Viet-nam.
Rapportés aux chiffres des combattants, les pertes sont de plus de 22 % pour cette Guerre Civile, de 8 % pour la Première Guerre Mondiale et d’un peu plus de 2 % pour les deux autres conflits.
Rapportés à la population, elles sont respectivement de plus 3,5 %, de 0,3 %, de 0,2 % et de 0,1 %.
On peut dire que, d’une certaine façon, cette « Guerre Civile » fut une application du 2ème amendement. Et amendement dit précisément : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu' a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. »
Cette notion de milice bien organisée vient du droit coutumier anglais. Les Pères fondateurs l’ont introduite en Amérique en même temps que le puritanisme. Leurs successeurs en ont fait usage contre la puissance coloniale pendant la guerre d’indépendance qu’on appelle là bas la « Révolution ».
Mais dès les origines, les Etats-Unis s’étaient construits aussi sur une élimination massive des premiers occupants qu’on appelle aujourd’hui les amérindiens (the Natives) ; et sur l’exploitation systématique d’une population noire importée d’Afrique (the colored peoples).
Il est vrai que depuis les Africains se sont lancés aussi dans le massacre de masse, et qu’on a pu parler de génocide.
Donc, certes, d’une certaine façon, la civilisation étatsunienne n’a pas connu ces massacres de masse dont a été coutumier le vieux continent
Mais cette façon de parler, c’est d’abord la façon de parler des vainqueurs, de ceux qui écrivent l’histoire.
Si les nazis avaient vaincu et établi le Reich pour 1000 ans, parlerait-on dans les mêmes termes de la Shoah ?
L’archaïsme techniquement équipé en Puritanie
Il ne me souvient pas que ces questions aient été abordées ce jour par l’un ou l’autre des experts télévisuels. Le présentateur a dû les presser pour répondre aux « questions SMS et internet ».
Pourtant, il est deux choses qui sautent aux yeux. D’une part, le culte des armes semble aller main dans la main avec le puritanisme, le fondamentalisme religieux. D’autre part, cette coïncidence (parce qu’il s’agit peut-être d’une coïncidence) se retrouve en « terre d’islam » et dans le « nouveau monde étatsunien ».
Ainsi le fondamentalisme religieux sévirait dans les Orients, (proche et moyen, notamment) comme en « extrême Occident ». Aux razzias des bédouins et des méharistes, répondraient les chevauchées sauvages et fantastiques des cow-boys. A la charia pour tous, la loi de Lynch pour les mauvais Américains.
De quoi être désorienté.
Un livre de Malek Abbou[1] permet de se réorienter un peu. Dans son premier chapitre intitulé Figures de l’être puritain, il a quelques lignes sur fondamentalisme religieux et constitutionnel aux Etats-Unis…constitutif des Etats-Unis :
« Précisons que le puritanisme, cette dissidence de l'anglicanisme issu du calvinisme genevois n'est ni une doctrine ni une Église. Il n'est pas non plus le fait d'une confession exclusive. Il est manifestement une conduite, un état d'esprit et de corps marqué par l'âpreté au travail, une rigidité de pensée et une restriction sensuelle maximale. »
(…)
Mais ce dynamisme social, cette rationalisation en marche de l'économie est cependant subordonnée à une exigence supérieure : plier les énergies à la volonté divine, à ses desseins providentiels. En cela, la dynamique puritaine façonne implacablement les formes de sociabilité.
Depuis 1740, les États-Unis connaissent des phases d'expansion de mouvements évangéliques. On appelle « Grands réveils » ces effervescences religieuses de la société américaine qui s'étendent par contagion émotionnelle ». (p 9)
« Sans doute faut-il reconnaître le puritain à son aversion pour la Révolution française. (…). Instrumentaliser les suppliciés de l'Histoire pour confondre l'exercice de la pensée révolutionnaire avec un camp de concentration est sa dernière tactique en date (…). C'est que ce double adepte de la prédestination et dépravation également totales ne peut souffrir la notion de libre arbitre. À ses yeux si « la volonté est dépouillée de liberté et nécessairement tirée du mal[2] », c'est parce que « l’impatience est une révolte contre la justice de Dieu ». Dans ses emportements militants, le puritain emploiera tous les moyens pour faire valoir la résignation et faire renoncer à toute présomption, appuyer au besoin les contre-révolutions. Si la France est son adversaire téléologique intime, c'est qu'il n'y a pas de place dans le monde pour deux universalisme La nation américaine et sa Constitution médiatrices des desseins du Ciel doivent seules pouvoir être observées comme modèles. » (p 17)
Malek Abbou a certainement remarqué que les peintures qu’il fait du puritanisme anglo-saxon et de sa négation du libre arbitre pourraient tout aussi bien décrire le puritanisme musulman : la soumission remplaçant la prédestination ; l'âpreté et l’acharnement au jihad se substituant à l'âpreté et à l’acharnement au profit et au travail.
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