La question des hautes rémunérations (2) : Profil
Ecartons tout de suite une source de confusion. Nous parlons des très grandes entreprises cotées. C’est par un abus de langage que l’on attribue parfois à leurs chefs le qualificatif d’entrepreneur alors qu’ il est extrêmement rare qu’elles soient dirigées par les fondateurs de l’entreprise ou par des personnes y ayant engagé l’essentiel de leur patrimoine personnel comme le souligne Claude-Christian Pierre dans l’intéressant commentaire qu’il a posté sur ma première note sur ce sujet en avançant d’ailleurs des idées sur lesquelles je reviendrai.
J’ai toujours été frappé de la faiblesse relative du nombre d’actions de leur entreprise, par rapport à leurs revenus, que possédaient la plupart de ces dirigeants. Pas plus que je n’ai eu d’imitateurs lorsque j’ai renoncé à mon indemnité de départ, je n’ai eu beaucoup d’émules qui, comme je l’avais fait, non pas par le biais d’options de souscription d’actions, mais en utilisant mon épargne personnelle, aient investi l’essentiel de leur patrimoine dans l’entreprise cotée qu’ils dirigeaient.Fils d’un entrepreneur, en l’espèce, ma mère, qui avait toujours tout risqué dans l’entreprise qu’elle avait créée et développée avec succès, je n’ai jamais imaginé faire autrement à partir du moment où je prenais la responsabilité d’une grande entreprise cotée.
L’entrepreneur est celui qui, à partir d’une innovation, construit et développe une entreprise ou qui investit son patrimoine dans un projet qui l’a convaincu, prenant ainsi un risque personnel. L’avantage financier qu’il en retire le cas échéant s’il réussit ne provient pas principalement des salaires, des primes ou même des dividendes qui lui auront été versés, mais surtout de la valorisation croissante de son entreprise. A juste titre l’enrichissement dont il bénéficie ainsi n’est plus réellement contesté par l’opinion publique même si notre système fiscal reste peu avantageux dans de telles situations. Quant à la sanction en cas d’échec, elle est automatique à travers la perte sans recours de son patrimoine.
Les chefs de la plupart des grandes entreprises cotées n’ont pas eu un parcours de ce type. Par des cheminements divers, mais toujours en position de salariés, ils aboutissent à des positions de direction générale dans une entreprise déterminée et sont portés à la présidence de celle-ci ou d’une autre par la décision d’un conseil d’administration, inspiré ou non par son précédent titulaire et assisté ou non par un cabinet de recrutement spécialisé.
Le fait que l’intéressé ait été éduqué à l’Ecole Nationale d’Administration, à l’Ecole polytechnique ou dans une autre école d’ingénieurs, à HEC ou dans une autre école de commerce ou tout simplement à l’Université, qu’il ait passé toute sa carrière dans l’entreprise ou seulement une partie ou pas du tout, qu’il ait connu d’autres expériences publiques ou privées dans sa vie professionnelle, qu’il ait ou non vécu et travaillé à l’étranger, ne change rien à cette problématique. Au point de départ, il s’agit d’un salarié qui devient mandataire social ou d’un mandataire social qui change d’entreprise en raison des talents que lui prête un conseil d’administration et qui sont en principe attestés par son parcours professionnel antérieur.
Ce changement de position n’entraine aucune mutation génétique et ne fait pas de l’intéressé un être à part qui se verrait soudain doté de toutes les vertus de l’entrepreneur au sens propre que, sauf exception, il n’a jamais été. C’est un cadre supérieur qui est porté à la fonction suprême parce qu’il est supposé avoir une vision de l’avenir de l’entreprise et savoir diriger, innover, animer, stimuler, contrôler et réussir, toutes qualités que requiert la conduite de la grande organisation qu’elle représente et qui doivent être aussi à leur échelon celles de leurs autres grands dirigeants. Le président directeur général d’une grande entreprise cotée est ainsi un homme comme les autres qui ne justifie aucune révérence particulière, qui obéit aux mêmes ressorts que le commun des mortels et qui doit donc être traité comme tel.
C’est le moment de souligner, comme Jack Welch le faisait récemment dans un entretien avec Laure Belot dans Le Monde du 7 juin 2005, que le plus grand rôle d’un conseil d’administration est d’être sûr d’avoir le bon dirigeant et d’avoir préparé un plan de succession pour le prochain. De ce point de vue et contrairement à une idée répandue, il est d’une manière générale préférable que le nouveau président directeur général soit recruté parmi les dirigeants de l’entreprise. La pratique de plus en plus fréquente au sein des conseils d’administration de privilégier les recrutements externes au prétexte que du sang neuf est plus approprié pour conduire l’entreprise, notamment quand elle connaît des difficultés est, sauf circonstance particulière, particulièrement critiquable.
Certes il est nécessaire, dans le cours du processus de sélection, de comparer les candidats internes à d’éventuels candidats externes. Il est en outre indispensable d’inclure la capacité à générer progressivement des successeurs potentiels dans les critères d’évaluation des présidents directeurs généraux en place. Mais on ne mesure pas les retards, les erreurs d’appréciation, voire même les dégâts irréversibles que peut provoquer l’arrivée d’un nouveau président directeur général venant de l’extérieur quand il ignore complètement l’entreprise ou le métier qui est le sien. Il y a bien sûr des exceptions que les circonstances peuvent imposer et qui peuvent se révéler bénéfiques, mais le risque est du côté du recrutement externe.
Si le futur président directeur général d’une grande entreprise cotée est dans la plupart des cas un ancien cadre dirigeant de cette même entreprise ou d’une autre et, de surcroît, si la promotion interne doit être encouragée, il faudra s’en souvenir quand il s’agira de discuter la référence à prendre en compte pour fixer sa rémunération.
Prochaine note : (3) Spécificité
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