La question du prix du pétrole
La baisse du prix du pétrole pose un réel problème de compréhension puisque l’on en voit plusieurs explications de la part d’experts économiques. Dans des exposés souvent très contradictoires.
Parmi ces analyses, il y a naturellement celles d’ « experts » autorisés, quasi officiels puisqu’ils monopolisent les plateaux de télévision, diffusées massivement par nos médias comme de coutume. Elles s’accompagnent généralement d’une réjouissance affichée à propos des problèmes engendrés en Russie par cette baisse du pétrole et l’effet des sanctions économiques.
Ces explications placent ce phénomène de baisse drastique dans le cadre de la guerre économique menée contre la Russie et l’Iran principalement, quand bien même des effets secondaires sur le Venezuela et l’Algérie ne sont pas pour déplaire.
Il est à noter que ces mêmes « experts » qui s’attachent en général à minimiser la crise économique dans la zone des pays européens liés par les traités, voient également, avec le FMI, dans cette baisse une chance de relance de nos économies.
Si l’on se tourne vers des économistes moins alignés, les « éconoclastes » par exemple, on trouve d’autres analyses plus ouvertes, qui révèlent en particulier les répercussions et problèmes que ce phénomène de baisse entraine en retour dans le camp occidental élargi, avec l’Arabie saoudite en figure de proue.
On en retire d’abord l’impression que ce prix du pétrole à un niveau très bas, alors que dix ans en arrière on prédisait qu’un baril à 150 dollars tuerait l’économie mondiale, occasionne des problèmes économiques partout dans le monde et que les prévisions du FMI sont, comme d’habitude, à côté de la plaque.
Cet article n’a pas la prétention d’expliquer les causes et les conséquences de cet état de fait, mais de mettre en évidence quelques mécanismes majeurs dans cette évolution du prix du baril et d’en tirer une conclusion, évidemment fragile, mais qui peut prendre de la consistance au fil du temps.
Le prix du baril
C’est un marché de type boursier avec deux places financières, anglo-saxonnes, qui détermine le prix du baril de pétrole.
Il y a plusieurs niveaux de transactions, qui se distinguent entre physique, quantité et prix, le plus souvent dans des transactions journalières, - spot -, et financières sur un marché à terme, mais où les transactions peuvent porter jusqu’à 15 ans.
Ce sont les transactions physiques journalières sur le marché dit spot des deux principales bourses vendant d’un côté le pétrole WTI, de meilleure qualité, à New York et de l’autre le Brent à Londres qui déterminent ce que l’on donne couramment comme le prix du baril.
Ces deux prix résultent donc directement de la loi de l’offre et de la demande.
Bien que le volume des transactions sur le marché spot ne représente que de l’ordre de 10% du volume total des opérations, l’essentiel des achats se réalise donc sur un marché financier, ce sont ces deux prix qui sont directeurs parce le marché à terme colle de très près à celui du spot.
Le rôle de la spéculation
L’aspect spéculatif joue sur plusieurs plans.
Tout d’abord une cargaison de pétrole et sa suite résultant de raffinage, peuvent être revendues plusieurs fois.
Le marché financier autorise encore mieux le jeu spéculatif. C’est d’ailleurs à ce niveau qu’interviennent des fonds d’investissements spéculatifs.
Une commission du Sénat vient de se pencher sur l’impact de la spéculation sur le prix du pétrole.
Celui-ci est estimé dans ce cadre à de l’ordre de 10 à 20%.
Ce qui est beaucoup sous l’angle des gains spéculatifs, d’où la création de bulles, mais ne donne pas à la spéculation le rôle majeur dans la formation des prix du pétrole.
Le problème spéculatif ne semble donc pas être le principal moteur de la situation actuelle.
Mécanismes de la baisse du baril
Compte tenu des éléments précédents on peut avoir une idée des mécanismes qui interviennent dans cette baisse importante du prix du pétrole.
1) le premier facteur majeur est la baisse de la demande conséquente et constante, due essentiellement à la récession économique mondiale, qui joue sur les marchés Spot et à terme.
2) Dans ces conditions si les pays producteurs ne baissent pas leur production, le prix du pétrole a tendance à baisser. Le plafond de production des pays de l’OPEP, dominée par la production de l’Arabie saoudite est maintenu depuis assez longtemps à 30 millions de barils/jours. La production de pétrole de schistes aux USA se situe au mieux à 1 million de barils/jour. Cela n’a donc pas un effet notable. Parmi les autres vendeurs de pétrole il y la Russie, l’Iran, le Venezuela et l’Algérie, dont les économies sont plus ou moins dépendantes de leur rente pétrolière. Ces pays sont donc conduits à maintenir leur production, voir à l’augmenter dans le cas de l’Iran.
3) La spéculation est donc un facteur amplificateur des tendances. Il est évident que compte tenu de l’abondance de l’offre et des prix bas, des fonds d’investissements peuvent spéculer sur un rebond du prix du pétrole dans le courant 2015 et donc intervenir sur le marché à terme.
Quelques conséquences des prix bas du baril de pétrole
Sans être exhaustif on peut citer quelques avantages et inconvénients de ce facteur économique de base qu’est un pétrole à bas prix.
Cela fait souffrir les économies des pays producteurs. Au premier rang l’Arabie saoudite qui dépend à 90% de la manne pétrolière et qui, au niveau actuel du baril, perdrait des centaines de milliards de dollars par an. D’autant plus que des éléments laissent à penser que cette monarchie voit son pétrole atteindre le peak oil, dont le fait qu’elle cherche de manière indirecte à mettre la main sur le pétrole syrien et irakien. Mais également et principalement celles de la Russie et de l’Iran, pays que l’axe occidental otanien auquel se joignent Israël, l’Arabie saoudite et le Qatar, cherche à faire plier.
On pourrait aussi penser que cela fait baisser les gains spéculatifs, mais il faut penser à l’aspect des achats sur le marché à court terme en vue de gains différés en cas de fort rebond du prix du baril en 2015.
Dans la mesure où le seuil de rentabilité du pétrole de schiste aux USA est de l’ordre de 50 dollars le baril, un prix du baril conventionnel qui descendrait nettement sous les 60 dollars rendrait ce type de pétrole non rentable aux Etats Unis.
Du point de vue des avantages le FMI qui par nécessité voit toujours une reprise de l’économie pour demain, met en avant l’avantage que présente un pétrole peu cher pour l’économie aussi bien de production que des services et du tourisme. Mais cela ne tient pas compte des programmes d’austérité renforcée que cet organisme a la fonction essentielle d’imposer aux peuples de tous les pays où il a de l’influence, c’est à dire beaucoup pour le moment. Cela provoque une baisse de la consommation qui ampute fortement la capacité du marché auquel s’adresserait une relance de la production par exemple.
Dans la conjoncture économique du monde d’aujourd’hui, on voit que la baisse du prix du baril de pétrole comporte énormément d’inconvénients, sans apporter d’avantages clairs.
Est-ce que l'on peut contrôler le prix du baril pour en faire une arme économique ?
La première chose qu’il faut considérer résulte de l’analyse précédente. C'est-à-dire que dans un contexte mondial d’affrontements, avec des points chauds aux portes de la Russie et de l’Iran, si l’on veut se servir du prix du baril comme arme économique vis-à-vis de ces pays, il est nécessaire de prendre en compte les inconvénients ci-dessus.
Le but serait de provoquer des troubles à l’intérieur de ces pays qui s’appuyant sur un mécontentement populaire engendré par une mauvaise situation économique, pourrait déboucher sur une révolution orange. L’Iran ayant déjà surmonté les sanctions, cette opération s’adresserait plutôt à la Russie.
Etant donné les points relatifs aux inconvénients cités précédemment pour ce que l’on peut nommer le camp occidental, une telle action devrait être très efficace à court terme, parce que l’Arabie saoudite ne pourrait supporter un tel régime sur plus de six mois, un an sans doute et ne pas faire baisser le baril en dessous des 60 dollars.
Cela rend déjà très délicat ce type d’attaque par le biais de l’économie.
Mais en plus, dans le cadre d’une action programmée et coordonnée, il faudrait avoir la maîtrise complète du processus de formation du prix du baril.
Pour cela il faut disposer de leviers d’actions directes sur le mécanisme déterminant dans la fixation quotidienne du prix du baril, c'est-à-dire la Loi de l’offre et de la demande.
En fait on peut essentiellement jouer sur l’offre par le biais de la production. Ce qui placerait l’Arabie saoudite au cœur de la question.
La demande est avant tout déterminée par les besoins d’énergie de nature économique. La seule possibilité d’agir sur la demande est d’acheter et de stocker du pétrole.
Si le premier levier, la production, peut être actionné pendant des mois, il n’en est pas de même du second, l’achat en surplus des besoins.
Donc, on aurait plutôt tendance à conclure que l’utilisation du prix du baril comme une arme de déstabilisation dirigée avant tout vers la Russie semble à la fois trop délicate et comporter trop de risques de retour de flammes, pour être mise en œuvre. Par l’intermédiaire de l’OPEP donc.
Conclusion
Dans le contexte actuel il faut se garder de trop se fier à la logique. Quel raisonnement logique peut expliquer la non livraison des Mistrals à la Russie par la France ?
Nous sommes dans une période de guerre économique totale menée par le clan anglo-saxon vis-à-vis de la Russie, la Chine ayant une situation différente et un peu moins innocente puisque l’on peut bien imaginer qu’elle est derrière l’escalade de l’armement en Corée du Nord et les provocations de ce pays.
L’hypothèse la plus couramment avancée est d’ailleurs celle d’une opération concertée visant la Russie, menée par l’Arabie saoudite et les USA. Celle-ci est un peu confortée par le fait que le prix du baril semble actuellement se stabiliser autour de 60 dollars.
Mon avis personnel n'a évidemment aucune valeur, mais je trouve ce type d’action extrêmement complexe à maîtriser et d’une efficacité sur la plage du court terme exigé, trop incertaine. Il en résulte que je vois plutôt cela comme une conséquence du chaos économique mondial qui s'amorce. Et dont nous n’avons aucune idée parce que nous ne disposons pas des données de bases et des analyses justes.
D’où l’intérêt du débat sous cet angle.
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