La « renégociation des traités » fantasme ou réalité ?
La « renégociation des traités » fantasme ou réalité ? Une « autre Europe » est-elle possible ? Examen de l’article 48 du TUE – Traité sur l’Union Européenne –
Les partis politiques en France, concernant l’appartenance de notre pays à l’Union européenne, se divisent en trois groupes. Ceux qui font une allégeance totale à l’Union européenne, ceux qui la critiquent en voulant, à choix, selon leur propre vocabulaire, « renégocier les traités », « sortir des traités », « sortir de cette Europe », et ceux qui veulent sortir définitivement de l’Union Européenne.
La position des premiers est parfaitement assumée, l’organisation de l’Union Européenne n’est pas critiquable et leur convient. Celle des derniers ne l’est pas moins. Il s’agit de sortir de l’Union Européenne en utilisant l’une des dispositions prévues dans les traités à cet effet, en vertu du droit des peuples à disposer d’eux même. Il s’agit de l’article 50 du TUE, Traité sur l’Union Européenne, celui que la Grande Bretagne va, selon toute vraisemblance, déclencher dans quelques semaines, voire quelques mois.
En revanche, un groupe de partis politiques, allant du NPA, au Front de Gauche et au parti communiste, en passant par DLF, nouvelle donne, nous citoyens, solidarité et progrès ou encore le FN, préconisent de « renégocier les traités », de « changer cette Union Européenne », d’aller vers une « Europe plus sociale », une « Europe des travailleurs », ou encore une « Europe des Nations ». Attachons nous donc de savoir dans quelles conditions une « renégociation des traités » pourrait transformer radicalement les dispositions de ceux ci pour permettre l’émergence de cette « autre Europe » appelée de leur vœux par nombre de partis politiques.
En préambule, je voudrais rappeler aux lectrices et aux lecteurs, le titre VI de la constitution de la 5ème République française, « des traités et accords internationaux », en retranscrivant son article 55 : « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
Cet article 55 pose donc bien la suprématie des traités internationaux sur les lois nationales. Sauf à être parjure à la constitution de la 5ème République, puisque, selon celle-ci, le président de la République est « le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ».
Au sein de l’Union Européenne le Traité sur l’Union Européenne –TUE- et le Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne – TFUE- ont rassemblé toutes les dispositions issues des traités de Rome, Maastricht, Amsterdam, Nice et Lisbonne. Ces deux traités, TUE et TFUE, constituent une forme de « constitution de l’Union Européenne » puisqu’ils définissent le rôle des différentes institutions de l’UE et organisent les relations entre celles-ci. Ces 2 traités s’imposent à la France en vertu de l’article 55 de sa constitution. Dire que l’on pourrait y « désobéir » est une vue de l’esprit, à moins de prendre la posture de celle, ou de celui, qui voudrait gouverner la France en ne respectant pas sa constitution. Mais, dans cette situation, nous serions plus près d’un fonctionnement dictatorial que de celui d’une démocratie représentative.
Dans le TUE, l’article 48 envisage la manière dont les traités peuvent être modifiés. Il existe deux procédures pour ce faire : la procédure de révision « ordinaire » et la procédure de révision « simplifiée ». Cette révision simplifiée ne peut concerner que la 3ème partie du TFUE relative aux politiques et actions externes de l’UE. Nous n’aborderons pas ici le processus de ces changements relativement mineurs.
La procédure « ordinaire », quant à elle, permet au gouvernement de tout Etat membre, au parlement européen ou à la Commission Européenne, de soumettre au « Conseil » des projets tendant à la révision des traités. Ces projets peuvent tendre à accroître ou à réduire les compétences attribuées à l’UE dans les traités. Ces « projets » sont transmis par le Conseil au Conseil Européen et notifiés aux parlements nationaux.
Je crois utile ici de rappeler, pour plus de clarté, ce qu’est le « Conseil » et ce qu’est le « Conseil Européen ». Les deux termes sont proches mais distinguent deux entités différentes.
Le Conseil Européen est la réunion de l’ensemble de chef d’Etats et de gouvernements de l’UE. C’est simple.
En revanche, le « Conseil » qui est aussi une entité unique, est une structure variable selon les « sujets » abordés. Par faire simple, le « Conseil » est la réunion des ministres des Etats membres de l’UE pour un sujet donné. Par exemple le « Conseil » de l’agriculture et de la pêche réunira les ministres de l’agriculture et de la pêche de tous les Etat membres. Il existe ainsi 10 formations possibles, prévues par les traités, en ce qui concerne le « Conseil ». Pour être exhaustif et précis et mesurer toute la complexité de l’UE, les voici listées :
1°) Le conseil des affaires générales, composé des ministres des Affaires étrangères.
2°) Le conseil des relations extérieures, composé des ministres des Affaires étrangères auxquels s’adjoint le Haut Représentant de l’UE pour les affaires étrangères, actuellement l’Italienne Mme Fédérica Mogherini.
3°) Le conseil des affaires économiques et financières, composé des ministres de l’économie et des finances.
4°) Le conseil de l’agriculture et de la pêche, composé des ministres de l’agriculture et de la pêche.
5°) Le conseil de la justice et affaire intérieures, composé de ministre de la justice et de l’Intérieur.
6°) Le conseil de l’emploi, de la politique sociale, de la santé et affaires relatives à la protection des consommateurs, composé des ministres de l’emploi, de la protection sociale, de la protection des consommateur, de la santé et pour l’égalité des chances.
7°) Le conseil de la compétitivité, composé des ministres s’occupant d’affaires telles que les affaires européennes, l’industrie, le tourisme ou la recherche.
8°) Le conseil des transports, télécommunications et énergie, composé des ministres en charge dans les Etat membres de ces sujets.
9°) Le conseil de l’environnement, composé des ministres en charge de ce sujet.
10°) Le conseil de l’éducation, de la jeunesse, de la culture, de la politique audiovisuelle et du sport, composé des ministres concernés par ces sujets.
Ce rappel effectué, nous pouvons nous concentrer sur la « renégociation des traités ». Comment se passerait une renégociation souhaitée par le gouvernement français ? La première chose à faire, selon l’article 48 du TUE, est de saisir le « Conseil » du projet. Comme nous venons de le voir, celui ci peut se réunir selon 10 formations différentes. La première étape consiste, par conséquent, à identifier la disposition à « réviser » afin de déterminer quelle sera la « formation » du Conseil, apte à se saisir de ce projet de révision. J’ouvre ici une parenthèse que je crois utile. La « révision » d’un traité, parlons, pour être précis, de la « révision d’une disposition d’un traité », n’est donc pas négociée par les chefs d’Etats et de gouvernements de l’UE. Ils ne se rassemblent pas autour d’une table pour chercher un arrangement entre eux. Les choses sont d’une grande complexité comme nous allons le découvrir.
Le « Conseil » est donc saisi d’un projet de révision des traités. Il doit, lors d’une première étape, consulter le Parlement européen et la Commission européenne. Le « Conseil » adopte à la majorité simple (15 sur 28 actuellement) une décision favorable à l’examen des modifications proposées. C’est le début d’une sorte de course d’obstacles.
Le président du « Conseil européen », actuellement le Polonais Donald Tusk, doit alors convoquer, dans une seconde étape, une « convention », composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d’Etats ou de gouvernement des Etat membres, du Parlement européen et de la Commission européenne. Cette « convention » examine les projets de révision et adopte, par consensus, une « recommandation » lors d’une conférence des représentants des gouvernements des Etat membres.
Les Chefs d’Etats et de gouvernements, réunis dans une conférence, lors d’une troisième étape, arrêtent, à « l’unanimité », les modifications à apporter aux traités.
Les modifications entrent en vigueur après avoir été ratifiées par tous les Etats membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Si, à l’issue d’un délai de 2 années à compter de la signature d’un traité « modifiant » les traités, les 4/5ème des Etats membres ont ratifié ledit traité et qu’un ou plusieurs Etats membres ont rencontré des difficultés pour procéder à ladite ratification, le « Conseil européen » se saisit de la question. Sur ce point, l’article 48 du TUE n’envisage rien de plus. C’est la bouteille à l’encre. S’agit-il d’influencer les pays n’ayant pas ratifié le traité modifié ? S’agit de trouver un nouveau consensus ? Rien n’est précisé. En revanche, en cas d’opposition de l’un des parlements nationaux des membres de l’UE, la décision ne peut pas être adoptée.
En résumé, nous pouvons observer que la « renégociation des traités », ou projet de révision des traités, bien que prévue dans le TUE à l’article 48, en engageant pléthore de responsables, Conseil, Conseil européen, Commission européenne, Parlement européen, Parlements nationaux, Convention dédiée, dans un processus nécessitant le plus souvent « l’unanimité », en devient irréalisable. Le processus mis en œuvre et ses contraintes d’unanimité rendent, statistiquement, tout projet de révision des traités irréalistes. Si la révision des traités a bien été envisagée, elle est rendue, de fait, impossible par la complexité requise pour la mise en œuvre d’un projet de modification d’une disposition. Nous parlons ici d’une modification d’une seule disposition. Qu’en serait-il s’il s’agissait de « réviser » de nombreuses dispositions ? L’unanimité requise sur un sujet rend toute modification improbable sinon impossible.
A celles et à ceux qui suivent et entendent des meneurs politiques, des chefs de partis ou leurs représentants, évoquer la possibilité de « renégociation » des traités, je voudrais rappeler que « renégocier » un traité est un abus de langage puisqu’il ne s’agit pas de réviser un traité mais, plus exactement, une ou plusieurs dispositions, parmi les quelques 500 que contiennent les traités. Puisque c’est le « Conseil » qui est saisi en premier lieu de tout projet de révision, la toute première chose à entreprendre est d’identifier la ou les dispositions à « réviser » pour que la formation appropriée du « Conseil » puisse statuer, à la majorité simple, sur une décision favorable à l’examen de la, ou des, modifications proposées.
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:12008M048:fr:HTML
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