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La rentrée 2006, ce qui se passe dans de nombreux établissements

Les cours 2006-2007 ont commencé, et l’établissement devient un étrange territoire en mouvement perpétuel. Un va-et-vient frénétique d’opérateurs,surveillants,administratifs qui veillent à ce que l’accueil des nouveaux élèves soit serein et respecte les règles.

Le chef d’établissement, avec ses collaborateurs, ne fait que passer devant les salles de classe, s’assurant personnellement que cet espace si particulier et vital qui se remplit des nouveaux occupants soit propre et adéquat aux normes de sécurité.

Suit alors une série interminable de réunions officielles (avec l’équipe pédagogique, l’équipe éducative, le conseil d’enseignement, le conseil d’administration, etc.), toutes aussi importantes, et prévues par les dispositifs ministériels. Des réseaux de relations « visibles » et « invisibles » qui se tissent un peu partout dans l’établissement, dans les lieux institués, mais aussi devant les photocopieuses ou dans les couloirs.

La première rencontre le place face au corps enseignant. C’est un rituel programmé, où l’on apprend les nouveaux dispositifs et la circulaire de la rentrée qui s’annonce, cette année, pleine de nouveautés(1). C’est l’occasion d’échanger les premiers points de vue avec les collègues de l’année passée et les nouveaux arrivants.On fait appel au travail en commun pour surmonter les difficultés en termes pédagogiques, et on met l’accent justement sur la continuité et la coopération formatives. Le mot d’ordre, cette année, semble être la motivation, mais il y en a qui, dans la salle, s’y opposent énergiquement, revendiquant le principe d’autonomie didactique. Ce qu’on craint, c’est la tentative d’homologation des parcours didactiques, contraire à la liberté d’enseignement. Sur ce point, les conflits affleurent avec bruit, les divisions sont plus grandes, les tentations d’abandonner pour faire d’autre chose sont plus pressantes.

Même pour cette année scolaire, on a l’impression d’assister au triomphe de la répétition des propos et des paroles qui n’ont plus leur sens originaire et se perdent dans l’indifférence générale de l’auditoire.

De temps en temps, l’assemblée se montre plus intéressée. Ça arrive quand on discute de l’emploi du temps de la première semaine, et quand quelqu’une fait référence à l’élève et aux problèmes d’apprentissage. Immédiatement, comme par magie,tous se sentent impliqués. C’est une avalanche de points de vue plus ou moins pertinents. Un silence religieux cède la place à un brouhaha confus et gênant de voix dont la tonalité forte et aiguë contribue à alourdir la discussion et à rendre l’atmosphère agitée et quasi incompréhensible. Quelqu’un, plus syndicalisé, traite de la formation éthique de l’enseignant, à vrai dire, lacuneuse et partielle. Le débat s’intensifie et devient aguerri. Ce qui est en cause, c’est l’autorité de l’enseignant et ses difficultés à établir une relation de communication durable avec les jeunes en crise d’apprentissage. Le thème est de grande actualité, et l’assemblée se divise en deux. D’un côté, ceux qui croient que l’autorité en classe dépend de l’expertise didactique et culturelle de l’enseignant. De l’autre, il y a ceux qui affirment la primauté des savoir-faire sur les compétences. La question risque de glisser sur le politique, mais le chef d’établissement intervient sagement, soulignant la fonction éducative et civilisationnelle de l’école, et les difficultés des enseignants à gérer toutes sortes de modifications venant du « haut ».

Presque tous sont d’accord sur le fait que l’école d’aujourdhui réserve une faible attention aux problèmes d’intégration et de scolarisation des enfants à problèmes. Ce déficit de prise en compte des réalités « autres » n’aide certainement pas à améliorer les conditions de vie à l’intérieur de l’établissement. Ça reste quand même une priorité, si l’on veut que l’école ne soit pas un espace d’exclusion, mais un endroit dynamisant qui favorise le métissage culturel, linguistique et des mœurs.

A ce sujet, le chef d’établissement prend la parole pour solliciter les enseignants, afin qu’ils ne s’enferment pas dans leur « tour d’ivoire » disciplinaire. Il insiste sur la nécessité de sortir de leur « solitude » pour participer à une responsabilité collective (constituer une équipe interdisciplinaire) dont il se fait le garant et l’accompagnateur attentif. Il s’adresse surtout aux professeurs débutants, à ceux qui ont besoin d’une attention plus suivie, leur certifiant que la porte de son bureau sera toujours ouverte à toutes sortes de « pilotages pédagogiques », ce qui génère en eux un sentiment de plus grande sécurité, tout en respectant leur autonomie.

Le plus âgé des présents, situé au fond de la salle, manifeste son désaccord avec la collègue assise devant lui. Ils se regardent et sourient. « Exactement les mêmes propos que les autres années », lui dit-il, d’un air visiblement gênant. « Les mêmes paroles fumeuses. Quel triste spectacle ! », reprend-elle. « Par chance, l’année prochaine, je changerai de métier.Tu sais, l’atmosphère est devenue étouffante et sursaturée de niaiseries. Même la vie dans la salle des prof. est devenue anonyme et grisailleuse. Les moments où l’on peut échanger des idées sont rares et j’en ai mille à lancer. Faire classe, c’est pour moi mettre en chantier tant d’initiatives didactiques qui favorisent l’acquisition de plus de réflexion, plus de compétences, plus d’esprit d’autonomie. Ça, pour moi, c’est travailler en classe et pour la classe.C’est comme ça qu’on crée une école de la réussite.

Sur ces bases, je me demande comment c’est possible d’imaginer une école du futur. Ça sert à quoi, une école qui ne valorise pas ses ressources humaines et professionnelles les meilleures ? Glisser dans le rituel du déjà-dit et du déjà-vu, antichambre de la vanité, conclut-il avec amertume, c’est ne plus croire que l’éducation aide chaque élève à apprendre et à vivre ensemble ».

Dans quelques minutes, la réunion va se terminer. Tous se sauvent. On se donne rendez-vous pour le lendemain matin. Ils ont plaisir à rentrer en classe, à retrouver les élèves. La porte fermée, c’est une autre réalité, une autre humeur. Et de ces vaines discussions, il ne reste que les polémiques stériles. A demain !

Prof. Raphaël Frangione


1)Tout d’abord, l’application de la Loi Fillon et de la réforme des ZEP. A cela s’ajoutent l’apprentissage de la lecture, la création d’un conseil pédagogique chargé de préparer la partie pédagogique du projet d’établissement, une nouvelle évaluation des élèves, à la fin du CE1, à l’entrée en sixième et à la fin du collège, la mise en place des PPRE (programmes personnalisés de réussite éducative) et l’introduction dans toutes les classes du collège d’une note de vie scolaire pour mesurer certains barèmes tels que l’assiduité aux cours, le respect du règlement intérieur, la participation à la vie d’établissement.


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