« La République a-t-elle encore un sens ? », un livre de Daniel Arnaud
La République a-t-elle encore un sens ? » La question est brutale et on est en droit de se demander quel nostalgique de l’Ancien Régime monarchiste la pose ? Non, c’est un républicain convaincu qui s’interroge. Daniel Arnaud a intitulé ainsi le livre qu’il vient de tirer de sa thèse de doctorat (1).
Et on peut légitimement s’interroger avec lui quand on voit ce qu’est en train de devenir la République française. Alors que le régime républicain a signifié pour les sujets des tyrannies et monarchies diverses un affranchissement progressif en accédant à la citoyenneté avec ses droits et ses devoirs, ses adversaires ne tentent-ils pas aujourd'hui de réduire à néant sa spécificité ?
Le contre-exemple de Venise
Un contre-exemple aurait dû servir d’avertissement, c’est celui de Venise. La Sérénissime s’est distinguée pendant 10 siècles comme une République parmi la faune des royaumes, empires et tyrannies de tous poils qui sévissaient autour d’elle. Mais cette spécificité républicaine signifiait-elle pour autant affranchissement de son peuple ? Une oligarchie commerçante le menait d’une main de fer qui n’avait rien à envier aux méthodes des États voisins. Une police implacable dirigée par « le Conseil des Dix », tirait sa toute-puissance d’une délation généralisée qui faisait de chaque Vénitien l’espion de son voisin : des boîtes aux lettres d’un genre spécial, à figure de lion gueule ouverte, étaient réparties dans la ville pour recevoir les dénonciations anonymes. Chacune s’appelait « Bocca di Leone ». le Lion était bien sûr le symbole de Saint-Marc, le patron de Venise. On aurait donc dû savoir que le nom de République pouvait très bien être usurpé par un régime oligarchique et ploutocratique.
L’oligarchie financière contre la République
On est en train de le redécouvrir. Les oligarchies financières des marchés sont aujourd’hui les premières à menacer les institutions républicaines qui, certes, gardent une apparence, mais comme des marionnettes dans les mains de marionnettistes. On assiste, médusé, depuis quelques mois, à des changements de gouvernement en Irlande, Portugal, Grèce et Italie sans même que le peuple ait été appelé à exprimer son avis. La chute de l’oligarque Berlusconi en est la caricature : ce ne sont pas les électeurs qui l’ont congédié, mais l’oligarchie internationale à laquelle il appartenait lui-même. Ce serait drôle si ça n’était pas si grave ! Des gouvernements fantoches en Europe mettent ainsi en œuvre des politiques en dehors de la volonté populaire dont ils se moquent.
Information et secret
Le Régime républicain est aussi structurellement menacé par l’inégalité d’accès à l’information. La minorité oligarchique détient des secrets que la majorité des citoyens ignorent. Il semblerait même que le rôle des médias traditionnels soit de faire croire le contraire : l’illusion de l’exhaustivité de l’information et de sa gratuité est sans cesse entretenue ; il faut dire qu’en abolissant le temps et l’espace, les prodiges de la technologie électronique et numérique d’aujourd’hui la favorisent : « Tout savoir, tout écouter », tel est le slogan non d’une radio pour crétins mais d’une station de service public comme France Culture qui revendique une certaine tenue. C’est dire !
Or, l’illusion de l’iceberg qui cache plus qu’il ne montre n’a jamais été aussi dangereuse. Les initiés de l’oligarchie se gardent bien de partager non seulement leur fortune mais aussi leur information avec les « citoyens ». Pas fous ! Ils savent que qui a le savoir, a le pouvoir !
La destruction de l’École républicaine
Ce n’est pas un hasard, si dans le même temps, l’École républicaine, jugée si indispendable à la fin du 19ème siècle pour le développement de la première révolution industrielle en faisant de paysans analphabètes des employés alphabétisés d’usines et de bureaux, est aujourd’hui systématiquement détruite. L’oligarchie n’a pas besoin de citoyens avertis, mais de simples exécutants au service d’outils informatiques, voués pour survivre à appartenir à l’une de ses clientèles.
Un savoir scolastique stérile est dispensés avec ses erreurs, et le désordre est savamment entretenu dans les établissements scolaires au nom d’un humanitarisme dévoyé, confondant élèves méritants et voyous. Les parents qui en ont les moyens retirent forcément leurs enfants de ces pétaudières pour les en protéger. L’École offre à elle seul un exemple de la manière dont l’oligarchie organise sa succession, en profitant de la folle inconscience des classes sociales les plus déculturées qui ont pourtant le plus besoin de l’École, mais dont les mômes viennent foutre le bordel attendu en toute impunité dans l’institution scolaire ! On reconnaît la technique de combat de l’Aïkido qui se sert de la force de l’adversaire pour la retourner contre lui ! Seulement, les voyous qui saccagent l’École, sont trop abrutis pour se rendre compte qu’ils travaillent pour l’oligarchie !
Le Droit ridiculisé et violé comme technique ordinaire d’administration
L’École républicaine livre, en outre, un second exemple de la manière dont l’oligarchie détruit la République de l’intérieur. Elle est en première ligne pour violer le Droit républicain. On peut même dire que la violation de la loi par la hiérarchie de l’École est érigé en mode d’administration ordinaire. La loi n’est appliquée que lorsqu’elle sert les intérêts de la hiérarchie. Dans le cas contraire, elle est systématiquement violée.
Ces hiérarques auraient tort de se gêner. Il n’existe plus de Justice aujourd’hui pour s’y opposer : celle-ci est à ce point corrompue qu’aucun procès intenté contre une autorité n’a la moindre chanche d’être gagné. Le Droit est l’objet de jeux de mots, d’euphémismes et de raisonnements parfaitement illogiques à seule fin d’éviter toute condamnation d’une autorité. La Cour Européenne des Droits de l’Homme donne même l’exemple. À cela rien d’étonnant ! L’ultra-libéralisme qui sévit en Europe et dévaste les pays les uns après les autres, ne saurait tolérer la moindre limite juridique à son saccage. La Cour Européenne ferait mieux de s’appeler désormais « Cour Européenne des droits de l’Autorité » !
Que reste-t-il de l’originalité du régime républicain émancipateur qu’on a vu se développer lentement depuis la Révolution Française en garantissant un affranchissement progressif des citoyens ? Rien ou presque ! Il fait songer à un beau coquillage rejeté par la marée sur la plage, mais vidé de l’animal qui l’a construit. « La République a-t-elle encore un sens ? » On se le demande. Elle ne peut en garder que pour que ceux qui, sans se décourager, savent que l’édification de la démocratie connaît des phases de lente construction mais aussi des périodes de dévastation comme aujourd’hui. Faut-il désespérer pour autant ? À l’échelle d’une génération, sans doute ! Mais replacée dans son contexte historique, l’édification de la démocratie nourrit l’optimisme : elle a commencé il y a 25 siècles, depuis qu’Antigone, dans la pièce du grec Sophocle, a dit « Non ! » au caprice exorbitant d’un pouvoir qui prétendait lui ôter sa liberté de conscience. Ce n’est pas une mince ironie de l’Histoire que de voir aujourd’hui la Grèce, où la démocratie a vu le jour, être la cible de l’oligarchie mondiale régnante. Mais ce n’est pas la première fois. Avec elle, on peut donc garder l’espoir de s’en relever. Ça prendra le temps qu’il faudra ! Aux générations suivantes se s’y atteler ! Comme Daniel Arnaud a raison de se poser la question « La République a-t-elle encore un sens ? » ! Son livre peut aider dès maintenant à repartir à la reconstruction de la démocratie aujourd’hui dévastée. Paul Villach
(1) Daniel Arnaud, « La République a-t-elle encore un sens ? », Éditions L’Harmattan, 2011
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