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La république césarienne

Les premières actions de Nicolas Sarkozy donnent le ton d’une présidentialisation accrue du pouvoir, centrée autour de l’allégeance personnelle au nouveau président.

L’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir aura suscité un débat d’une intensité qui n’a d’égale que celle qui accompagna François Mitterrand à l’Elysée en 1981.

Porteur d’espoirs et de craintes, Nicolas Sarkozy est évoqué tour au tour comme l’homme de la rupture ou de la conservation. Il incarne aux yeux des Français des figures multiples et contradictoires. Du libéral au conservateur, de l’extrémiste de droite à l’homme d’ouverture, il parcourt tranquillement une palette politique qui couvre le spectre de toutes les droites.

Tout a déjà été dit ou presque sur cet homme qui intrigue ou inquiète, sur sa prise de pouvoir plus brillante et rapide que celle de ses prédécesseurs, sur son charisme et sa volonté, sa proximité avec les puissances d’argent.

Mais cela ne nous éclaire pas sur le style de la présidence nouvelle.

L’homme de la rupture tranquille a commencé par chausser des bottes mitterrandiennes, en œuvrant pour l’ouverture de son gouvernement à des ministres de gauche et de la société civile. Cette ouverture s’inscrit dans un contexte et des objectifs politiques plus ambitieux que celle pratiquée en son temps par Michel Rocard.

La déstabilisation de la gauche est bien entendu en filigrane de cette action en passe de réussir partiellement, tant la peur du vide et la force de persuasion du nouvel ordre politique impressionnent certaines personnalités. Le champ de ruines et de rancœur du camp adverse facilite évidemment cette conversion à une "France unie" d’un nouveau type.

Mais ce n’est pas l’unique ni même le principal objectif de cette manœuvre. Cette ouverture n’est pas pratiquée dans un deuxième mandat, en fin de carrière politique, par un père de la nation qui offrirait aux enfants de sa génération les fruits d’une France apaisée. Elle est promulguée par un jeune président qui porte en lui des principes et des engagements présentés comme des « ruptures » de pratiques anciennes. Il ne s’agit pas de mettre KO une opposition déjà dans les cordes, mais bien d’organiser la personnalisation du pouvoir pour les années à venir.

Cette ouverture est avant tout un avertissement adressé à l’UMP. En abandonnant la présidence du parti qu’il a façonné pour la conquête du pouvoir, Nicolas Sarkozy a rappelé à ses amis qu’il ne leur doit rien. La fidélité, sentiment si prégnant dans le gaullisme historique, n’est par une expression sarkozienne. Seule compte la compétence dont l’évaluation ne relève que du président.

La volonté présidentielle consiste à briser les lignes de force potentielles en minimisant le rôle de ceux qui ont aidé l’impétrant à accéder à l’Elysée. Il n’existe pas de lignes ni de traditions politiques qui puissent obliger le président, seul importe ce qu’il pense ou souhaite. L’allégeance à son pouvoir, incarnation à ses yeux de la volonté populaire, est le seul acte légitime pour lui. Cette allégeance doit être unilatérale et individuelle.

La pression sur les nombreux candidats à cette allégeance est organisée par la concurrence exacerbée qui s’exerce pour des postes prestigieux mais dépourvus de réels contre-pouvoirs. La restriction du nombre de ministères est une formidable illustration de cette mécanique concurrentielle qui aiguise les appétits, rabat les prétentions trop prononcées et provoque les premières aigreurs d’estomacs.

L’UMP n’est plus le parti de conquête du pouvoir et ne sera pas celui de son exercice. Contrairement aux craintes souvent exprimées, l’UMP n’aura pas tous les pouvoirs, puisque ceux-ci seront exercés directement ou par délégation par le président. Nicolas Sarkozy sait par expérience combien un parti de la majorité peut devenir une arme dirigée vers un président, comme le furent le RPR contre Giscard et l’UMP envers Chirac. C’est cette arme qu’il décharge en dissolvant la présidence du parti dans une direction collégiale sans leadeur. Sarkozy se réclame d’inspirateurs multiples comme le furent, pour François Mitterrand, les visiteurs du soir.

La présidentialisation poussée du pouvoir passe par la marginalisation du Premier ministre, ramené au poste de superdirecteur de cabinet. Comme l’avoue un proche de François Fillon, la nomination des ministres est d’abord l’affaire de Sarkozy. Malgré ses prérogatives constitutionnelles, la vocation principale du Premier ministre ne sera pas de gouverner mais bien d’appliquer les principes définis par le président.

Pour parachever cette évolution de marginalisation du gouvernement, le président entend manager ses ministres comme de simples chefs de bureau appelés chaque année à se plier à une évaluation individuelle devant leur responsable. Enfin, dernière touche de cette marginalisation ministérielle, une évolution de la Constitution permettra au président-gouverneur de présenter de visu les résultats et perspectives de son action aux chambres législatives.

Celles-ci seront, plus encore que par le passé, des chambres d’enregistrement. De par la grâce du scrutin majoritaire à deux tours, le parlement sera inéluctablement dominé par les élus de la majorité présidentielle.

Les quatre engagements signés par les députés qui s’engagent sous la houlette de cette alliance électorale constituent bien davantage qu’un simple règlement disciplinaire de groupe, ils dressent le carcan de leur liberté de décision, garante théorique de la bonne exécution de leur raison d’être.

Ces décisions et orientations ne sont pas seulement anecdotiques. Elles dessinent le visage d’une gouvernance présidentielle renforcée. Elles aggravent très sérieusement les déséquilibres d’un système que Mitterrand qualifiait de dangereux, avant et après lui...

La présidence Sarkozy sera donc une présidence personnalisée à l’extrême. Une personnalisation qui ne s’embarrassera ni d’idéologies, ni d’écoles de pensée. Pour Sarkozy, les résultats obtenus sont les seuls juges de la légitimité de son action. La pression des résultats pousse à l’adaptation rapide des politiques, mais également et surtout au contrôle des moyens d’actions et de leur compte rendu.

Là se trouvent sans doute les raisons de craindre pour la liberté de la presse, même s’il paraît difficile aujourd’hui de contrôler toutes les informations.

Au petit jeu des ressemblances idéologiques ou historiques, le pouvoir de Nicolas Sarkozy s’apparente plus à celui de Poutine ou de Louis Napoléon Bonaparte qu’à celui de George Bush. Un pouvoir césarien bâti pour construire et qui se veut éclairé.

La centralisation des pouvoirs et la flagornerie des conseillers entraînent inévitablement l’aveuglement. Un aveuglement sur la puissance, source de démesure comme le soulignait André Suarès dans « Vues sur l’Europe » en 1939 :

« Œdipe s’arrachant les yeux pour échapper à la vue de son infortune est mille fois moins aveugle que (...) (le) despote qui exulte de son propre aveuglement. Quand il est venu là, le monstre d’orgueil est atteint de la maladie inexpiable que les grecs appellent "l’Hybris" : c’est l’excès qui se complaît en lui-même, [...] L’homme atteint d’hybris se fait une règle de n’en avoir plus aucune. (...) Et il se rue toujours plus avant sur la voie de la démesure. »

J’ai volontairement supprimé des passages du texte qui ne peuvent s’appliquer à Nicolas Sarkozy pour ne conserver que l’expression de la perte du sens réel qui menace tout gouvernant autocentré.

A défaut de lui suggérer de revenir à une conception plus équilibrée des pouvoirs, il est un conseil à formuler à notre nouveau César, à l’aube de cette présidence singulière : c’est de réunir auprès de lui des personnes issues de tous horizons, qui ne lui doivent rien et n’ont rien à attendre de lui.

Des hommes libres capables, peut-être, d’infléchir la pente irréversible de la démesure que l’Histoire a souvent savonnée pour les souverains ambitieux, pour le plus grand malheur de leur peuple.


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4 réactions à cet article    


  • toto1701 18 mai 2007 12:39

    suis inquiet,un post a moi a disparu ...je parlais des postures d’ou viendront les impostures des sans investitures degoulinant de cyanure.... hop disparu


    • tolosa 18 mai 2007 13:57

      article tres intéressant. Sinon, je n’ai rien compris au message précédent


      • herbe herbe 18 mai 2007 17:05

        intéressant.

        Mr Eric Zemmour a parlé lui de Bonapartisme (entendu dans l’émission, on a tout essayé).

        De toutes façon les jugements de ce type ont finalement une influence sur le comportement de celui qui est qualifié, il s’adapte et joue (sincèrement ou non) dans le contre emploi.

        un exemple, les idées d’ouverture de Bayrou et Ségolène plus récemment (pas de bloc contre bloc) c’est NS qui les mets en oeuvre (au moins en apparence) et donc paradoxalement en récupère les fruits.

        Tactique avant les législatives ou politique sincère ?

        Attention au syndrome de Jonas (cf bible) : il avait prophétisé la destruction d’une ville, les habitants s’étant repentis cela avait changé donc le résultat de la prédiction ce qui en retour discréditait les dons du prophète.


        • Mondran 19 mai 2007 12:14

          L’ouverture pratiquée n’est qu’un avatar de l’appel à l’union nationale qui est très fréquent dans les politiques césariennes. Il ne s’agit ni d’une manoeuvre ni d’un recentrage mais d’un souhait de casser les lignes de forces traditionnelles, pour favoriser des ralliement à la personne du président. C’est très différent de la démarche de François Bayrou qui consiste en une alliance classique entre partis politiques, telle qu’elle est pratiquée dans de nombreux pays européen. Je ne crois pas à une tactique électorale, c’est une politique qui va durer, au moins tant qu’elle n’est pas confrontée à une reconstitution solide de l’opposition.

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