La République des valets
Nous connaissons tous la trop célèbre,
autant que décriée, République des instituteurs, ou des professeurs, celle
propulsée à la fin du XIXe siècle en France, avec ses savants à la
barbe aussi développée que l’intelligence et ses courants émancipateurs
maçonniques. Puis, une réplique eut lieu sous le règne de Mitterrand. La droite
d’ailleurs se faisait un plaisir d’ironiser sur la sur-représentation des députés issus de l’enseignement public et, par les amalgames dont se fait fort
la langue de bois politicienne, ce fut une République des fonctionnaires à
laquelle on s’attaqua, pour louer la République des entrepreneurs, celle qui
donne de la croissance, du travail et du pouvoir d’achat, celle qui est aux
bons soins du président et de son lieutenant Attali, chargé d’inventer les
armes pour détruire les obstacles à la croissance. Le bouclier fiscal ne suffit
pas, il faut le bélier « libéral » capable d’enfoncer les défenses
des corporations et les départements. Mais n’est-ce point du détail. Cela fait
bien longtemps que la valeur industrie fait partie de l’opinion publique,
depuis qu’un certain Bernard Tapie s’improvisa en évangéliste de l’entreprise.
Bref, du pragmatisme qui ne doit pas cacher une tendance, celle des dérives
autocratiques dans les pouvoirs.
N’assistons-nous pas à l’avènement d’une
République des valets. Avec une présidence parfois délocalisée à Versailles,
symbole de la vie de cour pendant l’Ancien Régime. Par-delà ce signe, il se dit
dans les cercles ministériels qu’une véritable atmosphère de cour empoisonne
la vie gouvernementale, enfin, pas tous puisque dans ce jeu où il fait plaire
au président, les gagnants reçoivent quelques prébendes, distribuées au compte-gouttes,
mais assez prisées. On offre quelques mairies aux plus zélés parmi cette cour. Il
n’est pas sûr que ces pratiques aient été absentes des précédents règnes, mais,
avec Sarkozy, l’attitude du valet se montre et se trouve décomplexée. Il se dit
aussi que lors des dîners avec le président, certains s’ennuient à observer les
convives y aller d’un bon mot ou d’une blague ou encore d’une louange, peu
importe la forme du moment qu’il faut plaire au président.
Comme ce fut déjà constaté, l’autorité du
chef prend la place de l’autorité des maîtres et même des juges (à lire l’étude
de Kojève sur les quatre types d’autorité). Ce faisant, le ressort de la vie
citoyenne et politique, au lieu d’être portée par l’éducation et la vertu, se
déplace vers l’obéissance et la crainte. Selon Borloo, Sarkozy n’a pas d’allié,
mais des valets et des vassaux. Il est facile de les reconnaître. Un valet
finit toujours par commettre un acte le signalant comme aux ordres du président. Alors qu’un homme plus émancipé et respectueux de sa propre valeur
se reconnaît parfois à son éviction pour avoir commis l’erreur de déplaire au président ou d’entraver sa mécanique de rupture qui se doit d’être bien
huilée.
Etienne Mougeotte, étiqueté sarkozyste,
récemment conspué et interdit de séjour à TF1 pour ce motif, c’est dire si la
fronde règne et si l’ancien directeur de TF1 est considéré comme le plus zélé
parmi ceux qui ont fait allégeance au président et qui, maintenant, est directeur
de la rédaction du Figaro. Son dernier fait d’arme. Avoir refusé, non,
employons les mots justes, censuré, un papier du journaliste Eric Dupin, alors
en contrat avec ce journal pour ces chroniques politique depuis 2006. Lequel
Dupin a décidé de mettre ce billet sur son blog afin que le lecteur juge de l’affront
lancé au président. Rien que de l’ordinaire, du travail professionnel, bien
écrit, avec la forme et le contenu, juste quelques critiques et allusions à une
impopularité croissante de Sarkozy, de quoi justifier le couperet de Mougeotte
et, de ce fait, pour des raisons d’honneur et d’estime de soi, le terme
de la collaboration entre Dupin et Le Figaro. Quand le valet est aux commandes,
les mécréants valsent.
Et quand un responsable se veut
indépendant dans ses prises de position. Eh bien, il valse pour ne pas avoir les
qualités requises à un poste de responsabilité dans la République des valets. C’est
le cas de Yannick Blanc, directeur de la police à la Préfecture de Paris dont
on vient d’apprendre l’éviction de ce poste à cause, paraît-il, selon les
sources journalistiques, d’une critique de la politique d’immigration alors que
Sarkozy était ministre de l’Intérieur. Blanc était protégé par un proche de
Chirac nommé à la préfecture de Paris pour faire obstacle à Claude Guéant. Mais
la vengeance est un plat qui se mange froid comme on dit. Et tout comme Dupin, Blanc
a été évincé, cette fois d’une place importante dans les rouages de l’Etat.
Que penser de cette République des valets ?
Elle risque de fonctionner quelques temps, mais, au bout d’un moment, qui sait, comme
dans le film de Losey, s’il se produira un retournement de tendance alors que
la fronde sera au rendez-vous. Nul ne sait quand et comment. A moins qu’on s’habitue en haut lieu de ces pratiques.
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