La retraite : un idéal pour les jeunes
Les jeunes d’aujourd’hui descendant dans la rue pour défendre leur retraite ! « Mais où sont donc les grands idéaux de notre jeunesse à nous, quand pacifisme, amour universel, retour à une nature préservée guidaient nos pas chaussés de pataugas ? » Ces questions, nombre de journalistes goguenards ont évidemment tenu à les poser au lendemain de la mobilisation de rentrée. Et on ne leur en veut pas. Elles étaient tentantes, poussées par cette nostalgie que l’on ne goûte souvent qu’en piétinant un peu ceux qui nous ont remplacés dans l’antichambre de la vie active. Et si ce combat, pourtant, plus qu’un autre, était porteur d’un idéal autrement exigeant ?
Ce sont eux en effet qui ont ouvert à Poitiers la journée d’action sur les retraites du 10 septembre. Au lycée Victor Hugo, à une semaine de la rentrée, les lycéens prenaient un peu tout le monde par surprise en décrétant le blocus de leur établissement à 8 h du matin. Mouvement spontané, peu préparé, avec son lot de slogans hésitants, d’explications approximatives. Des proies faciles pour les forces de l’ordre à l’intimidation prompte, pour le chef d’établissement à la menace facile et pour les journalistes. A la question : « pourquoi ce blocus ? », on sait bien que « pour rater les cours » sera au moins une fois formulé.
Des motivations plus sérieuses ? On leur en concède bien quelque unes au premier rang desquelles viennent ces préoccupations individualistes de bien être personnel qui font que, même lycéen, on est saisi d’angoisse pour des vieux jours difficiles, éloignés par la gêne, des biens de consommation qui font tout leur bonheur. Des jeunes qui se battent pour leur retraite ? Ce n’est pas naturel, et dans cet oxymore, on n’est pas loin de placer un peu d’indécence : le jeune est là pour brandir l’idéal pas pour compter les annuités.
Et pourtant ! Au-delà de la formule facile, les analystes comme les journalistes feraient de regarder d’un peu plus près ce qui s’exprime ici. Cette nouvelle réforme, prolongement des précédentes, en effaçant les horizons d’une vie d’homme et de femme, n’est pas loin d’ébranler le sol sur lequel les jeunes ont commencé de marcher. « On me dit de pousser mes études le plus loin possible dans un monde exigeant qui veut de la formation, on ne me considère travailleur productif que bien des années plus tard quand j’aurais fait mes preuves dans les antichambres précaires des stages te des petits contrats et on m’efface le terme, floutant mon avenir dans l’ouragan des chiffres. » Comment le jeune n’en viendrait-il pas, dans ces conditions, à interroger alors, directement, le fonctionnement même de nos sociétés, le rapport au travail et le sens du progrès ? Comment, dans cette situation, ne pas être conduit à interroger les systèmes, à redessiner des horizons ?
Le chemin de l'engagement politique
Le lycéen qui descend dans la rue aujourd’hui interroge d’abord un monde qui ne lui promet qu’un avenir de régression sociale quand on devrait marcher vers l’émancipation. « Travailler plus, plus longtemps » quand on construit les conditions techniques qui devraient ouvrir au travailleur d’avantage d’interstices où glisser du bonheur, de la culture, de la connaissance mutuelle, du plaisir à vivre ensemble, l’injonction n’est pas audible !
Le jeune qui parle de retraite, cherche aussi à redéfinir un peu les mots qui désigne le rôle social de l’individu : travail, emploi, activité,comment nommer et reconnaître la place de chacun ? Le jeune qui se forme ne travaillerait pas à la construction sociale ? Le retraité qui anime une maison de la culture serait à la charge d’un jeune qui lui paie sa pension ? Derrière les arguments de tous ces "réformistes" qui parlent de coût du travail ,de coût des protections sociales, n’y a-t-il pas l’assassinat d’un idéal au moins aussi exigeant que ceux de nos jeunesses enfuies, celui de la solidarité universelle. Construire le bonheur de tous sur le bonheur de chacun, ériger le partage comme règle de fonctionnement : on est loin de ces revendications « terre à terre et égoïstes » stigmatisées ici et là dans les éditos du 16septembre.
En mettant la retraite sur ses banderoles revendicatives, la jeunesse d’aujourd’hui pourrait bien tirer le fil de bien des remises en cause :du productivisme à la loi du marché, de la mise en concurrence des travailleurs à l’acceptation des politiques d’austérité, elle pourrait, de question en question, retrouver le chemin d’un engagement politique nourri d’un idéal qu’on ne peut que partager !
Jacques Arfeuillère (Photo Séverine Lenhard)
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