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Accueil du site > Tribune Libre > La rose et le désarroi...

La rose et le désarroi...

Aujourd’hui, 10 mai, je me souviens d’un autre 10 mai - c’était en 1981...

 La mine déconfite de Jean-Pierre Elkabbach, sur Antenne 2, peu après qu’il a vu apparaître sur l’écran "cédeuzihonwelbullien", au prix d’une image de synthèse accouchée au forceps - vingt-trois ans de grossesse, ça use... - le visage de François Mitterrand.
 Ce soir-là, à vingt heures très précises, la figure de l’impétrant découpée en bandes horizontales s’afficha progressivement sur nos téléviseurs, de haut en bas. Valéry Giscard d’Estaing et le candidat socialiste tous deux dégarnis, du haut de mes quinze ans, je me souviens avoir tremblé aussi fort que mes parents, mais dans le sens inverse des aiguilles de leur montre - dans les années 60, les chiens faisaient des chats... En deux temps trois mouvements Hitchcock relayé au rang de majorette municipale. Et puis champagne ! Pour ma part, au vu de mon jeune âge (?) conjugué à l’ambiance familiale, ce furent un verre d’eau et le lit. Mon état de grâce n’aura donc duré que vingt minutes.
 Mais ce soir-là, c’est surtout Jean-Pierre Elkabbach qui aura eu une tête de vainqueur.
 Toute la nuit, folie furieuse et joyeuse dans les grandes villes de France, et particulièrement à Paris, et précisément place de la Bastille : L’Internationale supplée La Marseillaise, les ouvriers ne sont pas encore couchés, le "Peuple de Gauche" (concept qui aura son heure de gloire) pavoise, des anarchistes embrassent des communistes, et ainsi de suite...

 Et vous, chères (é)lectrices et chers (é)lecteurs, où étiez-vous et que faisiez-vous le 10 mai 81 ?

 Dans le ciel de la capitale, tourmente céleste également de la partie (gros orage), ou plutôt de la fin de partie annoncée ; en effet, certains esprits éclairés, toujours les mêmes, n’avaient-ils pas prédit l’invasion plus que probable de la Concorde par les chars de l’Armée Rouge... ?
 La Concorde, la place de Little President : souvenons-nous, Mireille Mathieu en agent d’ambiance, Enrico Macias en figure d’apôtre, Steevy Boulay en bodyguard illuminé...
 En 2002, Jacques Chirac jettera son dévolu sur la place de la République ; "La République est entre vos mains", nous aura-t-il délivré peu après les résultats du premier tour connus ; remarquez, il s’agissait effectivement d’un choix entre la République et le porc de l’angoisse - j’excelle en orthographe.

 Retour sur le 10 mai.

 La place de la Bastille sous nos pieds trempés (comprendre la Bastille à nos pieds). Eclairs et tonnerre toute la nuit, des trombes d’eau sur les fêtards aveuglés, ensorcelés, séduits, sonnés (bah oui), la rose rouge brandie vers l’injuste ciel en guise de révolutionnaires outils aratoires...
 Mais elles ont des épines et elles se fanent vite, les roses, autre histoire.

 François Mitterrand, donc.

 Mitterrand et son passé décomposé, son temps de l’imparfait, en tout cas son passé pas très simple ; François Mitterrand et Vichy, et ses fréquentations plus que douteuses, et son entrée de fait dans la Résistance ; François Mitterrand et l’insolite "attentat" de l’Observatoire ; François Mitterrand et sa pratique florentine du mensonge et de la dissimulation, et son art et sa technique si subtils pour dissiper les illusions, et ses dizaines de compromis et de compromissions en eaux troubles, et ses coups de poker et ses coups de Jarnac, si j’ose dire ; François Mitterrand et les trajectoires "populaires", en tout cas populistes, de Le Pen, Tapie, Coluche ; François Mitterrand et son "combat honorable à mener contre soi-même" (le crabe), et ses deux femmes, au moins, et ses drôles d’enfants ; François Mitterrand de Latché et de L’Elysée, du Caire (le Sphinx séducteur) et de Venise (le séducteur masqué), de Bourgogne (Château-Chinon, Solutré, Vézelay) et de Paris (Saint Germain des Prés, les rues du faubourg Saint-Honoré et de Bièvre, la Grande Arche de la Défense, la Pyramide du Louvre) - il aura eu l’histoire de sa géographie...
 Et François Mitterrand au Bundestag ("Les missiles sont à l’Est et les pacifistes sont à l’Ouest") et à la Knesset évoquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, François Mitterrand à Sarajevo, au péril de sa vie, flanqué de l’insondable Bernard Kouchner, déjà dans un gouvernement ; François Mitterrand et ses amis honorés, promus, récompensés, enrichis, et ses amis oubliés, reniés, disparus, suicidés ; François Mitterrand et la mort ("Je crois aux forces de l’esprit") ; François Mitterrand et son amour pour les arts et pour les lettres - et une langue française jamais prise en défaut (suivez mon regard - et mon oreille !) ; François Mitterrand le charmeur et le marcheur ; François Mitterrand et sa soif inextinguible de Vie plus que de Pouvoir (appréciation personnelle j’en conviens)...
 Et François Mitterrand et sa politique : l’abolition de la peine de mort, l’invention du R.M.I. et de la C.M.U. (mieux que rien), la retraite à soixante ans, la décentralisation, les lois Auroux, le traité de Maastricht et les accords de Schengen (quoique), l’amitié franco-allemande revisitée et revivifiée - François Mitterrand main dans la main avec Helmut Kohl, à Verdun, et quelques années plus tard les larmes du Chancelier pleurant son ami défunt en la cathédrale Notre Dame de Paris...
 Et François Mitterrand et vous, Tonton et vous, Tonton et nous - franchement, imaginerait-on une seule seconde surnommer l’actuel président Tonton ? Fous rires garantis sur les bancs de la gauche et sur certains de la droite...

 Certes, plusieurs conditions étaient réunies pour que je le détestasse, ce vieux rusé, et pourtant je l’aurais respecté (toujours), soutenu (pas toujours), et pour tout dire je l’aurais même "aimé" (?)
 Je l’imagine, aujourd’hui, de retour parmi ses camarades en politique, rue de Solférino, les considérer longuement, tristement, avant de puiser dans son carquois une flèche aigre-douce, à l’instar de celle-ci, par exemple, débusquée dans L’Abeille et l’Architecte (Fayard, 1980) :
 "Qui a peur de son ombre attend midi pour se lever. Pendant ce temps les autres courent."
 

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7 réactions à cet article    


  • LADY75 LADY75 11 mai 2010 13:28

    Lady Paname dit :

    He ben moi, j’étais d’vant ma télé !

    Lorsque l’animation graphique, aussi glamour que les graphismes auxquels le minitel allait nous habituer dans les années qui allaient suivre commença par dévoiler un crâne dégarni.. j’avais instantanément fait mon deuil.. Encore sept ans de Giscard !

    Puis, lorsque apparut en son entier le visage de Mitterrand : le bonheur !

    Un formidable espoir de changement, après des années de gaullisme/pompidolisme/giscardisme... de têtes de Lecanuet, Ponia, Debré régulièrement sur les écrans, d’officines barbouzardes issues de la guerre d’Algérie et en pleine agonie sanglante mais qui défrayaient les faits divers à coup de règlements de compte, de ratonnades en tous genres et de dézingage suspects de ministres...

    Tout cela allait être remplacé par... Quoi au juste ? Chacun y allait d’son p’tit espoir perso sans savoir à quoi allait consister la politique du nouveau gouvernement.

    « Changer la vie ».. l’espoir allait durer deux ans avnt que le slogan se transforme en « gêrer la crise » puis en « vive l’entreprise » avec des affaires aussi glauques qu’auparavant, un réajustement sur le mode atlantiste-libéral et l’exhumation progressive d’un passé de « Tonton » sur lequel beaucoup avaient fermé les yeux, jetant un voile pudique sur un serial secrétaire d’état de la Quatrième, archétype de l’homme de droite.. Sans compter, très symboliquement, la réhabilitation de tueurs de l’OAS (fait du Prince), un jeu de connivence trouble avec les réseaux « Algérie Française » et ceux du Front National..

    Et mai 2007 ?

    Toujours devant la télévision ! Un quarteron de jeunes entishirtés UMP et filmés de façon à donner un effet de masse, une terrasse de restaurant où un second couteau du milieu niçois, interrogé en tant que quidam, lâche au micro un :

    « J’attends que mon candidat soit élu ! »

    Quelques heures plus tard, grande teuf’ au Fouquets’s.. Le ton était donné !


    • orage mécanique orage mécanique 11 mai 2010 14:28

      ahaha pareil que LADY75, j’avais 11 ans et je me souviens de la mine dubitative de ma famille devant ce qui devait être l’image de Mitterrand que personne ne reconnaissait.

      en tout cas, j’ai du mal à citer un événement politique qui a apporté autant d’élan dans la société depuis....


      • Shaytan666 Shaytan666 11 mai 2010 16:13

        Un peu de musique dans ce monde de brutes  smiley


        • LADY75 LADY75 11 mai 2010 16:42

          Lady Paname dit :

          « Le grand virage.. et sa traduction en show pédagogico_libérale avec Yves Montand dans le rôle de »la grande conscience de gôôôche.." et en coulisse un Laurent Joffrin aujourd’hui à la t^te de Libé !

          http://www.dailymotion.com/video/xnhou_montand-la-crise-mais-quelle-crise_fun


          • asterix asterix 11 mai 2010 23:53

            Moi, c’est un autre Mai dont je me souviens. 13 ans plus tôt, en 68. Mitterand élu, cela ressemblait à un accomplissement. Ma génération a dû se tromper quelque part, c’est sûr !


            • rocla (haddock) rocla (haddock) 12 mai 2010 10:08

              Ben ouais ,

              un jour le rêve redescend sur terre et les élucubrations bisounourssiennes fondent comme des gros-lards dans la poèle à frire de la réalité .

              Le rêve de croire qu’ un jour il va arriver au gouvernement des gus qui vont t’ envoyer de l’ oseille est aussi éculé que la fable du corbeau et du renard .

              Le monde est rempli de gens croyant aux reflets de publicités diverses et variées .

              Si tu veux avancer essaie de marcher .


              • sleeping-zombie 12 mai 2010 10:50

                Je devais téter mon biberon.

                Appeler l’actuel « Tonton » ? non, surement pas. Mais quand je parle du « nain », tout le monde comprend.

                ^^

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