La rose et le désarroi...

Ce soir-là, à vingt heures très précises, la figure de l’impétrant découpée en bandes horizontales s’afficha progressivement sur nos téléviseurs, de haut en bas. Valéry Giscard d’Estaing et le candidat socialiste tous deux dégarnis, du haut de mes quinze ans, je me souviens avoir tremblé aussi fort que mes parents, mais dans le sens inverse des aiguilles de leur montre - dans les années 60, les chiens faisaient des chats... En deux temps trois mouvements Hitchcock relayé au rang de majorette municipale. Et puis champagne ! Pour ma part, au vu de mon jeune âge (?) conjugué à l’ambiance familiale, ce furent un verre d’eau et le lit. Mon état de grâce n’aura donc duré que vingt minutes.
Mais ce soir-là, c’est surtout Jean-Pierre Elkabbach qui aura eu une tête de vainqueur.
Toute la nuit, folie furieuse et joyeuse dans les grandes villes de France, et particulièrement à Paris, et précisément place de la Bastille : L’Internationale supplée La Marseillaise, les ouvriers ne sont pas encore couchés, le "Peuple de Gauche" (concept qui aura son heure de gloire) pavoise, des anarchistes embrassent des communistes, et ainsi de suite...
Et vous, chères (é)lectrices et chers (é)lecteurs, où étiez-vous et que faisiez-vous le 10 mai 81 ?
Dans le ciel de la capitale, tourmente céleste également de la partie (gros orage), ou plutôt de la fin de partie annoncée ; en effet, certains esprits éclairés, toujours les mêmes, n’avaient-ils pas prédit l’invasion plus que probable de la Concorde par les chars de l’Armée Rouge... ?
La Concorde, la place de Little President : souvenons-nous, Mireille Mathieu en agent d’ambiance, Enrico Macias en figure d’apôtre, Steevy Boulay en bodyguard illuminé...
En 2002, Jacques Chirac jettera son dévolu sur la place de la République ; "La République est entre vos mains", nous aura-t-il délivré peu après les résultats du premier tour connus ; remarquez, il s’agissait effectivement d’un choix entre la République et le porc de l’angoisse - j’excelle en orthographe.
Retour sur le 10 mai.
La place de la Bastille sous nos pieds trempés (comprendre la Bastille à nos pieds). Eclairs et tonnerre toute la nuit, des trombes d’eau sur les fêtards aveuglés, ensorcelés, séduits, sonnés (bah oui), la rose rouge brandie vers l’injuste ciel en guise de révolutionnaires outils aratoires...
Mais elles ont des épines et elles se fanent vite, les roses, autre histoire.
François Mitterrand, donc.
Mitterrand et son passé décomposé, son temps de l’imparfait, en tout cas son passé pas très simple ; François Mitterrand et Vichy, et ses fréquentations plus que douteuses, et son entrée de fait dans la Résistance ; François Mitterrand et l’insolite "attentat" de l’Observatoire ; François Mitterrand et sa pratique florentine du mensonge et de la dissimulation, et son art et sa technique si subtils pour dissiper les illusions, et ses dizaines de compromis et de compromissions en eaux troubles, et ses coups de poker et ses coups de Jarnac, si j’ose dire ; François Mitterrand et les trajectoires "populaires", en tout cas populistes, de Le Pen, Tapie, Coluche ; François Mitterrand et son "combat honorable à mener contre soi-même" (le crabe), et ses deux femmes, au moins, et ses drôles d’enfants ; François Mitterrand de Latché et de L’Elysée, du Caire (le Sphinx séducteur) et de Venise (le séducteur masqué), de Bourgogne (Château-Chinon, Solutré, Vézelay) et de Paris (Saint Germain des Prés, les rues du faubourg Saint-Honoré et de Bièvre, la Grande Arche de la Défense, la Pyramide du Louvre) - il aura eu l’histoire de sa géographie...
Et François Mitterrand et vous, Tonton et vous, Tonton et nous - franchement, imaginerait-on une seule seconde surnommer l’actuel président Tonton ? Fous rires garantis sur les bancs de la gauche et sur certains de la droite...
Certes, plusieurs conditions étaient réunies pour que je le détestasse, ce vieux rusé, et pourtant je l’aurais respecté (toujours), soutenu (pas toujours), et pour tout dire je l’aurais même "aimé" (?)
Je l’imagine, aujourd’hui, de retour parmi ses camarades en politique, rue de Solférino, les considérer longuement, tristement, avant de puiser dans son carquois une flèche aigre-douce, à l’instar de celle-ci, par exemple, débusquée dans L’Abeille et l’Architecte (Fayard, 1980) :
7 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON