La rue contre le réformisme despotique de Sarkozy en 2010
La réforme, qui sait d’où vient ce qui est devenu une sorte de Graal politique mis en œuvre depuis des décennies ? Les plus de cinquante ans se rappellent d’un certain Lecanuet, chef du mouvement des réformateurs, vite enterré après le règne de Giscard. La réforme est présentée régulièrement comme l’axe de toute politique raisonnable qui prend en compte l’évolution des sociétés et la nécessité de modifier certaines règles en jouant du levier législatif. Les gouvernements de la Cinquième République n’ont fait que voter régulièrement des réformes. Giscard, Mitterrand, Chirac, tous ont été des réformistes et bien évidemment, le dernier président dans la liste sacrifie au principe de la réforme, y mettant même un zèle particulier, enchaînant réforme sur réforme depuis son élection. Réforme dans l’appareil judiciaire, la santé, les hôpitaux, le pôle emploi et bien évidemment l’éducation nationale, institution dont on dit qu’elle subit une réforme chaque fois qu’un ministre passe, alors que le monde enseignant s’y oppose le plus souvent, se faisant caricaturer à la longue comme une corporation immobiliste. Nicolas Sarkozy est donc le champion de la réforme. Et la dernière en date, celle des retraites, s’avère disputée et sans doute hautement symbolique, plus que le CPE en d’autres temps. Chose étrange, la réforme donne l’image d’une politique de droite. Ce qui se comprend, car la droite gouverne depuis neuf ans et donc, les dernières réformes ont été conduites sous la responsabilité de la principale formation de gouvernement, l’UMP.
Le réformisme est-il une invention de droite ? Contrairement à ce que peut penser l’opinion, le principe de la réforme est une invention issue du socialisme. D’abord en Allemagne à la fin du 19ème siècle. Quand le capitalisme montait en puissance et que les formations politiques de gauche montraient leur opposition. Eduard Bernstein, membre du SPD allemand, lança un vaste débat sur le réformisme, jugeant le capitalisme dangereux et le marxisme bien aventureux. Il misait alors sur un réformisme socialiste conçu à partir de deux leviers puissants, les mouvements syndicaux et la voie parlementaire. En 1959, le SPD prend ses distances avec le marxiste. La social-démocratie moderne était née, assumée par un parti, secondée par de puissants syndicats allemands insérés dans la co-gestion, spécialité germanique à l’origine d’un capitalisme dit rhénan, qui tire son nom d’une région puissamment industrialisée. En France, le réformisme socialiste fut aussi théorisé, d’abord par Jaurès puis par Blum qui n’eut pas le temps de le mettre en mouvement, excepté pendant une parenthèse de deux ans, alors que les bruits de canons se faisaient entendre outre-Rhin.
Le réformisme a été inventé par la gauche, et c’est le principe de la social-démocratie. Les lois Auroux sur le travail s’inscrivent dans le réformisme socialiste, comme la cinquième semaine de congé ou bien, last but not least, la retraite à 60 ans. Cette époque du réformisme social-démocrate a eu ses heures glorieuses, que ce soit en France, en Allemagne et dans d’autres pays européens. Heures glorieuses, oui, jusqu’à une certaine date car les analystes sont d’accord, en 2010, la social-démocratie est atone, pour ne pas dire cadavérique. Quand le glas de la social-démocratie a-t-il sonné ? 1989 sera une réponse paresseuse mais pas si fausse. Le début du 21ème siècle a vu l’Allemagne dirigée par Gerhard Schröder, chef du SPD, mais les lois Hartz, promulguées au nom du modernisme allemand, constituent-elles une réforme socialiste ? Non. Le réformisme est devenu l’instrument des gouvernements de droite. Le réformisme de gauche visait à dompter le capitalisme et le forcer à devenir plus équitable et plus social. L’Etat providence en résultat. Cet Etat est maintenant endetté. Les comptes ne sont plus équilibrés. L’irresponsabilité des dirigeants a conduit vers la situation présente. La réforme de droite, c’est une réforme comptable présentée comme une solution de salut pour sauver l’Etat providence en le diminuant d’année en année, tout en jouant le principe de la France ouverte qui doit s’adapter aux réalités du monde économique et à la concurrence.
Le premier signal fut les grèves de décembre 1995. Pays bloqué. Le spectre de 1995 rejaillit sur 2010 mais pour l’instant, la quatrième journée de mobilisation ne laisse pas augurer d’une victoire de la rue. Beaucoup de manifestants mais pas encore les signes d’une radicalisation pouvant faire reculer le gouvernement. Le seuil des 62 et 67 ans a été retenu comme incontournable sans qu’il y ait débat, négociation, recherche d’alternative. Le refus du président Sarkozy montre bien qu’il est en délicatesse avec le principe républicain. La sagesse eut été de remettre la discussion à un an, pendant la campagne politique prochaine mais Sarkozy n’est pas un sage, plutôt un obsédé, un obtus, un inflexible. Carrément du despotisme. Avec un Parlement qui fait honte à la France. Des députés plus godillots que jamais, votant les arbitrages de l’Elysée et bientôt, une réforme fiscale qui risque d’être injuste car elle supprimera l’ISF.
Le sentiment global, c’est que le réformisme est depuis quelque temps entre les mains de dirigeants cherchant à limiter de plus en plus les acquis, les revenus, les services, les redistributions, la fiscalité équitable. Le réformisme de droite s’efforce d’épargner les classes supérieures et les très grosses fortunes. Si la social-démocratie édictait des réformes pour combattre les inégalités liées au capitalisme, le réformisme de droite lutte contre les aspirations populaires, contre les revendications légitimes d’une société qui travaille et reçoit de moins en moins. En 2010 la France est une fois de plus dans la rue. Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’y ait pas plus de manifestants et de grévistes. Pourtant, les Français ont bien capté ce qui se joue. Les réformes de Sarkozy sont la plupart anti-sociales. Et il ne perd pas son sang-froid notre président. Avec ce réformisme de droite se préparent des jours difficiles pour les plus démunis et les modestes. Des réformes il en faudra, car le système économique et social se transforme. Les plus aisés ne semblent pas prêts à lâcher leurs dividendes. Les moins aisés devraient lâcher leurs divisions. Ne pas lâcher sur ces retraites, c’est pour un citoyen une marque d’honneur. On ne vit qu’une fois. A l’heure de la mort, se rappeler qu’on en était de ces manifs d’octobre 2010, c’est une étincelle pour le cœur de tout homme qui a cherché toute sa vie la liberté et la vérité. Bon, je sais, cette formule poétique ivressement romantique sonne d’un autre monde, alors qu’ici, la réalité est plus drastique. Ce combat contre la réforme s’avère ambigu, masquant la nécessité de lutter incessamment contre les puissants et la solidarité à l’égard des précaires. Il n’est pas sûr que les syndicats soient bien disposés envers l’équité sociale. Il est par contre certain que la société devrait s’appliquer à contrecarrer les décisions prises pour l’intérêt des puissants. Le problème en 2010, ce n’est pas tant les retraites que le fait que Sarkozy ait été élu en 2007. Ce qui ne lui donne pas la légitimité à passer en force contre la rue sur les retraites. Sans doute notre président se pense en sauveur de la retraite par répartition, mais ce qu’il faut sauver, c’est un idéal de société et de civilisation malmené par l’exploitation et l’asservissement des masses.
Le réformisme comptable de droite doit trouver en face non pas tant une réaction anti-réformiste de gauche qu’une opposition défendant une idée de société portée par les citoyens épris de liberté. Si la rue gagne, ce n’est pas pour autant qu’un autre projet sera amorcé. Juste un refus d’un inacceptable. Si Sarkozy gagne, c’est que le despotisme des gens aisés et des minorités puissantes est en voie de gagner la partie. Que la populace accepte alors de vivre soumise et docile. La seule bonne nouvelle, c’est que tout ce monde finit en poussières !
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