La santé de Macron, c’est la guerre ?
Je ne peux voir apparaître Macron faire son important sans me dire : Quel mauvais acteur !
Mais dans une époque qui a subi 20 ans de Plus belle la vie, puis le règne des « influenceuses » et des « influenceurs » sur les réseaux dit « sociaux », il se trouve toujours un public pour trouver admirables ces postures narcissiques. Autrefois, on se moquait de l’instinct grégaire des moutons que l’on conduisait à l’abattoir. Aujourd’hui, une technologie permet de comptabiliser ses « followers » afin de montrer son importance.
I
« La santé de l'Etat, c'est la guerre. Elle met automatiquement en mouvement, dans l'ensemble de la société, ces forces irrésistibles en faveur de l'uniformité, de la coopération passionnée avec le gouvernement, pour contraindre à l'obéissance les groupes minoritaires et les individus auxquels le sens général du troupeau fait défaut. »
Randolph Bourne
C’est un anarchiste étatsunien qui s’exprimait ainsi avant sa mort en 1918, dans un petit livre posthume qui sera intitulé tout simplement : La santé de l'Etat, c'est la guerre. Il s’était déjà opposé à l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917[1]
Né vingt ans après la « guerre civile », Randoph Bourne en connaissait l’histoire. Y ont été expérimentés la propagande de guerre et le massacre de masses
La revue Hérodote commence son article sur la « guerre de sécession » en écrivant :
« Dans ce pays d'alors 31 millions d'habitants, elle a fait 617 000 morts parmi les combattants, soit bien davantage qu'aucune autre des guerres qui ont impliqué le pays, y compris les deux guerres mondiales ».[2]
Notez que cet empire naissant a été prêt à payer ce prix pour s’opposer à la tentative de sécession, ce que n’a pas fait en 1991 un empire finissant : l’U.R.S.S.
Randoph Bourne, lui, se borne à quelques constats :
« même dans ces pays où la responsabilité de déclarer la guerre est en théorie entre les mains des représentants du peuple, aucun corps législatif ne s'oppose jamais à l'exécutif ».
« Les idées minoritaires qui, tout irritantes qu'elles fussent au temps de la paix, ne pouvaient alors être réprimées à moins d'être associées à une criminalité réelle, tombent, désormais, sous le coup de la loi. »
« Tout ce qui se rapporte à l'ennemi est désormais tabou. »
« La guerre est la santé de l'Etat. Ce n'est que quand l'Etat est en guerre que la société moderne présente cette unité de sentiment, cette dévotion patriotique spontanée et dépourvue d'esprit critique, cette coopération des services qui ont toujours été l'idéal des amoureux de l'État. »
II
« La société repose désormais sur une faute commune, sur un crime commis en commun »
En publiant ces lignes en 1912, Freud annonçait-il les massacres qui allaient débuter deux ans plus tard et contribuer, avec plus ou moins de succès, à la fondation ou à l’affermissement de la plupart des Etat-Nations européens ?
André Larané, l’auteur de l’article d’ Hérodote sur la « guerre de sécession » semble le penser concernant la fondation de l’idéologie nationale aux Etats Unis : « La guerre de Sécession demeure l'événement majeur de l'Histoire des jeunes États-Unis. De la fédération très lâche d'États jaloux de leur autonomie, elle va extraire un État national respectueux des libertés locales mais solidement tenu en main par le pouvoir central. »
On ne dira jamais assez le poids de la Première Guerre mondiale dans l’avènement du XX° siècle et dans ses malheurs. Elle a dessiné de nouvelles frontières qui seront remodelées à la suite de la guerre suivante ; créé de nouveaux « Etats-nations »qui seront le motif de cette guerre ; et préparé en somme les conditions de la cette Seconde Guerre mondiale.
La France, par exemple, n’est pas millénaire comme le prétend un navrant roman national (La belle histoire de France). Elle n’est même pas née avec la révolution de1789. Sa naissance ferait plutôt suite à ce « crime commis en commun » qu’a été la « guerre de 14-18 », avec le retour de l’Alsace-Lorraine dans la « mère patrie », mais aussi l’intégration définitive de la Bretagne. Lors de la précédente invasion, suite à l’écroulement de l’empire, les Bretons restaient suspects aux yeux du grand état-major.
« En 1870, pour une raison qu’aucun historien n’a valablement éclaircie, l’armée de Bretagne qui à l’époque montait au feu avec ses propres drapeaux fut retirée des combats sur ordre de Paris et enfermée au camp de Conlie, dans la Sarthe. Pendant des semaines elle y pourrit de dysenterie et de variole. »
Morvan Lebesque, Comment peut-on être Breton ? (1970)
III
Comment peut-on être Ukrainien ?
Je ne répondrai pas ici à cette question : les événements se chargeront de le faire.
Je me bornerai à dire d’où je parle, puis à proposer quelques remarques en guise de pistes de réflexion.
Je dirai « d’où je parle » : d’une tradition anarchiste où Nestor Makhno et Buenaventura Durruti tiennent une bonne place.
Le nom du cosaque serait en faveur, aujourd’hui, en Ukraine. Je viens de trouver quelques traces de récupérations plus ou moins honnêtes.
https://lecourrier.ch/2022/03/14/makhno-reviens/
Je remarquerai d’abord que, parmi les promesses que fait « le leader du monde libre », il y a celles qu’il tient et celles qu’il ne tient pas.
« Cela fait treize jours qu'on entend des promesses, disait récemment le président Zelinski, (...) ceux qui n'ont pas sécurisé le ciel ukrainien des assassins russes ».
Il était invité ce 16 mars à s’exprimer devant le congrès de son protecteur.
En revanche, Joe Biden a tenu sa promesse faite à Poutine de ne pas intervenir militairement en Ukraine.
Cependant, cette promesse était peut-être un piège tendu par Sleepy Joe au successeur de Joe Staline. Elle m’a rappelé la réaction que l’ambassadrice étatsunienne avait opposée à Saddam Hussein, le 25 juillet 1990, lorsqu’il lui fit part de son intention d’envahir le Koweit.
« L'ambassadrice ne bronche pas. Le dictateur croit comprendre qu'elle approuve sa décision et que les États-Unis n'interviendront pas dans le conflit. Dans le même temps, le Département d'État américain (le ministère des affaires étrangères) rappelle opportunément qu'aucun accord de défense ne lie les États-Unis au Koweit ! Le piège se referme. »
https://www.herodote.net/17_janvier_1991-evenement-19910117.php
Cette fois, la « communication » étatsunienne a été étrangement double : d’une part, démontrer au monde entier, photos à l’appui, que tout était prêt pour une invasion ; et, d’autre part, répéter à l’envahisseur présumé que les Etats-Unis n’interviendront pas militairement.
Poutine a compris un peu tard qu’il s’était fait intoxiquer (sur l’état moral et matériel de l’armée ukrainienne, notamment). Dans un style digne de Staline, il a donc fait arrêter quelques dirigeants des services de renseignement. « Le service de sécurité du FSB lui aurait remis des renseignements suggérant que l’Ukraine était faible, criblée de groupes néonazis et qu’elle abandonnerait facilement si elle était attaquée. »
Des « experts faucons » aux Etats-Unis font pression pour une intervention directe dans le conflit. Ainsi, l’un d’entre eux, Max Boot, « a affirmé que les États-Unis devraient aider à préparer l'Ukraine à mener une insurrection armée au cas où la Russie intensifierait son implication en Ukraine ».
Hawkish pundits downplay threat of war, Ukraine’s nazi ties
Ce sera le peuple ukrainien d’abord qui en paiera les conséquences. Joe Biden, lui, pour le moment, semble plutôt se tenir à une stratégie indirecte de guerre économique et financière qui peut durer longtemps. Dans ce cas, le peuple russe en souffrira aussi.
En réalité, cette guerre n’est pas une guerre entre l’Ukraine et la Russie, mais une guerre entre les Etats-Unis et la Russie, sur le sol de l’Ukraine, avec des troupes ukrainiennes armées par « le monde libre ».
En conséquence, c’est pousser la Russie dans le camp de la Chine et entamer une confrontation directe avec ce bloc, qui sera dominé par la Chine.
Et vouloir se taper en même temps The Big Show et The Great Khali, c’est difficile même pour The Undertaker.
https://www.dailymotion.com/video/x1fbf1p
Le pire n’est pas sûr, cependant, et la raison peut l’emporter avec le renoncement à l’emploi des armes chimiques, bactériologiques et nucléaires. En effet, la deuxième indépendance de l’Ukraine, le 24 août 1991, a été proclamée « dans les frontières artificielles dessinées par les dirigeants bolchéviques ».
Il est donc toujours possible de les redessiner.
https://www.herodote.net/Une_petite_Russie_en_quete_d_identite-synthese-605.php
IV
Mais putain ! on ne parle pas de Macron dans ce texte !
« Ce qui me rend optimiste, c’est que l’histoire que nous vivons en Europe redevient tragique »
Dominique Merchet se montrait modérément indulgent avec ce Macron de 2018 : « Né en 1977, Emmanuel Macron appartient à l’évidence à une génération qui n’a pas connu les tragédies de l’histoire européenne ».[3]
Il n’est pas le seul président à aimer jouer aux petits soldats et à enfiler la tenue de chef des armées. Sarkozy avait eu sa Libye : Hollande son Mali. Sarkozy avait eu son Kadhafi ; Hollande avait tenté sa Syrie, mais avait raté son Bachar El Assad.
Mais Macron, lui, croit avoir le sens du théâtre et il met en scène ses interventions sous deux modes principaux : un solennité de pacotille pour ses discours officiels et un langage de racaille pour ses indiscrétions à faire fuiter de toute urgence.
https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/03/02/adresse-aux-francais-ukraine
« Nous sommes en guerre », dit-il six fois le 16 mars 2020, « guerre sanitaire certes », précise-t-il la première fois. Dans son adresse aux Français du 2 mars 2022, il prononce une douzaine de fois le mot « guerre », qui est de circonstance, mais la septième fois, il tient à préciser : « nous ne sommes pas en guerre contre la Russie ».
Ce type ne pense pas ce qu’il dit. Il ne pense qu’à prendre des postures pour la postérité et pour sa gloire : nous aurions été en guerre contre un virus, mais nous ne sommes pas en guerre contre les Russes.
Pour éviter la guerre, écrit Roland Lombardi « il aurait suffi que Paris annonce solennellement, en tant que membre de l’OTAN, et comme le prévoient ses statuts, qu’elle s’opposait à l’adhésion de l’Ukraine à l’alliance, tout en œuvrant pour que ce pays obtienne un statut de neutralité. (...) Au lieu de cela, soumis aux puissants lobbies américains, Macron a préféré des gesticulations diplomatiques à des fins électorales et s’aligner sur Washington. Ce qui a valu au Président français une humiliation lors de sa visite à Moscou et une énième déculottée diplomatique »
https://fildmedia.com/article/guerre-en-ukraine-poutine-est-il-tombe-dans-le-piege-americain
Et dans un billet plus récent, il poursuit
« Sa diplomatie spectacle face à Poutine, comme dernièrement la publication pathétique du roman-photo de sa gestion de la crise ukrainienne, semblent pourtant le faire bondir dans les sondages. Mais les Français sont plus intelligents qu’on ne le croit, même si beaucoup sont encore crédules surtout lorsqu’ils ont peur… »
La presse étrangère semble plus partagée sur la façon dont le président sortant entend ne pas sortir du jeu prématurément.
Certains sont choqués par ses méthodes de « communication » :
« Si l’on devait se fier à l’attitude du président français, la situation géopolitique de la France donnerait effectivement des raisons de s’inquiéter, confirme le Spiegel, en Allemagne :
On pourrait presque penser que les chars russes sont entrés en Bourgogne, ont déjà pris Reims et vont bientôt encercler Paris.”
« Une posture indécente pour le Spectator londonien, qui désigne le président français comme le dirigeant occidental le plus “indécent quand il s’agit de l’Ukraine.
(...)
Cependant avec ses tentatives de plus en plus risibles de jouer les machos, il ferait peut-être mieux de servir de faire-valoir à son homologue ukrainien. L’un était humoriste et est devenu président, l’autre était président et est devenu humoriste.”
D’autres sont plus indulgents ou même laudatifs :
Der Spiegel donne aussi la parole à la défene : « chez un président qui ne laisse visuellement rien au hasard, le look négligé est une déclaration belliqueuse ».
« Aux États-Unis, le Wall Street Journal contextualise : quand les dirigeants se tournent vers un look casual, affirme un styliste de Washington dans les colonnes du quotidien conservateur, c’est qu’ils souhaitent montrer qu’ils sont des êtres humains, eux aussi. »[4]
Macron l’Américain, donc, comme avant lui Sarkozy. N’oublions pas que les Etats-Unis sont, par excellence, la société du spectacle.
Mais il faut être un Thomas Legrand en grande forme pour voir Macron occuper « le terrain de la modération et de l’apaisement » (vers 1mn30)
https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-politique/l-edito-politique-du-vendredi-18-mars-2022
Conclusion provisoire
« ceux qui aiment les « guerres justes » mais avec le sang des autres »
Roland Lombardi
Macron croit sincèrement sans doute que la guerre, c’est bon pour la santé car elle lui permet d’apparaître en chef de guerre.
Mais c’est ce que croient aussi dur comme fer Biden et Poutine.
Sans avoir lu Randolph Bourne, ils savent que « la santé de l’Etat, c’est la guerre » pour toutes les raisons qu’il a données en 1918. La guerre « met automatiquement en mouvement, dans l'ensemble de la société, ces forces irrésistibles en faveur de l'uniformité, de la coopération passionnée avec le gouvernement » ; « dès l'instant où la guerre est déclarée, la plupart des gens, par quelque alchimie spirituelle, se convainquent aussitôt d'avoir désiré et exécuté l'acte eux-mêmes » ; « les idées minoritaires (...) tombent, désormais, sous le coup de la loi. »
Biden, Poutine et Macron appliquent, avec plus ou moins de mesure et de zèle, les mêmes principes de politique intérieure : c’est la prison pour les contestataires en Russie quand ils se font simplement insulter et traiter de « mauvais patriotes », de « complotistes » ou de « pro-russes » aux Etats-Unis et en France.
En effet, « là où domine le spectaculaire concentré domine aussi la police », écrivait Guy Debord en 1967[5]. Alors que « le spectaculaire diffus accompagne l'abondance des marchandises, le développement non perturbé du capitalisme moderne ». C’est ce « spectaculaire diffus » que sont censés souhaiter les Ukrainiens. Et dans ce monde-là, le « monde libre », selon le qualificatif qu’il se donne, le contrôle des opinions est confié en premier lieu à la « police de la pensée », les médias qui s’inscrivent dans « le cercle de la raison ». Il arrive cependant que, parmi les membres de cette police, quelques éléments se laissent aller à des confidences. Ainsi Michèle Cotta reconnaissait-elle récemment : « Il y a un incroyable parti pris antirusse dans les médias ».
https://www.monde-diplomatique.fr/2022/02/GARCIA/64331
Mais peut-être faisait-elle seulement de l’humour, car elle répondait à une question du Monde Diplomatique.
Poutine fait la guerre pour répondre à une usure du pouvoir. Biden et Macron doivent faire face à des échéances électorales, le premier en novembre, le second en avril.
Biden voulait parvenir à l’épreuve de force, et il y est parvenu, car ce choix de l’affrontement avec la Russie est l’objet d’un consensus bi-partisan.
Macron a-t-il vraiment pensé sauver la paix en tentant de séduire Poutine ? Il s’est plutôt fait humilier, mais, si l’on en croit les sondages, les Françaises et les Français lui gardent toute leur sympathie et leur confiance.
Dans le faux débat de TF1 le 14 mars, il semblait être revenu à la raison et partager avec Mélenchon le principe d’œuvrer pour une désescalade avec la Russie, en refusant à l’Ukraine des adhésions à l’OTAN et à l’UE. Celles-ci n’avaient d’ailleurs jamais été envisagées, ni par l’OTAN ni par l’UE, autrement que comme chiffons rouges pour exciter Poutine.
Malheureusement, certains en Ukraine ont pu y croire. Le seul devoir qui tienne est d’apporter une aide humanitaire à ce peuple.
Quant à ceux qui souhaitent ardemment une intervention militaire en Ukraine, qu’ils organisent des brigades internationales et s’y engagent, au lieu de pérorer à la radio, à la télé ou dans des meetings en petits comités.
Une réflexion attribuée à Montesquieu (mais peut-être apocryphe) circule actuellement sur la toile et résume assez bien la situation :
« Les responsables des guerres ne sont pas ceux qui les déclenchent, mais ceux qui les ont rendues inévitables ».
[1] « The War and the Intellectuals », Seven Arts, juin 1917
[2] https://www.herodote.net/La_guerre_de_Secession-synthese-626.php
L’article poursuit : « le blocus économique, la propagande, les exécutions de prisonniers, les exactions à l'encontre de la population civile ».
« À l'initiative de Lincoln lui-même, l'Habeas corpus et les garanties juridiques sont suspendues et la censure est introduite. On procède à des centaines d'arrestations préventives de suspects ou de simples opposants. »
(...)
« Les combats ont au total mobilisé quatre millions de combattants. Ils ont fait 359 000 morts chez les vainqueurs nordistes et 258 000 « seulement » chez les Sudistes. »
[3] Il continuait son réquisitoire : « Nourri de littérature classique, il paraît observer ce « retour du tragique » avec une fascination esthétisante, au sein duquel il entend jouer les premiers rôles. Dans l’histoire littéraire, c’est un peu le romantisme du « Levez-vous vite, orages désirés » d’un Chateaubriand, mêlé à une forme de nietzschéisme. Sous la plume d’un intellectuel, le propos serait anodin. Sous celle d’un président de la République en exercice, il l’est sans doute un peu moins. »
[4] Toutes ces citations sont extraites de Courrier International :
Avec son sweat à capuche, Macron le communicant “pousse le bouchon un peu loin”
La dernière mise en scène du chef de l’État à l’Élysée, en sweat-shirt noir d’inspiration militaire, suscite un débat dans la presse internationale, qui y voit un clin d’œil au président ukrainien, Volodymyr Zelensky.
Emmanuel Macron copie-t-il le président ukrainien, Volodymyr Zelensky ? Et si oui, est-ce indécent ou politiquement habile ? Après avoir entraîné un débat d’envergure sur les réseaux sociaux en France, les photos officielles du président français, habituellement tiré à quatre épingles, troquant son costard-cravate bleu marine contre un sweat à capuche des forces armées, intriguent aujourd’hui la presse internationale.
“Les similitudes – en particulier un président Macron toujours rasé de près qui donne soudain dans la barbe de trois jours – ne sont pas passées inaperçues aux yeux des experts de la politique”, écrit aux États-Unis le Wall Street Journal au sujet des images du chef de l’État au travail, tel qu’il est immortalisé par sa photographe Soazig de la Moissonnière. C’est elle qui a publié les clichés d’Emmanuel Macron lundi 14 mars sur son compte Instagram : sérieux, concentré, mal rasé, et maintenant… en sweat noir siglé “CPA 10” des troupes des forces spéciales de l’armée de l’air française. Un accoutrement qui ne rappelle que trop le président ukrainien, qui intervient en tee-shirt et veste depuis le début de la guerre dans son pays. Et qui a connu par ailleurs un gain de popularité spectaculaire.
“Emmanuel Imite-cron !”
Un des tweets les plus remarqués était ainsi celui d’Oleksiy Sorokin, un des rédacteurs en chef du Kyiv Independent :
Il y a un mois, on aurait eu du mal à imaginer le président Emmanuel Macron s’efforçant de copier le président Volodymyr Zelensky. Telle est la réalité dans laquelle nous vivons aujourd’hui.”
Aux États-Unis, le Wall Street Journal contextualise : quand les dirigeants se tournent vers un look casual, affirme un styliste de Washington dans les colonnes du quotidien conservateur, c’est qu’ils souhaitent montrer qu’ils sont des êtres humains, eux aussi. Le cliché de Bill Clinton et Al Gore en short et tee-shirt après leur footing, un gobelet McDonald’s à la main, pendant la présidentielle de 1992, est resté une référence en la matière aux États-Unis.
L’idée provoque l’hilarité outre-Manche dans la rédaction du Daily Mail. “Emmanuel Imite-cron !” titre le tabloïd britannique en récapitulant l’historique photographique de la présidence Macron, au cours de laquelle le journal britannique a identifié de nombreuses prises de vue inspirées d’illustres prédécesseurs : avant Volodymyr Zelensky, il y eut Obama, Churchill, Kennedy et bien d’autres.
Tentatives risibles de jouer les machos
Mais pour certains, en France, la mise en scène ne passe pas du tout, observe en Belgique Le Soir, qui qualifie les moqueries sur Twitter de “coup dur pour Emmanuel Macron”. Si l’on devait se fier à l’attitude du président français, la situation géopolitique de la France donnerait effectivement des raisons de s’inquiéter, confirme le Spiegel, en Allemagne :
On pourrait presque penser que les chars russes sont entrés en Bourgogne, ont déjà pris Reims et vont bientôt encercler Paris.”
À lire aussi Vu de l’étranger. Macron : une candidature de “commandant en chef”
Une posture indécente pour le Spectator londonien, qui désigne le président français comme le dirigeant occidental le plus “indécent quand il s’agit de l’Ukraine”.
Le président français, qui vise une réélection en mai après cinq années difficiles, a pigé que c’est ce style que les gens semblent aimer en ce moment. Donc quand Zelensky fait quelque chose, il suit, accompagné comme toujours par l’un de ses fidèles photographes personnels.”
Et le chroniqueur de continuer :
Macron se félicitera sans aucun doute d’être ainsi assimilé à Zelensky, qui est favori pour être l’homme de l’année du magazine ‘Time’. Cependant avec ses tentatives de plus en plus risibles de jouer les machos, il ferait peut-être mieux de servir de faire-valoir à son homologue ukrainien. L’un était humoriste et est devenu président, l’autre était président et est devenu humoriste.”
Un habile communicant
Pour Der Spiegel en Allemagne, le verdict est différent. Selon l’hebdomadaire, “chez un président qui ne laisse visuellement rien au hasard, le look négligé est une déclaration belliqueuse”. Et donc, “en adoptant une tenue similaire [à Zelensky], Macron envoie un signal que l’on peut interpréter à Kiev comme un témoignage de solidarité diplomatique. D’accord, le pacifisme, c’est autre chose. Mais s’il y a bruit de bottes, on pourrait difficilement faire plus délicat.”
Même son de cloche à Madrid : selon Alex Comes, analyste en communication politique cité par le Huffington Post Espagne, Macron et sa photographe “sont sans doute les meilleurs” dans l’usage de la photographie comme outil de communication politique, même s’ils poussent “le bouchon un peu loin”.
Zelensky est dans la rue avec ses troupes, Macron est à l’Élysée. C’est peut-être un geste de soutien aux troupes françaises, mais elles ne jouent pas un rôle prédominant.”
Autre expert cité par le Huffington Post Espagne, José Luis Martín Ovejero, spécialiste de la communication non verbale. Selon lui, Macron souhaite que le monde entier le voie porter son sweat noir : “Il envoie un message au monde extérieur, de l’ordre de : ‘Je suis maintenant un militaire, et c’est un message pour tout le monde, à la fois pour l’Occident et pour la Russie’.”
[5] La société du spectacle (1967). En 1988, dans Commentaires sur la société du spectacle, il revenait sue ces deux concepts en écrivant : « Une troisième forme s’est constituée depuis, par la combinaison raisonnée des deux précédentes, et sur la base générale d’une victoire de celle qui s’était montrée la plus forte, la forme diffuse. Il s’agit du spectaculaire intégré, qui désormais tend à s’imposer mondialement ». J’y reviendrai une autre fois.
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