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Accueil du site > Tribune Libre > La science, la fiction et le poète

La science, la fiction et le poète

Avec le décès d’Arthur C. Clarke, se tourne une page importante de la littérature de science-fiction du XXe siècle. Scientifique imaginatif et écrivain de génie, cet homme, britannique jusqu’au bout des ongles vivait depuis des années au Ski Lanka, sa patrie d’adoption. Retour sur un géant.

J’ai grandi et mûri avec les bouquins de Clarke à la main. Je lis de la science-fiction depuis longtemps, très longtemps. J’avais à peine 10 ans quand j’ai tenu mon premier roman de SF dans les mains. Et, très vite, Clarke est venu à passer entre mes mains, devant mes yeux, à entrer dans mon imaginaire.

Clarke est un grand auteur, un très grand auteur parmi le petit monde pourtant ouvert de la SF et du fantastique. Mais, chez lui, le narrateur n’a jamais cédé le pas complètement à l’homme de science. L’inventeur des satellites de communication en orbite géostationnaire a toujours voulu donner la "vérité scientifique" comme cadre strict à ses livres. Chez lui, pas d’hyperdrive, pas de sabres lasers, pas de pouvoirs surnaturels. La vitesse de la lumière est indépassable, l’homme de son futur vit dans le même carcan que nous. Seules les technologies sont parfois "extrapolées", améliorées, mais juste de manière plausible on concevable.

Pourtant, ces étroites frontières n’ont pas empêché Clarke d’écrire des livres emplis d’imaginaire, de poésie et de rêve. Dans le cadre strict de la réalité ou il a voulu inscrire son oeuvre, Clarke est un magicien du rêve subtil. Un orfèvre de la poésie, de la nostalgie, de l’évocation de la condition humaine. Plus d’une fois ses récits m’ont bouleversé. Certains sont si intenses qu’il m’est devenu difficile de les relire, moi qui suis pourtant un glouton de lecture et de relecture.

Rendez-vous avec Rama, Terre planète impériale, Chants de la Terre lointaine, que de temps ai-je pu passer le nez plongé dans ces écrits... Car Clarke parle de nous, de l’humanité, des hommes. Avec leur grandeur et leurs faiblesses, leurs immenses qualités et leurs défauts parfois horribles. On peut retrouver chez Clarke ce parti pris qui existe chez les Grecs antiques. Son art, leur art met l’homme au coeur de la préoccupation. Les Grecs avaient une passion de la représentation de l’homme. Clarke ne parle jamais d’autre chose. Si la figure de l’extraterrestre est parfois présente (dans les univers de Rama et 2001 entre autres), il n’est jamais là que pour tendre un miroir à l’homme et lui offrir un moyen de s’étudier avec un point de vue différent.

On trouve aussi au coeur de son oeuvre une préoccupation sur l’avenir de l’homme, les immenses difficultés qu’il peut être amené à affronter, et la pauvreté des armes dont il dispose. Clarke est rarement optimiste et porte souvent un regard que d’aucuns jugeront lucide sur notre espèce. Il le fait pourtant toujours avec amour et le mélange de ces deux visions teinte la plupart de ses récits d’une mélancolie poignante.

Pourtant, c’est un livre atypique qui le rendit célèbre. 2001 est en effet une oeuvre particulière. Clarke a écrit le livre pendant que Kubrick tournait son film. le scénario de départ est tiré d’une nouvelle écrite antérieurement par Clarke. 2001 est donc une oeuvre double, étrange, le film et le livre se regardant comme par un effet de miroir parfois déformant. Le livre s’appuie sur le film pour venir au monde. Le film s’appuie sur le livre pour révéler son sens.

Mais, au-delà de l’évocation de son oeuvre, de son style, comment finir un court papier sur quelqu’un qui a tant compté dans mes balades de lecteur autour de Jupiter, Saturne, Vénus ? Comment dire ce que je ressens là, tout de suite ? Comment exprimer cette immense gratitude à cet homme qui n’a jamais cessé de croire en nous et qui sait le dire comme un Anglais, l’air de rien ? Comment dire cette tristesse délicate et tout en nuance, car comment être triste quand cet homme nous lègue un univers si vaste qu’on y trouvera toujours un coin pour s’évader, lire, réfléchir et aimer ?

Peut-être en disant merci, et en cherchant l’un de ses livres, pour s’y replonger. Chants de la Terre lointaine peut-être. Oui, sans doute. Sans doute son oeuvre la plus triste, la plus délicate aussi. Les chants d’un poète qui s’éloigne. Discrètement.

Manuel Atréide


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18 réactions à cet article    


  • TALL 20 mars 2008 11:34

    Très joli texte ...

    Dommage qu’A.Clarke n’ai pas vécu 15 ans de +, il aurait pu voir son "HAL 9000" en vrai


    • Manuel Atreide Manuel Atreide 20 mars 2008 13:16

      @ Tall ...

      Faut qu’on fasse gaffe : à force de se mettre à apprécier les propos de l’autre, on va finir par être pote !

      Comment ça se passe au pays des belges ? HAL 9000 va prendre les rènes du pouvoir ?

      Manuel "Hello Dave" Atréide


    • TALL 20 mars 2008 13:20

      Pour la Belgique, c’est simple : elle est bord du gouffre et continue de progresser.

      Mais mon avenir n’est pas ici, HAL 9000 oblige, justement

      A +


    • geko 20 mars 2008 12:18

      Bel hommage pour cet auteur, un des rares à donner un ton paisible, presque lyrique au space opera, un style magnifiquement retranscrit au cinéma par Kubrick.


      • elric 20 mars 2008 14:40

         Bel hommage à Arthur C Clarke,qui fut un grand auteur de science fiction,et un grand explorateurs des possibles.On pouvait apprécier chez lui une vaste imagination associée à une certaine rigueur scientifique,cela me donne aussi envie de me replonger dans ses livres et de revoir "2001 l’odyssée de l’espace" réalisée par kubrick,autre grand monsieur lui aussi disparut


        • docdory docdory 20 mars 2008 14:50

           @ Manuel Atréïde 

          Je pensais faire cet éloge de Arthur Clarke , mais vous m’avez devancé !

          Une petite citation de mémoire pour la route ( pour sa route ? )

          (...) The thing is hollow ...it goes on forever ... and , OH MY GOD , IT’S FULL OF STARS !!!


          • Krokodilo Krokodilo 20 mars 2008 16:43

            Sympa l’hommage à Clarke et à la SF. Vive les rêves  !


            • Gracian Gracian 20 mars 2008 17:21

              Oui, un bel article, sensible et mesuré.

              Pour ceux qui ont le cable ou satellite, "2001 l’odyssée de l’espace" passe sur TCM à 20h45 le jeudi 27 !

              A plus.


              • docdory docdory 20 mars 2008 18:36

                 @ tous 

                J’avais vu " 2001 odyssée de l’espace " à sa sortie en 1968 , j’avais 10 ou 11 ans , je crois . Je crois qu’aucune autre oeuvre cinématographique ou littéraire ne m’a autant marqué dans ma vie . Je l’ai vu pour la dernière fois en salle ... en 2001 justement , pour une fois en VO et sur super écran géant panoramique courbe . Sublime ! Je l’ai montré l’autre jour ( à la télé , hélas ) à mon fils de 11 ans . Il était fasciné .

                Je l’ai vu au moins dix fois dans ma vie , et lu autant de fois le livre ( en VO ) . Au fond , je ne sais toujours pas s’il s’agit d’un film d’espoir ou d’un film d’horreur , ou peut être bien les deux ...

                A lire aussi " la sentinelle " de Arthur Clarke , une petite nouvelle qui a servi de source d’inspiration pour " 2001 " , et aussi " l’étoile " , une autre nouvelle dans laquelle un jésuite explorateur spatial se met à perdre sa foi en raison des implications d’une de ses découverte ...

                Quand j’ai vu les premières photos de Saturne et de ses satellites par les missions Voyager , puis Casssini Huygens , je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Arthur Clarke , en particulier en voyant les photos de Japet , qui joue un grand rôle dans le livre 2001 .

                Ce qui m’a paru le plus " Clarkien " , curieusement , c’était cet enregistrement du vent sur Titan que l’on a pu entendre à l’atterrissage de la sonde sur Titan . Rien ne glaçait plus le sang que le bruit ce vent venu d’un monde aussi radicalement étranger et lointain ( Sauf peut-être le bruit strident d’une onde issue d’un monolithe lunaire , onde se dirigeant ensuite vers l’infini ...) . J’aurais bien aimé boire une bière anglaise avec Arthur Clarke ce jour-là ! ...

                 



                  • zanyzab 20 mars 2008 19:18

                    Merci pour cette eulogie, tellement nécessaire.

                     

                    Sans Arthur Clarke et ses livres, je sais que ma vie aurait été moins riche. Il m’a donné l’envie d’apprendre, j’avais 14 ans, et je n’ai jamais perdu cette envie de savoir. J’ai trouvé, dans l’un des essais repris dans "Greetings, carbon-based bipeds" la phrase suivante, que je vais traduire imparfaitement sans doute :

                    "The creation of wealth is certainly not to be despised, but in the long run the only human activities really worthwhile are the search for knowledge and the creation of beauty"

                    " La création de richesses n’est certes pas à mépriser, mais à long terme, les seules activités humaines effectivement dignes d’intérêt sont la quête de la connaissance et la création de la beauté"

                    Clarke a fait les deux, j’aimerais seulement être capable d’en faire autant.

                     

                     


                    • Gasty Gasty 20 mars 2008 19:45

                      Ca alors ! En m’étonnant de ne pas entendre l’auteur parler du 2010, je viens de m’apercevoir que j’ai raté deux volumes  d’Arthur C. Clarke :

                      2061, l’Odyssée trois et 3001, l’Odyssée finale.

                      Donc 2001 est assez particulier par rapport aux suivants. Particulier dans le sens ou un livre et un film ont été étroitement liés dans leurs réalisations. Décidément, je prend du retard , merci à l’auteur.


                      • pierce 20 mars 2008 22:30

                        merci pour ce commentaire plein de nostalgie. personnellement j’ai découvert Clarke à travers "la citée et les astres" que j’ai bien dû lire plus de 20 fois avec toujours autant de plaisir.

                        Etonnant de voir comment ce vrai scientifique avait su garder ses distances avec le merveilleux technologiques qu’il savait pourtant décrire avec brio pour revenir à la dimension humaine.

                        Dans ma bibliothèque idéale de la S.F. je placerai volontier également "Rendez-vous avec Rama". Peut être pas 2001, d’ailleurs j’ai toujours trouvé le film de Kubrick nettement meilleur que le roman de Clarke, a-t-on besoin de toutes ces explications, mais bon...

                         

                         


                        • Manuel Atreide Manuel Atreide 20 mars 2008 22:55

                          @ toutes et tous ...

                          Si ce petit billet d’hommage vous a fait plaisir et vous a rappelé les joies éprouvées à la lecture des romans de Clarke, j’en suis heureux. Je n’ai pas voulu en faire la liste exhaustive, ni surtout les commenter, j’en mettrais des pages et je n’en ai pas le talent.

                          Je voudrais quand même vous faire partager un rêve ancien, qui m’amenait dans les plaines de Rama. J’aurais tant aimé pouvoir poser les yeux sur les tranchées du vaste système d’éclairage, contempler la mer annulaire et rêver, même de loin, devant la fabuleuse New York que Clarke avait imaginé. Devant la majesté et la beauté austère de cet espace énorme, j’aurais eu sans doute beaucoup de mal à m’en retourner vers l’escalier des dieux pour revenir au monde plus prosaïque des hommes. Peut être alors aurais-je tenté ma chance avec les biotes pour regarder sans vraiment comprendre, avec mes yeux de primate primitif, le spectacle fantastique de l’espace moteur en marche. Et si l’aventure s’était soldée par une mort pendant le long voyage de Rama vers le grand nuage de Magellan, j’ai comme l’intuition que le marché aurait été néanmoins valable.

                          Allez, coupons court à ce commentaire. La difficulté d’en terminer avec cette intervention marque sans doute l’attachement d’un lecteur toujours autant passionné. Je vais donc juste lacher le clavier sur un ultime merci. Que les étoiles te soient douces, mon vieil ami.

                          Manuel Atréide


                          • Marc Bruxman 20 mars 2008 23:51

                            Merci pour cet hommage. La mort de ce grand auteur est malheureusement passé innapercu dans les médias.

                            Et il faudrait ajouter à cet oeuvre littéraire exceptionelle le fait que beaucoup d’inventions que l’on utilise dans la vie de tous les jours ont eu pour origine des bouquins d’AC Clarke. Les télécommunications par satellite notamment...

                            Peut être que dans un siécle on le reconnaitre avec justesse comme un visionnaire un peu à la maniére de Jules Verne aujourd’hui.


                            • Philou017 Philou017 21 mars 2008 01:33

                              Je suis aussi un grand amateur d’AC Clarke, pour moi un des trois géants de la SF avec Asimov et Van Vogt. Ces trois auteurs avaient des visions grandioses, et n’avaient pas besoin de construire des mondes compliqués, leurs histoires étaient tres humaines tout en ouvrant de nouvelles portes.

                              Rendez-vous avec Rama était captivant, mais je me souviens aussi des Fontaines du Paradis.

                              A cette époque, même les dessins des couvertures étaient fantastiques .

                              Nostalgie, nostalgie..


                              • Tetsuko Yorimasa Tetsuko Yorimasa 21 mars 2008 11:13

                                Mon grand frère m’a fait découvrir Arthur C. Clark quand j’avais 10 ans, et je suis toujours subjuguée à la lecture de ces livres, plus tard quand j’ai vu "2001" de kubrick il a bien fallu que je me rende à l’évidence, j’aime la Science Fiction mais plus spécialement ce que l’on appelle aujourd’hui la Hard Science.

                                De ce pas je vais aller me racheter la série des "Rama"


                                • Zevengeur Zevengeur 7 avril 2008 22:14

                                  Bonne idée de rendre hommage ici à l’un des écrivains majeurs de la SF, je suis également fan de ce genre, d’ailleurs j’ai chroniqué quelques livres de SF sur mon site web : http://rth99rock.free.fr/newsf/newsf.html

                                  Heu, avec un nom pareil je ne suis pas étonné de tes goûts littéraires !

                                  (Pour ceux qui ne savent pas, voir le chef d’oeuvre de Franck Herbert  )

                                   

                                   

                                   

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