La stricte observation des règles : une stratégie payante ?
Connaissez-vous Elizabeth Swaney ? Moi non plus jusqu'à aujourd'hui ! Sa prestation aux JO d'hiver 2018 dans la discipline « ski halfpipe » est hallucinante.

Là où la concurrence fait ceci, ... elle fait ça.
Depuis que j'ai écrit cet article youtube me dit !!! :
"Cette vidéo inclut du contenu de International Olympic Committee, qui l'a bloquée pour des raisons de droits d'auteur."
Voici un autre lien pour voir quand même la prestation d'Elizabeth Swaney.
(Ah, cette censure ! Mais ceci est une autre histoire)
C'est à se demander comment elle a pu se faire sélectionner par son pays pour avoir eu son billet pour Pyeongchang. Hé bien tout simplement en respectant les règles de sa sélection nationale !
Je les ai cherchées sur Internet et ne les ai pas trouvées (facilement : arrivé à la 7ième page de la recherche Google j'ai abandonné). Aussi me suis-je fié à cet article du Figaro qui stipule qu'elle a eu son billet en évitant simplement les chutes !
Et ça c'est toute la magie du système qui est révélée : le respect attentif et scrupuleux des règles peut vous faire gagner gros. En ce qui concerne cette jeune femme, je vous rassure si vous avez vu les 2 vidéos, elle a fini dernière. Mais elle a quand même obtenu sa sélection !
Combien de jeunes femmes plus talentueuses qu'elle ont chuté -au sens propre et figuré- sur ce règlement ? Combien ont été écartées car elles ont tenté l'impossible ? Je gage que ces tentatives même ratées auraient encore été 10 fois plus palpitantes que cette pâle descente !
Cet épisode sportif illustre à merveille ce que je voulais mettre en exergue : peut-on empêcher le « gestionnaire de carrière », le « comptable méticuleux », le « besogneux du règlement » de passer devant ?
La morale est sauve car le talent arrive toujours à s'exprimer et passera toujours devant. Mais pour quelques exceptions combien de « tristes comptables » (paix à cette profession honorable que je ne voudrais surtout pas discréditer) suivent juste derrière. Je vais vous illustrer mon propos avec une activité que j'aime beaucoup : les échecs.
La fédération des échecs codifie strictement un classement des joueurs ainsi que la façon de grimper dans ce classement. Je renvoie les néophytes vers le site officiel de la Fédération Française des échecs (membre de la FIDE) concernant ce règlement.
Comme vous le voyez c'est très complet !
Le classement est individuel et s'appelle « ELO ». Le principe général est qu'il faut gagner ses parties contre ses adversaires. Jusqu'ici rien de plus logique. Mais là où cela se complique c'est que la récompense (pour le calcul de votre nouvel ELO) sera moindre si vous gagnez contre quelqu'un qui a un ELO inférieur au votre (donc censé être plus faible) que s'il était supérieur au votre (donc censé être plus fort). Ainsi on valorise celui qui vainc plus fort que lui (Règle 1).
Toujours logique : pourquoi récompenser quelqu'un qui ne jouerait que contre plus faible que lui et qui gagnerait par conséquent ?
Toujours logique ? Non. Pour une raison claire et simple : la progression.
Jouer contre plus faible que soit est pénalisant pour votre classement ELO car si vous perdez vous perdez gros (l'exact contraposée de la règle 1). C'est vrai mais même si vous êtes le joueur le plus faible et que vous perdez, vous avez pu jouer contre plus fort et ainsi gagner une expérience inoubliable. Ce n'est pas en « poussant du bois » entre gens de même niveau ou d'un niveau inférieur qu'on progresse. Les joueurs d'échecs ambitionnant de progresser sur le plan des échecs et non plus strictement sur le plan de leurs ELO, le savent bien. C'est là que le bât blesse.
Il existe un nombre assez important de joueurs d'échecs qui soignent « leur ELO ». Des joueurs qui scrutent leurs adversaires, leur ELO. Va-t-il être rentable de jouer contre eux ? Et de se jeter dans des calculs compliqué d'ELO avant de décider s'ils vont risquer une partie.
Et ce comportement perdure même en dehors des compétitions. En Club. Et j'aurais tendance à dire surtout en Club. Et l'on voit fleurir des « castes » au sein de certains clubs, chaque caste filtrant l'accès à la caste supérieure l'empêchant de « profiter » de ce contact enrichissant et essentiel.
Bien sûr il existe et existera toujours des exceptions. J'ai connu certains clubs qui ne fonctionnaient pas comme ça. Mais c'étaient des clubs soutenus à bout de bras par des individualités d'exception qui irradiaient leur savoir ou leur principes d'enseignement des échecs par toutes leurs pores.
Vous voyez comment l'application stricte d'un règlement peut aboutir à une sclérose ?
Cette skieuse est le résultat d'un règlement. On peut transposer son exemple à l'Université.
Bravo vous avez eu votre Bac ! Vous voilà maintenant en première année. Vous réussissez les examens de fin d'année sans trop avoir d'idées sur votre futur avenir professionnel, mais vous sentez que vous êtes dans la bonne filière.
Et d'année en année en respectant bien le règlement (les examens, satisfaire les Professeurs (avec un grand P), voire même anticiper leurs désirs car vous avez compris comment fonctionne le Système) vous arrivez en Master2. Là vos visées professionnelles ne sont toujours pas nettes et votre Professeur vous propose aimablement de poursuivre par une thèse puisque justement il y a de la place, mais que pour vous, bien sûr.
Et vous voilà embarqué pour un certain nombres d'années universitaires supplémentaires qui vous mèneront in fine au titre tant envié de docteur es qualité.
Là vous vous heurtez de plein fouet à un changement de règles ! Celle du marché du travail. Lesquelles vous disent que seul un docteur sur deux sera embauché. A celui restant sera préféré un master 2, plus jeune, plus malléable et surtout moins-disant sur le premier salaire. Car la plus-value offerte par votre doctorat contra un M2 n'est pas énorme aux yeux des recruteurs. Pour eux vous êtes un « Elizabeth Swaney ».
Alors comment résoudre ce problème ?
Une solution serait de créer des tranches utiles. Prenons un exemple précis. Vous êtes un employeur et vous cherchez un Bac+2 : tapez alors dans la première moitié et négligez le reste. Ne prenez surtout pas un L3, M1 ou M2 car ceux qui ont postulé font sûrement partie de la moitié inférieure de leur tranche respective.
Ok mais que fait-on de tous ceux qui sont dans la tranche inférieure ?
Il semblerait qu'actuellement on y puise avec répulsion jusqu'à arriver à la réaction de rejet. Et c'est le chômage pour le reste.
C'est ce qui se passe actuellement et c'est valable dans toutes les professions.
Mais pas pour nous, le grand public quand nous exerçons nos talents d'employeurs. Notre médecin, nous l'avons choisi car nous lui avons demandé son classement de sortie (internat ou externat). Non bien sûr, je rêve. On est en France, on n'ose pas...Mais bon nous avons au moins suivis le bouche-à-oreille. Non plus !? Bon alors il nous reste l'efficacité : la consultation par Internet. Là au moins c'est rapide.
Mais nous avons oublié en passant le principe de base : prendre la moitié supérieure !
J'ai donné l'impression de m'être acharné sur les médecins. C'était juste un exemple. Vous et moi n'avons pas le loisir de choisir dans la « bonne » moitié car nous sommes le grand public mais nous aimerions tant pouvoir le faire.
Qui ne rêve pas de se faire opérer par tel grand Professeur ?
Qui n'a pas un mouvement de septicisme quand il voit arriver un jeunot de 16 ans pour lui réparer son chauffe-eau bourré d'électronique de pointe ?
Tout simplement chacun veut le meilleur pour lui, même si par ailleurs l'utilisation de ce « meilleur » est en fait un gaspillage.
Les professionnels eux en revanche, en fonction de la taille de leur entreprise bien sûr, prennent le temps de chercher cette information (Kbis et autres documents pour des recherches sur la bonne santé d'un futur partenaire, CV détaillés pour un futur collaborateur, classement officieux des universités et des Ecoles...).
Quelle est la solution alors ? Il n'y en a pas !
Car le remède est pire que le mal. En effet la stratégie qui consisterait à créer de nouvelles règles pour contrarier les « comportements arrivistes » de certains rendraient ces règles de plus en plus compliquées et favoriseraient l'émergence d'une caste qui
- soit auraient les moyens de comprendre ces règles et de les tourner à leur avantage
- soit auraient les moyens de payer des professionnels qui étudieraient ces règles pour eux
- ou alors pire encore qui feraient du lobbying pour produire des règles qui favoriseraient cette caste.
Il me semble que je suis en train de décrire le fonctionnement de notre société. Non ?
Je ne vais pas vous quitter comme ça avec cette sinistrose.
Une telle solution existe. Elle se trouve expliquée par la communauté du logiciel libre via ses 4 règles :
- La liberté d'exécuter le programme comme il le souhaite, pour n'importe quel usage (liberté 0)
- La liberté d'étudier le fonctionnement du programme et de l'adapter à ses besoins (liberté 1) – une condition préalable est d'accéder au code source
- La liberté d'en redistribuer des copies pour aider les autres (liberté 2)
- La liberté d'améliorer le programme et de rendre publiques ses améliorations pour que toute la communauté en bénéficie (liberté 3) – une condition préalable est d'accéder au code source.
Généralisons l'application de ces règles à tous les domaines.
Imaginons un monde où un étudiant de troisième année verrait sa notation tenir autant compte des ses progrès individuels que de ceux réalisés par l'étudiant de première année dont il serait le tuteur. Ce n'est pas trop dur d'étendre ce concept à d'autres domaines.
Imaginons un monde où l'on passerait plus de temps à discuter comment supprimer des règles que d'en créer.
Imaginons un monde où il serait plus valorisé -et partant- gratifiant d'aider que de faire.
Je ne suis pas un génie. Bon ok mais si je suis capable d'en détecter un quand il est encore enfant et si je sais en plus comment le mettre sur la voie qui lui permettra d'épanouir complètement son talent alors je serais pleinement satisfait de mon rôle.
Imaginons un monde où celui qui invente le traîneau serait enchanté qu'un autre le félicite en lui disant : « Pourquoi tu n'y mettrais pas une roue dessous, deux poignées et on appellerait ça une brouette ».
Ce monde ne vous plairait-il pas ?
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