La tragédie des migrants libyens : le naufrage de l’Europe, les fautes de la France et la solitude de l’Italie
137.000 personnes : tel est l'astronomique chiffre des migrants afflués, durant ces seuls six premiers mois de 2015 (le même nombre était déjà à déplorer pour l'année 2014), sur les îles, dont celle tristement célèbre de Lampedusa, du sud de l'Italie.
LE CHAOS LIBYEN
Ainsi, ce samedi 15 août 2015, jour de fête chrétienne pour nos sociétés occidentales, sont-ce encore près de 350 réfugiés, presque tous en provenance de Libye, que l'héroïque marine italienne, dont on ne sait si c'est la générosité d'âme ou le sens du devoir qu'il faut vanter le plus, a sauvé de la noyade au large des côtes de la Mer Méditerranée. Horreur, par-delà cet énième acte de bravoure, toutefois ! Car, dans l'hermétique et nauséabonde cale de ce modeste bateau de pêche auquel elle prêtait ainsi vaillamment secours, ce sont 40 cadavres d'hommes et de femmes entassés les uns sur les autres, tous morts par asphyxie, faute de pouvoir respirer à l'air libre, que cette même marine italienne, comble d'un spectacle particulièrement macabre, a découverts.
D'où, dépité, scandalisé en même temps qu'indigné, cette juste et opportune déclaration, pas plus tard que ce même 15 août, du Ministre italien de l'Intérieur, Angelino Alfano : « quand les pays de l'Union Européenne, sinon l'ONU elle-même, se décideront-ils donc à se pencher enfin sérieusement, afin de la solutionner, sur la question libyenne ? ».
L'ITALIE FACE AU NAUFRAGE DE L'EUROPE
A cet appel, aussi pressant qu'urgent, je ne peux, bien sûr, que m'associer. Et ce d'autant plus solennellement que, bien que de culture française, je suis moi-même, de naissance et de passeport, un citoyen de nationalité italienne.
Ainsi, nombreux sont aujourd'hui mes compatriotes à m'appeler, depuis Rome ou Milan, Venise ou Palerme, pour me demander avec raison, mais également aussi déçus qu'inquiets face à l'indifférence générale, ce que mon pays d'adoption, la France, fait concrètement, ne fût-ce que par solidarité européenne, pour alléger ce fardeau, par-delà même cette immense tragédie humaine, que porte pratiquement à elle seule en ce moment, quoique depuis quelques années déjà et quasi quotidiennement désormais, l'Italie (la Grèce, autre important pays européen du bassin méditerranéen, est en train de se voir confronté, par ailleurs, à ce même genre de drame avec les réfugiés syriens).
LA COUPABLE IRRESPONSABILITE DE SARKOZY ET BHL
Cette question que n'ont de cesse de me poser mes concitoyens italiens, ils me l'adressent d'autant plus légitimement, à moi qui ai fait de Paris ma ville de prédilection, et du Siècle des Lumières ma période d'élection sur le plan intellectuel, qu'ils considèrent la France, précisément, comme le principal responsable, par le rôle que l'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy (aiguillonné en cela par l'inénarrable Bernard-Henri Lévy), joua dans la chute de Kadhafi, de l'actuel chaos libyen et, partant, de ses désastreuses conséquences, y compris donc pour l'Italie, quant à la nécessaire mais difficile gestion de l'aide humanitaire à apporter à ces désespérés.
Ainsi, s'il est exact que le naufrage de ces miséreux se révèle être effectivement le naufrage de l'Europe, comme bon nombre d'observateurs vont le proclamant à longueur de tribunes dans la presse internationale, il est encore bien plus vrai qu'il s'avère être tout d'abord, par cette manifeste imprévoyance, le naufrage de Sarkozy, dont le bellicisme alors mené tambours battant, afin de déloger Kadhafi de son tyrannique pouvoir, ne se préoccupa jamais, parallèlement, de la reconstruction d'un pays aussi instable, politiquement, que la Libye (http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1356961-migrants-morts-on-paie-le-destastre-de-la-politique-de-sarkozy-et-bhl-en-libye.html).
D'où, en guise de conclusion à ce tragique et pourtant implacable constat : combien de temps l'Italie, et le reste de l'Europe, devra-t-elle encore payer sur le plan économique et social, bien qu'elle ne rechigne certes pas pour autant à accomplir jusqu'au bout son devoir moral (sorte d'« impératif catégorique kantien » qui s'ignore) en matière d'aide humanitaire, pour cette coupable irresponsabilité de la France ?
LE DEVOIR MORAL DE LA FRANCE
La moindre des choses, en l'occurrence, serait que le pays de Voltaire vienne enfin véritablement en aide, sinon à la Libye elle-même (dont elle se fout apparemment, après cette catastrophe annoncée mais qu'elle a pourtant causée, comme d'une guigne), du moins à la patrie de Dante !
Mais non, bien au contraire : la France, pour aggraver son cas, se cantonne là, ajoutant ainsi la lâcheté, sinon l'infamie, à l'irresponsabilité, de bloquer ces mêmes clandestins libyens (et autres) à sa frontière, comme elle le fit récemment du côté de Menton, les laissant ainsi macérer, pendant de longues et cruelles heures, sous le soleil cuisant d'Italie, à même les plages rocailleuses et peu hospitalières de Vintimille.
Et là, toute honte bue, c'est ce sacro-saint principe des « droits de l'homme » dont elle s'enorgueillit tant, depuis que les Lumières en firent l'illustre quoique illusoire dépositaire, que la France trahit ainsi, au mépris de toute humanité, bafouant ses propres valeurs morales, en premier lieu. Pitoyable et déshonorant !
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
* Philosophe, auteur de « La Philosophie d'Emmanuel Levinas » (PUF), « Critique de la déraison pure - La faillite intellectuelle des 'nouveaux philosophes' et de leurs épigones » (François Bourin Éditeur) et « Lord Byron » (Gallimard). A paraître, en septembre, « Le Testament du Kosovo - Journal de guerre » (Éditions du Rocher).
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