La vacuité de Libération sur l’euro
Philippe Martin, économiste parfaitement mainstream (et signataire de la tribune "nous, économistes, soutenons Hollande", c’est dire son expertise) y est récemment allé de son article contre le programme du Front National sur la sortie de l’euro. Il ferait mieux de se demander pourquoi il y a 1 million de chômeurs de plus en France depuis que son héros a été élu...
Il réussit l’exploit de délayer sa logorrhée dans 850 mots sans réussir à formuler le début d’un argument de fond.
On y apprend que le programme économique du FN est « à courte vue », qu’il contient des « approximations » (au moins contient-il quelque chose, contrairement à son article…) le tout en n'apportant pas le moindre commencement d’argument, seulement quelques certitudes et pas mal de morgue universitaire.
Est-ce ainsi qu’il qualifierait Bernard Maris, qui était favorable à la sortie de l’euro ? Ou encore ces 175 économistes, dont 6 Prix « Nobel » d’économie, ou l’un des économistes les plus cités au monde, comme Robert Barro ?
Va-t-il se montrer aussi véhément à l’égard de son collègue H.Sterdyniak qui, dans le même quotidien, annonçait qu’une « sortie de l’euro n’est en rien catastrophique » ?
Vu le goitre d’autosatisfaction de M.Martin, une telle éventualité ne serait pas à exclure.
Premièrement, rappelons que plus de la moitié de notre commerce se fait avec la zone euro.
La baisse de l’euro par rapport au dollar n’a donc aucun impact sur la moitié de notre commerce extérieur. De plus, l’euro s’est essentiellement déprécié par rapport au dollar et non par rapport aux autres monnaies. Ainsi le taux de change effectif réel (qui prend en compte ce biais) n’a baissé que de 6% et non de 10% comme mentionné par Philippe Martin.
Par ailleurs l’estimation du gain de la récente dévaluation de l’euro ne repose que sur une étude faite sur le commerce hors zone euro. Or, Alberto Bagnai, professeur d’économétrie italien a montré que la sensibilité des exportations vers la zone euro au prix ( et donc au taux de change) est très supérieure à celles dirigées hors zone euro. On aurait donc le plus besoin de dévaluer par rapport à la zone euro.
M.Martin part du principe que la sortie de l’euro de la France serait non-coopérative. Or, il y a fort à parier que l’Allemagne, se montrant raisonnable, se mettra à la table des négociations pour que cette sortie se passe dans les meilleurs conditions, puisque ceci est dans son intérêt (cf notion de "coercive deficiency")
Mais partons du scénario évoqué par M.Martin, à savoir que la sortie de la France est suivie par celle de l’Espagne ou de l’Italie, et que ces deux derniers pays dévalueraient probablement plus leur monnaie que le franc. Sapir & Murer (2013) ont montré que, même dans ce cas, le gain en termes de croissance pour la France est largement positif.
La position de M.Martin est d’ailleurs troublante puisqu’elle revient à dire que l’Italie et l’Espagne, voyant la France aller mieux une fois sortie de la zone euro, seraient tentées de l’imiter. M.Martin se trahit lui même puisqu’il donne de l’eau au moulin des partisans de la sortie de l’euro.
On a par la suite droit à un festival d’incompétence manifeste et orchestrée (donc de mensonge) pour nous faire dire que la dévaluation n’apporte pas de gain de compétitivité. Même un élève de 1ère en ES ne ferait pas cette erreur.
La dévaluation permet aux exportateurs soit d’augmenter leurs prix, et donc d'améliorer leurs marges, soit de baisser leurs prix et d'augmenter les volumes de ventes, et donc de gagner en compétitivité et en parts de marché. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe à l’échelle de la zone euro (cf graphiques plus bas, où on voit une baisse des coûts salariaux par rapport aux Etats-Unis et une augmentation du prix de vente des produits manufacturés suite à la dépréciation de l'euro).
Simplement, en France, la corrélation entre prix de vente des produits exportés et taux de change est extrêmement forte. On ne peut donc pas dire que la dévaluation ne permet pas de gagner en compétitivité.
En effet, la sensibilité des exportations françaises au prix, que l’on mesure par le concept d’élasticité-prix, est très élevée. Ceci est dû au niveau de gamme moyen de nos exportations, et à la piètre qualité de nos investissements et qualification des travailleurs. Ainsi, la France a besoin de dévaluer pour permettre aux entreprises d’augmenter leurs profits nets et d’enclencher un processus vertueux d’investissement qui permettrait cette montée en gamme.
Keynes l’évoquait déjà au Comité Macmillan en 1930 (cf schéma). Par ailleurs, même en cas d'impossibilité de dévaluer (on était en régime d'étalon-or), il préconisait une dévaluation interne par... la protectionnisme ! Aghion, Cohen et Cette, l'ont d'ailleurs cité pour appuyer l'idée d'une "TVA sociale", sans se rendre compte que la phrase de Keynes était éminemment protectionniste...
"Précisément les mêmes effets que ceux produits par une dévaluation de la livre sterling d'un certain pourcentage, peuvent être produits en combinant l'introduction d'un tarif sur les importations à celle d'une subvention équivalente sur les exportations, avec l'avantage de ne pas affecter la parité de la livre par rapport à l'or, et donc la valeur des obligations britanniques en or."
Enfin, M.Martin évoque les éventuelles sorties de capitaux. Même le FMI n’en est plus là puisqu’il recommande depuis au moins 2010 à tous les gouvernements de conserver le contrôle des capitaux dans leur boîte à outils en cas de besoin. Même si les capitaux partent dans la période précédent la sortie de l’euro, ils reviendront une fois la sortie exécutée et l’équilibre atteint, avec un pouvoir d’achat accru, comme dans toutes les phases de dévaluation que la France, l’Espagne et l’Italie ont connues.
Il raisonne à politique monétaire constante alors que la sortie de l’euro permettrait de retrouver la souveraineté monétaire, ce qui fait cruellement défaut à la Grèce, et permettrait ainsi de pallier les problèmes engendrés par cette transition.
Bref, Philippe Martin a décidé de jouer sur les peurs sans avoir commencé une seule seconde à étudier ni les précédents historiques (67 sorties d’union monétaires), ni la faisabilité d’une telle sortie (comme par exemple J.Nordvig).
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