La Valls des Roms
Il est, dans les affaires françaises, d’étranges et paradoxaux chassés-croisés. Ainsi, au moment même où le Président de la république, François Hollande, fait sa très attendue rentrée politique, après la trêve estivale, son Ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, s’adonne, lui, à une fracassante sortie verbale : il pense pouvoir « faire mieux que la droite » en matière de sécurité, vient-il en effet de pérorer. On ne le lui fait pas dire !
Reste à savoir, seulement, si cette déclaration, plutôt maladroite (j’aurais peut-être pu écrire, facétieux et quelque peu impertinent, « mal à droite »), s’avère, en l’occurrence, plus « droite », par sa fermeté, que « gauche », par sa méthode. Entre les deux, son cœur balance, manifestement…
Car c’est sur un certain Nicolas Sarkozy, qu’il pourfendait pourtant avant de se retrouver lui-même place Beauvau, que ce très zélé premier-flic de France a apparemment pris exemple lorsqu’il ordonne sans état d’âme l’expulsion, « manu militari », de centaines de Roms de leurs camps… y compris jusqu’à ceux, relativement hospitaliers et bien équipés, de Lille, pourtant fief aussi incontestable qu’incontesté de cette grande dame du socialisme à la française qu’est Martine Aubry. D’aucuns la disent même, pour cette trahison venant de la part de l’un de ses propres poulains, rouge de colère, sinon de honte : ô rage, ô désespoir !
C’est la Valls, en deux temps trois mouvements, des Roms.
Le Président, à peine revenu de sa plage ensommeillée sous un soleil de plomb, a préféré ne pas piper mot, lui, sur ce très sensible dossier : le silence est d’or. De quoi plomber l’ambiance, effectivement, au PS.
Davantage : c’est du titre d’un célèbre film français que ce grand cinéphile de François Hollande s’est probablement inspiré là pour, aux confins d’une imperturbable et quasi insolente indifférence, conseiller sagement, face au compréhensible courroux de sa meilleure ennemie au siège de la rue de Solferino, son précieux ministre : « Laisse aller… c’est une Valls » !
LE TEMPS DES GITANS
Il est toutefois un autre film que, sur cette très embarrassante affaire des Roms, je souhaiterais faire visionner, si le cœur lui en disait, à notre Président fraîchement élu : « Le Temps des Gitans » du grand réalisateur serbe, deux fois « Palme d’Or » au Festival de Cannes (n’en déplaise à nos serbophobes primaires), Emir Kusturica.
Ce film-là, sorti en 1989, fut presqu’entièrement tourné en « romani », la langue des tziganes et autres romanichels justement. Avec, pour l’agrémenter de bout en bout, une magnifique musique, superbement poétique et douloureusement nostalgique, de Goran Bregovic.
Cette loufoque mais talentueuse fanfare a pour nom « L’Orchestre des Mariages et des Enterrements ». Je l’ai vu jouer, il ya quelques années, sur la scène de l’Olympia, à Paris. Une ambiance du tonnerre ! Un triomphe ! De jeunes et belles femmes y dansaient debout, les pieds nus, claquant les mains et chantant à tue-tête, sur leur fauteuil branlant.
Il y avait ce soir-là, à Paris, un petit air de Serbie, de Macédoine, de Bulgarie et de Roumanie réunies. Bref : les Balkans dans toute leur tragique splendeur, avec cette oxymorique âme slave, venue tout droit de l’Europe du sud-est, à vous faire chavirer dans des océans de spleen et de joie tout à la fois !
LA ROUTE DE BRUXELLES, CAPITALE DE L’EUROPE
C’est là que je me suis dis que je les verrais bien un jour jouer, de la même manière, sur la Grand’Place de Bruxelles, en plein cœur de cette ville qui, au siècle dernier déjà, bien avant de devenir la capitale de l’Europe donc, accueillait sans broncher, ravie même de faire ainsi la nique à Paris, quelques-uns des plus grands écrivains de France lorsqu’ils y étaient pourchassés sur son territoire : Charles Baudelaire et Victor Hugo n’en sont, parmi de nombreux autres, que les deux plus célèbres.
Allez donc, les Roms : si la France ne vous veut plus, il vous reste encore l’Europe, dont, sans le savoir, vous n’êtes jamais, avec votre sens inégalé du voyage et votre refus naturel des frontières, que les véritables et historiques précurseurs !
Mieux : n’êtes-vous pas après tout, portés ainsi par votre ancestral esprit nomade, les premiers transnationaux ?
Il n’y a guère si longtemps, vous fûtes même pour cela, de sinistre mémoire, les compagnons d’infortune d’autres persécutés de par le monde. Ceux-là étaient Juifs, mais vous aviez tout de même un identique bourreau : Hitler et sa clique de nazis. Cela est suffisant, à mes yeux, pour que vous ayez mon éternelle et surtout fraternelle compassion, cette « tendresse de pitié » dont parlait si bien, en des termes admirables, le grand Albert Cohen.
Il ne nous reste donc plus, à nous, Européens convaincus, qu’à vous offrir, en guise de bienvenue tout autant que de vade-mecum, si d’aventure Paris osait vous chasser Dieu sait où, un petit verre pour la route… de Bruxelles.
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur de « Philosophie du Dandysme » (Presses Universitaires de France » et « Oscar Wilde » (Gallimard - Folio Biographies).
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