La vie au ralenti mais la vie malgré tout
Jamais encore, depuis plusieurs décennies, l’émergence d’un nouveau virus n’avait à ce point influé sur la vie sociale et économique. Mais ses effets ne seront peut-être pas que négatifs…
Depuis près d’un mois maintenant, un mot s’est imposé à la une de tous les journaux, dans tous les débats et toutes les discussions médiatisés ; un mot à la phonétique presque familière mais au contenu néanmoins mystérieux : coronavirus. Tant qu’il était localisé dans la lointaine région chinoise du Hubei, il n’était qu’une information parmi d’autres dans le bulletin des affaires terrestres – lesquelles n’ont jamais été au beau fixe. On a même cru, au vu des méthodes drastiques déployées par le gouvernement de Pékin, qu’il pourrait être circonscrit à sa zone d’émergence. Après tout la circulation des virus à la surface de la terre est calquée sur celles des hommes. Bloquez-la pendant quelques semaines et, avec un peu de chance, tout rentrera dans l’ordre.
C’était pécher par optimisme et lorsque l’Italie a déclaré ses premiers cas d’infection, nous avons tous compris que le France serait la prochaine étape. Rapidement le coronavirus a chassé, dans l’esprit de nos concitoyens, des préoccupations qui auraient, sans cela, monopolisé toute leur attention : les élections municipales, le passage en force du gouvernement sur le dossier des retraites, la guerre turco-syrienne et ses nouveaux flux de réfugiés, voire le procès Fillon. A présent qu’il prolifère sur notre territoire, que chaque jour qui passe ajoute de nouveaux malades et de nouveaux morts à une liste déjà longue, ce n’est plus une information mais une menace qu’il s’agit de traiter par l’état d’urgence. D’où ces communiqués prophylactiques à répétition qui nous rappellent que nous sommes en guerre contre un ennemi encore plus sournois et plus invisible que les terroristes de ces dernières années. Avec cette pandémie, nous redécouvrons qu’un évènement mondial – et le surgissement de ce virus en est un – peut nous concerner directement et non plus être simplement un objet de spéculations intellectuelles.
Du reste, la loquacité des commentateurs habituels et des spécialistes sur ce sujet amplifie son caractère angoissant. Elle est inversement proportionnelle à la chape de silence et de morosité qui s’est abattue sur la vie quotidienne. Dans les transports en commun, chacun surveille ses voisins, surtout ceux qui toussent et qui mouchent. L’angoisse est de plus en plus sensible dans les regards. On évite les contacts rapprochés et les échanges jaculatoires ; c’est la suspicion généralisée. Et si le port de masques chirurgicaux est encore peu fréquent dans l’espace public, les gens se protègent en remontant leur écharpe. Au moins aurons-nous gagné un peu plus de conscience de nos gestes quotidiens, un peu plus d’hygiène basique.
Le produit star du moment, c’est le gel antibactérien (naguère critiqué par les professionnels de la santé). Chacun veut avoir son flacon dans la poche et les pharmacies ne peuvent plus répondre à toutes les demandes. Certaines commencent à le fabriquer elles-mêmes, tandis que de petits malins font monter les prix – c’est classique – de ce produit anodin sur le marché noir qu’est devenu Internet. Bref, une forme de désintégration travaille le lien social.
Et pourtant ce virus n’est que l’agent d’une pneumonie, certes sévère, mais qui ne tue qu’une à deux personnes sur cent infectées. C’est davantage que le taux moyen de mortalité d’une grippe saisonnière (un décès sur mille cas), mais ce n’est pas non plus le terrible virus Ebola (un mort sur deux en cas d’infection). Ce n’est pas non plus la peste noire qui décima le tiers de la population européenne au XIVeme siècle et dont Marseille connût une répétition sinistre voici exactement trois siècles. Néanmoins le coronavirus est une maladie émergente, à peine identifiée. A travers lui c’est nôtre sempiternelle peur de l’inconnu qui revient en force. Sa recrudescence intangible perturbe non seulement les esprits mais l’ensemble du corps social, plombant les chiffres d’une économie nationale forcément liée aux variations des échanges mondiaux.
Ces répercussions ne sont pas seulement inquiétantes pour notre épargne et nos emplois. Elles révèlent la fragilité intrinsèque de la « machine-humanité ». Cette espèce prodigieuse, que beaucoup de ses enfants dénoncent aujourd’hui comme dévastatrice pour le restant de la planète, peut comme à ses débuts se retrouver dans une situation de faiblesse déconcertante, face à un phénomène naturel relativement bénin. On la dit surpuissante ; ce n’est pourtant qu’un colosse aux pieds d’argile, soumis aux mêmes craintes qui assaillaient nos très lointains ancêtres. Qui osera encore dire, après cette crise-là, que la nature est notre amie ?
D’aucuns (écologistes radicaux, végans, antispécistes) y voient, nous le savons, une forme de vengeance et se réjouissent en secret du mal que nous subissons. Les fous ! Mais si l’humanité est une espèce beaucoup moins forte qu’on ne le croit, elle est aussi très résiliente. C’est même sa grande qualité sur la durée et elle surmontera assez vite – nous n’en doutons pas – cette pandémie. Avant qu’une autre, encore plus meurtrière, ne l’assaille de nouveau…Car la vraie guerre de toujours est celle que nous menons, depuis la nuit des temps, contre la nature. Puisse-t’elle nous détourner de nos stériles conflits et conduire les êtres humains à davantage d’unanimisme et de solidarité !
Jacques LUCCHESI
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