La vie change avec Orange
Le personnage dont je vais vous raconter l’histoire est fictif, cependant, tout ce qui touche à ses conditions de travail est réel. La plupart des éléments sont tirés du documentaire "Orange Amère" récemment diffusé sur France 5.
Pierre a 42 ans, il habite Paris, il est père de trois enfants, et il travaille chez France Télécom depuis près de 20 ans. Il a commencé à travailler sur des chantiers pour l’entreprise, puis il a été muté 4 fois vers des postes totalement différents de ses qualifications. C’est-ce que le patronat appelle le time to move, ou TTM, ironiquement rebaptisé « Tire Toi Maintenant » par les salariés. Les cadres sont mutés tous les trois ans, les autres, tous les cinq ans.
Lorsqu’il arrive à son travail, Pierre s’installe à son bureau en « marguerite » c’est-à-dire plusieurs bureaux disposés en étoile et séparés par de fines cloisons. Il a 3 minutes pour s’installer, c’est le chiffre décrété par la direction. Il doit commencer par se « loguer » sur son ordinateur, après avoir entré ses identifiants, et il doit ensuite activer un programme qui va surveiller le moindre de ses actes tout au long de la journée, de son temps d’appel, jusqu’aux mouvements de la souris sur son écran. Après quelques heures de travail, le manager du groupe fait un rappel des objectifs : il n’est pas très content du travail fourni par son équipe, il n’ont atteint que 89% des objectifs de vente.
Pierre est toujours sous le stress de la contrainte des objectifs qui sont donnés en début de mois, malgré le fait que la durée des appels soit en moyenne de 10 minutes, la direction demande une moyenne de 5 à 8 appels horaires. Comme si cela ne suffisait pas, les salariés doivent également indiquer ce qu’ils ont vendu sur un logiciel et faire un dossier à propos de chaque appel, et cela pendant leur temps de travail, ce qui les oblige à prendre encore moins d’appels. Cela ne semblait pas encore assez stressant par la direction, c’est pourquoi les prestations des salariés sont écoutées par leur responsable. Mais ils ne savent pas qui est écouté, ni quand. Ils reçoivent juste en mail qui leur apprend qu’ils seront écoutés à un moment de la journée.
Après 3 heures de travail, Pierre se décide à demander à son responsable la permission d’aller aux toilettes. Son patron lui répond qu’il peut y aller, mais qu’il connait les conditions : pas plus d’une minute sinon celui-ci devra fournir une explication écrite.
C’est enfin la pause de midi.
Pierre s’est inscrit au cours de relaxation proposés par l’entreprise. Cela lui permet de mieux supporter le bruit continu qui l’entoure lorsqu’il travaille, et qui lui donne la migraine quand il rentre chez lui. Quelle délicate attention de l’entreprise ces cours de relaxation. Convivialité ! C’est un des nouveaux mots d’ordre de Stéphane Richard. L’entreprise organise des journées d’animation. Aujourd’hui les salariés préparent des gaufres, et des lots sont proposés à ceux d’entre eux qui vendront le plus d’abonnements téléphoniques à Madame Michu de Moche-les-grands-clapiers. La jeune Stéphanie a même décroché un magnifique stylo en plastique, imitation or. Après avoir détruit la convivialité entre les salariés, l’entreprise s’efforce de la reconstruire artificiellement. Et gare à celui qui se tient à l’écart, il risquerait de nuire à la productivité de tous ses collègues !
Aujourd’hui, Pierre à décidé de faire une folie : il va poser ses congés. Là encore, tout est automatisé, il doit faire une demande par internet, puis il doit appeler le CSRH, Centre du Service des Ressources Humaines qui est un service centralisé, exactement comme celui ou il travaille, on lui demande de taper 1 pour les retenues de salaires en cas de grève, de taper 2 si il a reçu un mail à propos de ses congés payés et de taper 3 pour les prestations d’actions sociales. C’est aussi un salarié qui va lui répondre. Il n‘y a pas de contact humain, et il n’est même pas sur d’obtenir ses congés ni même de pouvoir être en ligne avec un responsable.
Pierre a été naïf de croire que les choses changeraient. Depuis le départ de l’ancien PDG d’Orange, Didier Lombard, qui avait qualifié les suicides de salariés de « mode », et avec l’arrivée de Stéphane Richard en 2010 et de son « Plan Social » à 900 millions d’euros, il avait cru en l’avenir. Et puis, plus rien, l’espoir semble avoir disparu. Les 900 millions d’euros censés améliorer la vie des salariés font pâle figure à coté des 3,7 milliards d’euros de cadeaux aux actionnaires, voté par le conseil d’administration de France Télécom, dont fait toujours partie Didier Lombard.
Il y a seulement quelques semaines de cela, un autre salarié de Franc Télécom s’est suicidé, en s’immolant. Pourtant dès 2008, bien avant la médiatisation des suicides, 7 médecins du travail avaient mis en garde les patrons contre les dangers de leurs méthodes, et dix autres avaient démissionné.
C’est vrai, la vie change avec Orange.
Warioshake
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