La vitesse
Extrait du livre de Françoise Sagan : " Avec mon meilleur souvenir."
" Elle aplatit les platanes au long des routes, elle allonge et distord les lettres lumineuses des postes à essence, la nuit, elle baîllonne les cris des pneus devenus muets d'attention tout à coup, elle décoiffe aussi les chagrins : on a beau être fou d'amour, en vain, on l'est moins à deux cents à l'heure. Le sang ne se coagule plus au niveau du coeur, le sang gicle jusqu'à l'extrêmité de vos mains, de vos pieds, de vos paupières alors devenues les sentinelles fatales et inexorables de votre propre vie. C'est fou comme le corps, les nerfs, les sens vous tirent vers l'existence. Qui n'a pas cru sa vie inutile sans celle de "l'autre" et qui, en même temps, n'a pas amarré son pied à un accélérateur à la fois trop sensible et trop poussif, qui n'a pas senti son corps tout entier se mettre en garde, la main droite allant flatter le changement de vitesse, la main gauche refermée sur le volant et les jambes allongées, faussement décontractées mais prêtes à la brutalité, vers le débrayage et les freins, qui n'a pas ressenti, tout en se livrant à ces tentatives toutes de survie, le silence prestigieux et fascinant d'une mort prochaine, ce mélange de refus et de provocation, n'a jamais aimé la vitesse, n'a jamais aimé la vie. ou alors, peut-êtres, n'a jamais aimé personne."
Analyse :
Ces quelques phrases, véritable apologie de la vitesse, sont extraites du livre de Françoise Sagan paru chez Gallimard : "Avec mon meilleur souvenir." Dans ce recueil de souvenirs, de rencontres, Françoise Sagan lui réserve tout un chapitre. Elle en aime les sensations, la griserie, la communion qui s'installent entre la voiture et le conducteur.
De cet amour de l'automobile, de cette passion de la vitesse à laquelle elle rend hommage, essayons de comprendre pourquoi la voiture procure du plaisir.
La vitesse est un plaisir physiologique.
Tout d'abord, il faut comprendre que nous sommes "des machines biologiques", communiquant les unes avec les autres, et qui, de ce fait, reçoivent des flux d'informations. Ces informations, nous les traitons. C'est-à-dire, que notre cerveau cherche à les identifier. Pour ce faire, celles-ci sont en quelque sorte, et d'une façon simplifiée, comparées, puis classées par rapport à ce qu'il connaît. Les neurones, qui en sont les cellules nerveuses, captent ces flux d'informations. Si les flux d'informations que nous recevons, dans une unité de temps, sont trés importants, trés abondants, notre système nerveux cherchera à les identifier rapidement. C'est la raison pour laquelle la vitesse sera une source d'excitation.
Ainsi, nous pouvons dire que la prise de risque impliquée par la vitesse peut être motivée par des besoins physiologiques ; la physiologie est la science de la vie, la science qui étudie les fonctions et les propriétés des organes, des êtres vivants. En outre, ce sont plutôt les variations de la vitesse, bien plus que le niveau de la vitesse proprement dit, qui entraîne un plaisir physiologique.
La vitesse est un plaisir psychologique.
La vitesse, qui amène une plus grande quantité d'informations à traiter, joue donc un rôle d'activateur neuropsychologique. Rendant la tâche de conduire plus difficile, elle est souvent utilisée comme un élément ludique et comme moyen d'affirmation de soi. En effet, le plaisir que procure la vitesse réside dans le sentiment de maîtrise et d'accomplissement qui est développé par le fait que conduire vite, recevoir une quantité d'informations et diriger convenablement son véhicule nous valorise personnellement par rapport à autrui : il y a le sentiment d'un accomplissement personnel. En un certain sens, rouler plus vite, c'est "élever la barre" et passer l'obstacle. Le plaisir de la réussite est d'autant plus vif qu'il s'agit à la fois d'un jeu contre la nature (exemple, négocier un virage) et d'un jeu contre autrui ; dépassement, rabattement, queue de poisson.
Le plaisir de la réussite est une réalité indéniable, probablement plus marquée au cours des phases d'apprentissage et d'insertion. Le goût pour la vitesse manifesté chez beaucoup de jeunes conducteurs exprime la conscience d'une réalité physiologique (excellence des capacités psychosensorielles qui connaissent leur apogée avant 25 ans), mais aussi le besoin spécifique d'affirmation en pleine phase d'insertion sociale.
Notons que ces comportements s'appuient sur des mécanismes psychologiques profonds. On remarque deux stratégies différentes, mais aux effets comparables en matière d'excès de vitesse :
- La stratégie de puissance : la vitesse c'est l'élan, le dépassement de soi, la force.
- la stratégie de fuite : la vitesse, c'est l'envol, le départ pour ailleurs, l'évasion, la fuite.
Aimer la vitesse, c'est un peu avoir le goût de "flirter" avec la mort.
Enfin, la vitesse, qui suivant les cas procure soit l'extase, soit l'exaltation, permet de manière très directe de risquer sa vie. Néanmoins, le jeu ambigu avec le risque est très souvent masqué, ainsi que mal reconnu. Nous simplifions très souvent les problèmes en admettant comme vérité que nous refusons de courir des risques. En réalité, nous jouons plus ou moins avec les risques par des manoeuvres délicates : dépassements aux limites, comportements aux intersections, acceptation d'une vitesse de base élevée. Le choix d'une vitesse de base élevée dépend à la fois de l'aptitude du conducteur à faire face à des situations critiques (habileté sensorimotrice), mais aussi de la fréquence d'implication dans des situations critiques, que celui-ci accepte ou même recherche.
Ces attitudes trouvent leur justification dans la théorie qui consiste à dire qu'aimer la vitesse, c'est un peu avoir le goût de "flirter" avec la mort. Quand on aime la vie, on est attiré par la mort, son contraire. Dans la passion de la vitesse, il y a celle du grand saut, de l'enjeu. Un peu comme dans l'amour passion, lorsqu'une personne s'investit totalement, devient littéralement happé par sa passion.
Ce "flirt" avec le risque et avec la mort rend toute entreprise de sécurité difficile ; la fascination que la vitesse automobile exerce (soit à un niveau imaginaire, soit dans certaines phases de situations de conduite) est avérée. Certes, toute fascination est complexe, ambiguë et comporte une dimension répulsive, mais le couple attraction-répulsion reste indissociable.
La vitesse en tant que facteur d'accident apparaît dans un cas sur deux, quel que soit le réseau, y compris sur autoroute. C'est ainsi le premier facteur d'accident devant l'alcool (40 % des accidents mortels), même s'il y est fréquemment associé. Le facteur d'accident : non port du casque ou de la ceinture de sécurité apparaît dans 20% des cas.
Ce facteur vitesse peut être lié à une vitesse excessive par rapport aux limitations, mais aussi, bien entendu, à une vitesse inappropriée en fonction des circonstances ; passer à 40 km/h devant une école au moment de la sortie des enfants, c'est dangereux.
Le facteur vitesse excessive intervient dans :
- 1/3 des accidents mortels sur route
- 1/4 des accidents mortels en agglomération
- 1/5 des accidents mortels sur autoroute
La limitation généralisée de la vitesse a un impact très sensible sur le nombre des accidents graves et sur le nombre des tués.
La gravité des blessures est fonction de la violence du choc, donc de la vitesse du véhicule au moment de l'accident. Les chefs de service de chirurgie réparatrice, sont souvent en présence de lésions qui, concernant des personnes ceinturées dans des voitures récentes, ne devraient pas survenir aux vitesses prescrites par la loi. Car il faut des forces considérables pour casser un fémur ou une clavicule. Les recherches dans ce domaine démontrent que l'impact nécéssaire est impressionnant.
Percuter un mur à 120 ou à 180 km/h, qu'est-ce que cela change au niveau des blessures ?
Rien, puisque dans les deux cas, les occupants meurent souvent. Mais ce type de choc est parmi les plus sévères ; on peut même en mourir à 40 km/h, car la décélération s'effectue sur soixante centimètres environ. Autre cas extrême : les chocs frontaux. Dans ces cas d'accident, les vitesses s'additionnent et engendrent des forces colossales auxquelles le corps ne résiste pas.
Deux types d'accidents fréquents provoquent des traumatismes extrêmement graves. Ceux sont, premièrement, les chocs frontaux ou les voitures se rentrent dedans de plein fouet par l'avant et où les vitesses s'additionnent... Et, deuxièmement, les latéraux où une voiture rentre dans une autre par le côté. Dans les deux cas, les passagers sont généralement victimes de traumatismes abdominaux, associés à d'autres du bassin et du crâne. Cette association est la plus grave : 15% de morts parmi les fractures du bassin. Certaines lésions vasculaires sont irréversibles. Chaque année 1200 à 1300 accidentés de la route, victimes de lésions irréversibles de la moëlle épinière, sont paralysés à vie.
Convaincre les automobilistes à réduire spontanement leur vitesse.
Il faut ajuster la vitesse aux circonstances parce qu'un véhicule ne peut s'arrêter pile et parce que, plus il va vite, plus il lui faut de temps et de distance pour s'arrêter.
Le conducteur ne peut arrêter immédiatement son véhicule sur place, parce que, d'une part, il lui faut déjà environ une seconde avant de commencer à appuyer sur le frein à partir du moment où il perçoit un danger, c'est le temps de réaction. D'autre part, parce que le véhicule ne s'arrête pas aussitôt qu'on appuie sur le frein ; il parcourt encore la distance de freinage. Cette distance de freinage s'ajoute à la distance parcourue pendant le temps de réaction. Leur total, c'est la distance d'arrêt.
On peut calculer la distance parcourue pendant le temps de réaction d'une seconde en multipliant par 3 les dizaines de la vitesse. A 60 km/h, et dans des conditions idéales, on parcourt 18 mètres en 1 seconde, à 30 km/h, on parcourt 9 mètes en 1 seconde.
La distance de freinage ne dépend pas de la vitesse, mais du carré de la vitesse. C'est-à-dire que si on roule à 50 km/h, il faut : 5 x 5 = 25 mètres pour s'arrêter. Si on roule à 100 km/h, il ne faut pas 2 fois 25 mètres pour s'arrêter, mais : 10 x 10 = 100 mètres, c'est-à-dire 4 fois plus.
Pour obtenir la distance sur sol mouillé, il faut ajouter environ la moitié de la distance de freinage sur sol sec. Ainsi, à 60 km/h, la distance de freinage est d'environ 54 mètres qui se décomposent de la façon suivante :
6 x 6 = 36 mètres + la moitié de 36 = 18 soit 36 + 18 = 54 métres
Si on ne peut s'arrêter à temps, les dégâts provoqués par le choc ne sont pas 2 fois plus grands. Si on va 2 fois plus vite, ils sont 4 fois plus graves parce que la violence d'un choc dépend aussi du carré de la vitesse. Il en résulte que lorsqu'on roule moins vite, on peut mieux parer les chocs. De plus, de source médicale, il apparaît qu'au-dessus de 40 km/h, les blessures provoquées à un piéton sont toujours des lésions graves.
Quand il va vite, c'est le véhicule qui maîtrise le conducteur, et non le conducteur qui maîtrise la voiture.
La route a tué 450 000 Français depuis la Libération - plus qu'Hitler - et elle en a blessé 7 millions - deux plus que la guerre de 1914-1918. (Recueil de données 1993)
Si nous laissons ce fléau subsister au niveau actuel, il y aura dans chaque famille française un enfant sur deux blessé ou tué dans un accident de la route.
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON