Lafayette, nous revoilà !
On a appris récemment que certains remuaient ciel et terre ses derniers temps pour transférer les cendres de LaFayette au Panthéon*. Outre que cela puisse surprendre, tant le personnage demeure décrié, le problème est aussi d’où vient cette idée folle, et qui peu bien en ce moment même faire pression sur les instances décisionnaires pour arriver à ce but. Une simple recherche ouvre des perspectives intéressantes sur le pourquoi et le comment de l’histoire. Elle n’est pas dénuée d’arrière-pensée. Les meilleurs soutiens au mouvement proviennent d’une droite bien connue, dont les Français se souviennent comme ayant été pour eux un mauvais souvenir.

Le premier à dégainer est Gonzague Saint-Bris. "Une figure incontournable de la je-set littéraire", dit Evene. L’homme n’est pas historien, loin s’en faut, puisqu’il se vante partout depuis des années "de n’avoir aucun diplôme" (ce qui n’empêche Maurice Druon de dire de lui "vous êtes fait à la fois historien, critique d’art et paysagiste"). "Inculte de formation", donc, mais il possède une particule et un quintaïeul intéressant, le marquis de Maupas (le... ministre de la Police générale de Napoléon III).
Directeur de la revue Spectacle du monde, "mensuel d’actualité, de culture et de connaissance", Gonzague Saint-Bris a des idées bien arrêtées sur tout, y compris sur le style d’écriture, qu’il a plutôt ampoulé. Ce qui ne l’a pas empêché de faire comme tout le monde ou comme Bernard Tapie : un disque, dans les années 70. Un joli coup, car le titre, un instrumental, devient l’indicatif d’Europe 1 et lui assure une rente. L’homme n’est évidemment pas un musicien, mais plutôt une sorte de Paul-Lou Sulitzer de la musique. Pour en revenir à son magazine, sans surprise, il n’est donc pas vraiment de gauche : il a même accueilli il y a quelques années des signatures du GRECE dont Alain de Benoist. On trouve dans ses rédacteurs les plus marquants François d’Orcival, l’actuel président de la la Fédération nationale de la presse française, qui s’était illustré à sa façon durant la campagne électorale. D’Orcival est en fait le pseudonyme d’Amaury de Chaunac-Lanzac. Cet ancien de Jeune Nation, organisme dissous par le gaullisme en 1958, est le moins qu’on puisse dire... plutôt à droite. Fort à droite même. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont dont un sur la Rhodésie (au temps de l’apartheid, Le Pays des lions au cœur fidèle, tout un programme) et un sur... l’OAS (Le Courage est leur patrie), et d’une... Histoire de la Gestapo. Son dernier livre en date est Le Roman de l’Elysée, avec en sous-titre "De la Pompadour à Nicolas Sakozy", livre qui éclaire le plus sur ce qui se trâme à propos de Lafayette. On y passe de "la chambre de Joséphine (qui y recevait ses amants)", à celle de "Félix Faure" (dans sa liste, bizarrement, chez d’Orcival les présidents ont plus de turpitudes que les empereurs) en passant par le cabinet ou "Napoléon prépare son abdication". Bref, un livre prétexte à créer un état d’esprit napoléonien, façon Second Empire : on voudrait imposer dans les esprits une dérive monarchique du pouvoir qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Voilà Nicolas Sarkozy relié à Napoléon, quasiment directement, sans passer par la case du Petit Napoléon (Napoléon III selon Victor Hugo) ! On trouve aussi, dans la revue, Patrice de Plunkett, ancien militant royaliste, et lui aussi, affilié un temps à Alain de Benoist, également rédacteur en chef « culture » du Figaro magazine... et également, membre de l’Ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Son dernier ouvrage traite de l’Opus Dei, dont il se dit ne pas être membre (L’Opus Dei : enquête sur le "monstre"). Et bien d’autres encore. Bref, vous l’avez compris, ceux qui poussent au Lafayettisme à tout crin ne sont pas les descendants des sans-culottes, loin s’en faut.
Idéologiquement, Lafayette n’est donc qu’un prétexte... à enfoncer la République honnie par Gonzague et ses fidèles, qui enfonce le clou "En vérité, la Révolution dans ses principes apparaît comme mythe fondateur de la conscience nationale - 70 % des Français estiment qu’il s’agit d’un événement positif à long terme -, alors que les violences qui en ont résulté sont maintenant profondément rejetées par nos contemporains. Les vedettes du Comité de Salut public n’ont plus la cote". En résumé aussi, Sarkozy à la Lanterne et ça ira beaucoup mieux pour nous... les monarchistes ! La méthode fait furieusement penser à celle de Guaino à propos de Mai-68 !!! Gonzague a même trouvé un argument qu’il est le seul à avoir dégotté : "Si La Fayette l’emporte dans toutes les classes d’âge et toutes les familles politiques, c’est parce qu’il est justement apprécié autant par ce qu’il représente que par ce qu’il exclut." En gros, on peut espérer que ce sont les jeunes qui le trouvent révolutionnaire et les vieux royaliste. On peut aussi en conclure que Gonzague n’est plus tout jeune, mais bon. Lafayette, un peu à la voile et à la vapeur de la République, devient donc l’objet idéal pour enfin enterrer cette Révolution française de tous les maux. Son modernisme est donc d’avoir le derrière entre deux chaises : encore un peu et Lafayette deviendrait le créateur du MoDem avec deux siècles d’avance selon ses tout nouveaux fans ! C’est ridicule, comme propos, mais ça a l’air de marcher en ce moment en société. Question vocabulaire encore, on peut aussi traduire les multiples trahisons de Lafayette comme étant celles d’un homme de droite "décomplexé"...
C’est ce qui se dit dans les salons huppés que fréquente assidûment Gonzague : "Aujourd’hui, 250 ans après sa naissance, le moment est donc venu de présenter La Fayette tel qu’il fut et de le montrer aussi dans tout l’éclat de sa modernité car il était en tout point un homme en avance sur son temps". Ben tiens, voilà qui tombe à pic. Moderne en quoi, on ne le dit pas vraiment, à moins que la trahison fasse moderniste, et on tente de le faire croire : ah, évidemment si un président qui vient d’être élu se précipite aux Etats-Unis, automatiquement l’homme qui y a fini sa carrière devient l’homme en avance sur son temps. Logique. C’est du pur Saint-Bris, cette propension à trouver des arguments qui n’en sont pas, et qui ne résistent pas à l’épreuve du temps. Saint-Bris est monarchiste et le Lafayette qu’il préfère l’était tout autant, avant de retourner sa vareuse et d’embrasser un drapeau à trois couleurs. Selon Gonzague, ça devient : "Nicolas Sarkozy, lui, l’a bien compris, qui, lors de son récent voyage à Washington, a porté le nom de La Fayette à la hauteur qui lui est due, le faisant acclamer par le Congrès démocrate et par la Maison-Blanche républicaine". En résumé, Gonzague associe le cas Lafayette à un président qui a montré son empressement à étaler son pro-américanisme. Ça ne peut donc, selon lui, que marcher. Direct le Panthéon, c’est comme si c’était déjà fait.
Passe encore pour Saint-Bris qui ne pouvait donc, après fait un livre sur le Coup d’Etat de Napoléon III que faire un ouvrage sur LaFayette. Une biographie donc, Celle-là même emmenée par Nicolas Sarkozy lors de sa visite à W. Bush. Gonzague brigue une place à l’Académie française et a de fortes tendances de l’obtenir, à la longue, il a bien le temps de devenir immortel, le temps joue pour lui (il brigue la place depuis 2002). Car aujourd’hui, pour enfoncer le clou de la demande panthéonesque, il ya mieux encore : Lafayette a d’autres supporters, et pas des moindres . Ils sont de taille et ont, visiblement, de l’argent. Beaucoup d’agent. Une dépêche d’agence nous annonce ce mercredi 12 décembre qu’on a dépensé pas moins de 5,3 millions de dollars pour acquérir une petite médaille, celle offerte par la fille de Washington à... Lafayette, alors assez âgé (67 ans). La somme est colossale, et pourtant ce sont des Français qui l’ont mise sur la table. Oui, et pas non plus n’importe quels Français. L’objet a été adjugé à la Fondation de Chambrun... Il a été vendu par les descendants du marquis : on reste entre bons Français, y semble... De Chambrun ayant pour grand-mère paternelle Marie-Henriette-Hélène-Marthe Tircuy de Corcelle de La Fayette... Tout s’est donc passé au sein de la même famille ! De là à dire qu’il n’y a pas eu de vente !!!... Car cette fondation qui défend la mémoire de Lafayette est très intéressante à plus d’un titre. Fondée en 1959 par... un des descendants de Lafayette, René de Chambrun, décédé en 2002. Le neveu de Virginie, dernière descendante du marquis Louis de Lasteyrie, héritier du château de Lagrange. Un monsieur respectable, qui avait pour épouse... Josée Laval, la fille unique de Pierre Laval. Chez Pivot, un soir de 1983, De Chambrun se fait tacler par Klarsfeld, Halimi et Duroselle, à encenser un Pierre Laval selon lui très sympathique. Logique, c’était son beau-père ! On sait aussi que De Chambrun avait intercédé en 1942 auprès de Pétain pour que Laval revienne au pouvoir : il ne cachait pas ses opinions droitières. Sa fille (et donc l’épouse de René) n’était pas en reste : le soir de la grande rafle du Vél’d’Hiv’ du 16 juillet 1942 à Paris, elle note sur son cahier intime : "Dîner maison avec maman sans papa". Rien d’autre. Pas un mot de plus. Laval de retour au pouvoir, ce sont les spoliations des biens des juifs qui sont autorisées par décret. Laval, qui s’était déjà enrichi rapidement, choisit la voie de l’enrichissement sur le dos des "autres". Le 2 juillet 1941 est promulguée la loi concernant la liquidation des biens juifs et leur passage sous contrôle d’administrateurs non juifs. En juillet 1942, un Pierre Laval propose aux Allemands Eichmann et Dannecker, officier SS, assez abasourdis, que les enfants de moins de 16 ans - le plus souvent nés en France et donc Français - qu’ils soient déportés avec leurs parents. Tout cela, le premier à le dire dans le détail est Robert Paxton. On sait comment ils finiront. Et comment finira Laval, jugé ainsi par de Gaulle : "Porté de nature, accoutumé par le régime, à aborder les affaires par le bas, Laval tenait que, quoi qu’il arrive, il importe d’être au pouvoir, qu’un certain degré d’astuce maîtrise toujours la conjoncture, qu’il n’est point d’événement qui ne se puisse tourner, d’hommes qui ne soient maniables. Il avait, dans le cataclysme, ressenti le malheur du pays, mais aussi l’occasion de prendre les rênes et d’appliquer sur une vaste échelle la capacité qu’il avait de composer avec n’importe quoi... Il jugea qu’il était possible de tirer parti du pire, d’utiliser jusqu’à la servitude, de s’associer même à l’envahisseur, de se faire un atout de la plus affreuse répression. Pour mener sa politique, il renonça à l’honneur du pays, à l’indépendance de l’Etat à la fierté nationale". Voilà qui sonne un peu étrange aujourd’hui.
La fondation de Chambrun, tout vouée au culte de Lafayette, n’est en fait qu’un repère de Lavalistes : outre René De Chambrun on y trouvait Maurice Renand, un proche collaborateur de Laval (cela sonne étrange comme appellation "proche collaborateur de Laval"), mais aussi François Cathala, descendant d’un des plus fidèles de Laval (Pierre Cathala, condamné par contumace à la Libération il ne rentrera plus dans le pays avant sa mort). Aujourd’hui, c’est le fils de Maurice Renand, Georges, qui dirige toujours la fondation. Comment-a-il pu réunir 5 millions de dollars pour s’offrir cette médaille ? C’est assez simple, lors des soirées de Pierre Laval, le champagne coulait à flots. Il y avait partout, des verres et des cristaux. "Josée Laval passait son temps à courir les premières et les restaurants de luxe, s’habiller chez les couturiers de grande renommée, organiser de grands déjeuners et dîners. Son salon était fréquenté par les artistes et les écrivains. Aussi, c’était le lieu de rencontre, où se côtoyait toute la fine fleur de la collaboration. Le champagne coule à flots. Dignitaires français et allemands trinquent à l’amitié nouvelle." De Chambrun avait en réalité fait fortune en détenant plus de 30 % des parts des cristalleries de Baccarat, part détenues encore récemment par ses héritiers.
Pour expliquer l’origine actuelle des 5 millions il faut en effet en revenir à Baccarat : un fonds américain, Starwood, va racheter sous peu (la nouvelle date du 12 décembre dernier, c’est tout chaud) les 34 % restantes exactement encore détenues par les Fondations De Chambrun et Cognacq-Jay, toutes deux présidées par "l’homme d’affaires" Georges Renand. Et ce pour la bagatelle de 70 millions d’euros : soudain la médaille coûte nettement moins cher... Après une bataille de plusieurs années, qui se solde par la vente de ce fleuron du patrimoine industriel français à des Américains. Ça, les Français qui voient dans Lafayette une sainte icône ne sont pas censés le savoir. Il vaut mieux qu’ils gardent l’idée d’une famille bien française, pourtant mouillée jusqu’au cou dans la collaboration, rachetant les effigies de leur héros "républicain". Selon les spécialistes de la bourse, les deux fondations ont joué un coup de poker gagnant en faisant monter l’action de 150 à 300 euros, et en doublant donc ce qu’ils pouvaient espérer au départ. "L’opération s’est donc faite sur la base d’un multiple de 22 fois le résultat opérationnel de la cristallerie en 2006’’, commente le site des Echos. Joli score. Paris valait bien une messe, Lafayette valait bien une vente, même si ceux qui font tout pour le remettre au premier plan y trouvent leur intérêt direct.
Lafayette au Panthéon ? Se serait donc aussi un peu (beaucoup) de Vichy et de monarchie dans le temple républicain. Et ça, franchement, la République ne peut le supporter.
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