Laïcité culinaire ou lard du politique ?
Contexte : le maire de Châlon-sur-Saône, Gilles Platret (LR), a supprimé les repas de substitution dans les écoles, c’est-à-dire l’option “sans porc” destinée au petit(e)s musulman(e)s lorsque le menu inclut un plat à base de porc.
Cette mesure existait dans cette ville depuis 1984, et existe dans de très nombreux établissements en France. Le vote du Conseil Municipal est prévu pour le 29 septembre, mais les parents d’élèves ont été informés de la modification voulue par le maire en mars, et ont également reçu la liste des menus du premier trimestre pour les écoles chalonnaises, où la première tranche de jambon apparaît le 15 octobre.
Voici les termes dans lesquels Gilles Platret annonçait sa décision :
« Il est indispensable de revenir à une pratique exigeante du vivre-ensemble », affirme M. Platret. « L’offre de restauration ne peut pas prendre en compte des considérations religieuses. Proposer un menu de substitution dès lors que du porc est servi, c’est opérer une discrimination entre les enfants, ce qui ne peut être accepté dans le cadre d’une République laïque », estime-t-il, ajoutant que « les cantines scolaires de Chalon doivent redevenir des espaces de neutralité ». (1)
La réaction politique n’a pas tardé :
Najat Vallaud-Belkacem, qui avait dans un premier temps appelé mardi au« discernement », a durci son propos lors d’une réunion de ministres européens de l’éducation à Paris. « Supprimer la possibilité d’avoir un menu non confessionnel, je trouve que c’est une façon, en réalité, d’interdire l’accès de la cantine à certains enfants », a-t-elle dit, après avoir « condamné » la décision de Gilles Platret.« Politicienne » et « démagogique » selon elle, la décision ne va « pas dans le sens de l’intérêt des enfants », a encore dit la ministre qui avait d’abord, sur BFM TV, simplement appelé les élus à veiller « à ce que chaque enfant puisse manger à sa faim ». (1)
Et même dans le camp politique de G. Platret, plusieurs personnalités sont restées en dehors de la polémique, l’exception la plus notoire étant celle de Sarkozy dont il a le soutien.
Cet arrêt des menus de substitution a été attaqué par la Ligue de défense judiciaire des Musulmans (LDJM), qui a déposé une demande d’annulation de cette mesure d’annulation, demande rejetée hier par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon. Sans statuer sur le fond, ce jugement en urgence est motivé par l’absence d’urgence (les parents ayant été largement prévenus à l’avance). La LDJM prévient qu’il y aura une suite judiciaire si le Conseil Municipal châlonnais entérine la décision d’annuler les menus de substitution.
J’avoue être perplexe. D’un côté on interdit le voile musulman à l’école, mais on propose des menus de substitution aux musulmans. De l’autre, on en appelle au droit de tous les élèves à bénéficier de la cantine. Mais quid alors du droit de ceux qui n’aiment pas la viande / le poisson / les pâtes etc… a obtenir également un menu de substitution ?
Que dit la loi ? C’est un peu compliqué car elle n’interdit ni n’oblige quoi que ce soit en la matière, mais on peut retenir ces éléments (2) :
– La circulaire du 25 octobre 2012 où le Conseil d’État rappelle ainsi qu’une commune n’est pas tenue de mettre en place des menus de substitution pour tenir compte des interdits alimentaires liés à certaines religions.
– La circulaire du 16 août 2011 où le ministre de l’Intérieur affirme que les convictions religieuses des usagers ne peuvent remettre en cause le fonctionnement normal des services publics de restauration collective.
– L’arrêté du 20 mars 2013, dans un cas posé par l’association végétarienne de France pur l’instauration de menus végétariens, où le Conseil d’Etat rappelle le caractère facultatif de la restauration scolaire. Rien n’empêche donc les parents de fournir à leurs enfants les repas de substitution qu’ils désirent, en les reprenant chez eux le midi ou en leur fournissant un panier repas.
– Au niveau européen, la Cour européenne rendait le 7 décembre 2010 un arrêté où elle sanctionne le refus des services pénitentiaires polonais de procurer à un détenu bouddhiste un menu végétarien conforme à ses convictions religieuses. Ce qui peut sembler aller à l’encontre des éléments de droit cités auparavant mais la Cour ici justifie sa décision par le fait que, étant prisonnier, l’homme en question n’avait pas le choix de manger ailleurs et que l’administration avait donc obligation de prendre en compte ses convictions religieuses – ce au nom de l’article 9 de la convention européenne garantissant la liberté religieuse.
Ce qui pose alors la question, me semble-t-il, de l’aspect carcéral du système scolaire ! En effet, si les élèves en demi-pension peuvent amener avec eux un repas “conforme” quand la cantine ne l’offre pas, ce n’est pas le cas des enfants en internat qui sont, eux, entièrement dépendants de l’établissement et ne peuvent le quitter pour aller manger ailleurs – tout comme notre prisonnier bouddhiste. A moins de recevoir des colis de nourriture, comme dans les goulags… Dans ce cas particulier des établissements avec internat, l’offre d’un repas de substitution religieusement correct semble obligatoire au regard du droit européen.
Cela étant, il me semble nécessaire de toujours repenser la notion de laïcité. J’avais voici quelques temps proposé un billet intitulé “Laïcité forte, vers une nouvelle religion ?” qui d’une part différenciait une version “faible” de la laïcité, proche de l’état de fait juridique actuel où l’affichage religieux en public est accepté pour autant qu’il ne nuise pas à la liberté des autres, et une laïcité “forte” refusant toute expression religieuse au sein de l’espace public, en réaction au communautarisme qui cherche, à travers une posture la plus souvent victimaire, à imposer à autrui la subordination à son propre discours “politiquement correct”. C’est cette situation que l’historien Georges Bensoussan dénonce dans un tout récent entretien publié par Le Figaro, dont je cite cet extrait :
« La peur d’être taxé de racisme joue son rôle dans la paralysie française. Et la désespérance du plus grand nombre dont la parole est d’emblée invalidée au nom d’un antiracisme dévoyé. Cette crainte va jusqu’à reprendre un discours concocté par l’adversaire sans s’interroger sur la pertinence des « mots ». Ainsi du mot « islamophobie », un terme particulièrement inepte en effet qui réintroduit en France la notion de blasphème. On peut s’opposer à la religion, qu’elle soit juive, catholique ou musulmane, sans être raciste. Le combat laïque c’est le refus qu’une religion quelle qu’elle soit prévale sur la loi civile. Ce combat difficile a finalement été gagné en France entre 1880 et 1905. Céder sur ce plan c’est détricoter deux siècles de Révolution française pour parler comme François Furet et plus d’un siècle d’une histoire de France qui a fait de la République non seulement un régime mais une culture. Il nous faut comprendre que le mot islamophobie, forgé par des associations musulmanes, crée à dessein de la confusion pour culpabiliser les tenants du combat républicain. Pour faire entendre, en bref, que ce seraient des racistes à peine dissimulés. En invoquant à contre-emploi le racisme et en usant d’un antiracisme défiguré ( celui-là même qu’on a vu à Durban en 2001 où l’on entendait le cri de « One Jew, one bullet »), il s’agit de faire taire toute voix dissidente. En instrumentalisant l’histoire au passage, c’est ce que Leo Strauss appelait la Reductio ad Hitlerum. »
Toujours dans le même entretien, à la question de ce qu’il pense du débat actuel sur les menus de substitution, Georges Bensoussan répond ceci :
« Il est posé de manière caricaturale car on voit bien la volonté de certains politiques de surfer sur la polémique. Il pose cependant une question de fond comme il est symptomatique aussi d’un danger qui guette la société française. Il faut rappeler d’abord que la cantine n’est pas obligatoire. Introduire les menus de substitution dans les écoles, c’est donner prise à des pratiques communautaires qui n’auront dès lors aucune raison de s’arrêter. Là est le risque, c’est ce premier pas qui permettra tous les autres et qui conduira à détricoter le tissu laïque et à nous engager sur un chemin contraire à celui qui depuis deux siècles a fait la nation française. »
Jugement un peu lapidaire à mon avis, car ce “premier pas” existe depuis plus de trente ans et je doute qu’il soit la cause des dérives islamistes que nous connaissons aujourd’hui. Pour cela, il faut plutôt se tourner vers l’ineptie et l’hypocrisie des gouvernements occidentaux, dont la France première responsable de la catastrophe libyenne, faisant depuis quinze ans le jeu des islamistes. Islamistes qui servent, avant tout, à justifier la montée des dictatures “soft” chez nous (voir “Services secrets : l’Etat, c’est nous !“).
Face à tous ces arguments allant à l’encontre d’une entorse au principe de laïcité au profit des élèves musulmans, reste le fait que la population musulmane de France tourne autour de cinq millions, 8% de la population totale, et que se la mettre à dos a un coût politique. Des responsables politiques peuvent très bien accepter le principe des menus de substitution pour la simple raison de garder des électeurs ou d’éviter des conflits communautaires qui peuvent vite dégénérer, alors même qu’en leur fort intérieur ils ne sont pas d’accord et sont conscients du risque de détricotage dont parle Bensoussan. Malheureusement, en politique, le court terme a le plus souvent priorité sur le long terme.
(2) Tirés de http://www.contrepoints.org/2015/08/15/217933-le-porc-a-la-cantine?utm_source=dlvr.it&utm_medium=facebook
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