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Accueil du site > Tribune Libre > Langage... déplacé !

Langage... déplacé !

Un jour, je me suis transformée en petite souris. Pour une mission de travail, j’ai dû intégrer une réunion étrange où chaque ministère disposait d’un représentant louant les mérites de ses actions et rappelant à quel point le ministre en place se sent « impliqué » dès lors qu’une mesure concerne ces autres, dont nous disons à peu près tout et rien à la fois : ces pauvres, ces handicapés, ces immigrés, ces Français d’origine africaine et maghrébine.

Autant le dire tout de suite, ces termes n’ont jamais été employés au cours de ce conseil. Et pour cause... Afin de rassurer l’opinion publique, les représentants de l’Etat renomment systématiquement chaque mot dans un langage différent, qui à terme, se répercute dans la société française avant même qu’elle n’ait le temps de réagir. A titre d’exemple, ces dernières années, les cités sensibles sont devenues subitement des « quartiers ». Pourtant, lorsque je regarde dans Le Petit Robert, un quartier est « la partie d’une ville ayant sa physionomie propre et une certaine unité. Exemple : le quartier Latin à Paris ». Tout le monde conviendra qu’il y a plus dangereux sur Terre que le quartier Latin de la capitale. Cela m’évoque les pratiques du télémarketing. Un jour, j’ai dû rappeler les clients d’une marque de voiture dont les freins s’étaient révélés défectueux juste après la vente. Nous avions eu droit à un grand briefing sur la façon d’annoncer la nouvelle aux acheteurs, avec un vocabulaire spécifique : par exemple, il nous était interdit de prononcer le mot « problème », que nous devions remplacer obligatoirement par « défaut ».

Le même processus s’est engagé avec la création des fameuses « personnes issues de l’immigration ». Théoriquement, une personne issue de l’immigration pourrait ressembler à la plupart des Français qui ont tous ou presque une origine, au premier, deuxième ou troisième degré, qu’elle soit italienne, portugaise, algérienne, espagnole, russe, etc. Par ailleurs, la totalité du peuple américain, des habitants des Dom-Tom, ou encore notre président actuel, sont issus de l’immigration. Or, et cela ressortait bien au cours de cette réunion, pour nos hommes politiques, le sens de ces termes est tout autre : il s’agit tout simplement des Français d’origine africaine et maghrébine, auxquels les hommes politiques ont jugé bon de trouver une appellation spéciale tout en affirmant en parallèle que ce sont des Français comme les autres.

Nous pourrions citer d’autres exemples, comme le feu « plan Marshall » de la banlieue, né dans la précipitation pendant les émeutes de 2005, aujourd’hui rebaptisé « plan Respect-Egalité des chances ». En effet, passée l’agitation, quelqu’un a dû suggérer que « Plan Marshall », lié à une thématique de guerre, résonne de façon trop négative dans les esprits. Il a donc dû chercher un nouveau nom, plus positif et, surtout, en accord avec les populations concernées par ce plan. Je n’ai malheureusement pas pu assister à ces débats des plus passionnants, mais j’imagine sans mal la teneur des propositions : peut-être qu’avant de statuer sur « Respect », quelqu’un a soufflé un plan « Wesh Wesh », une Réforme « Yo ! » ou encore « Zy-va ! », histoire d’être en totale symbiose avec le public hypothétiquement visé et de témoigner, toujours via le langage, de sa proximité avec lui.

Au fil des années, les formulations évoluent, mais les situations demeurent identiques. En effet, les cités sensibles ne se sont pas brusquement métamorphosées en simples quartiers, un plan « Respect-Egalité des chances » ne sera pas plus efficace qu’un « plan Marshall », et les Français d’origine maghrébine et africaine ne sont pas les seuls à être « issus de l’immigration ». Cependant, le plus naturellement du monde, ces termes au sens biaisé continuent de se fondre dans le langage commun. Nous assistons régulièrement à des protestations contre le langage SMS et autres anglicismes pervertissant la langue de Molière, mais il semblerait qu’à d’autres niveaux la déformation de celle-ci à des fins politiques ne dérange personne. Le mot est une arme. A travers lui, donner l’illusion d’une amélioration pour mieux masquer l’incompétence, la stagnation et, même, la régression.

LZ


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10 réactions à cet article    


  • Halman Halman 28 novembre 2007 15:58

    Georges Orwell, dans son roman clairvoyant 1984 appelait cela la novlangue.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/1984_(roman)

    Le texte intégral gratuit pour livres électroniques formats rtf, pdf et doc :

    http://www.ebooksgratuits.com/ebooks.php?auteur=orwell_george


    • Marsupilami Marsupilami 28 novembre 2007 17:26

      @ L’auteur

      Hé oui, litotes et langue de bois, comme d’hab’. Les mots ont toujours servi autant à décrire le réel qu’à le travestir. « Quartier sensible », par exemple, est ces jours-ci un vrai régal : pas de quartier pour les émeutiers qui ne sont pas sans cibles dans leurs rapports avec les forces de l’ordre... qui se transforment en faiblesses du désordre quand elles jouent la provocation.

      Le politiquement correct est à gerber, mais comment pourrions-nous vivre ensemble sans les artifices de la politesse et des civilités ?

      Ça durera tant que dureront le réel et le langage.


      • Asp Explorer Asp Explorer 29 novembre 2007 07:31

        Ou encore, on ne dit pas « un clandestin », parce que ça ferait délinquant. On dit « un sans papier », parce que ça fait le pauvre gars qui n’a rien fait de mal mais qui est persécuté par une administration tâtillonne (salauds d’fonctionnaires).


        • HELIOS HELIOS 29 novembre 2007 10:28

          Ben oui, excellent ce petit article...

          Actuellement il y a une grande quantité de « gamins » fils de bon pères de famille qui sont avec leurs tontons, leurs voisins etc, qui sont devenus des « PIRATES » alors que ce ne sont des personnes qui préfigurent ce que sera dans le futur : l’echange gratuit.

          La gratuité c’est le vol, a déclaré un personnage influent dans ce domaine (il a déjà été trop cité, il ne merite pas qu’on continue). A l’instar de beaucoup, moi je pense que la gratuité c’est le don, formule que j’ai employée dans d’autre forum, qui va se developper pour contrebalancer la marchandisation a outrance de la culture.

          Les mots, les mots qui sont si terribles et qui vehiculent l’esprit humain, sont trés bien employés par ceux qui veulent le contrôler.

          Ces "pirates donc, qui ne sont que des


          • HELIOS HELIOS 29 novembre 2007 10:29

            Oups, terrible le bas de la fenêtre, j’ai oublié d’effacer la brouillon !


          • Internaute Internaute 29 novembre 2007 11:23

            Je me suis longtemps comme vous insurgé de cette manipulation du vocabulaire pour essayer de faire prendre des vessies pour des lanternes. Au bout du compte je pense que les gens ne sont pas si bêtes et comprennent trés bien de quoi il retourne. Ceux qui se livrent à cet exercice se ridiculisent tout seuls.

            Les journalistes sont les fossoyeurs de la langue française, bien avant les politiciens. Ce phénomène est permanent. C’est Molière (si mes souvenirs de lycée sont bons ?) qui dénonçait à son époque le langage des « précieux ridicules ». Dans les années soixante on stigmatisait ceux qui parlaient l’hexagonal. Aujourd’hui on ne fait que continuer une vieille tradition.

            L’homme se sent toujours important quand il utilise une formule empoulée pour énoncer des choses simples.

            La nouveauté de notre époque est la bien-pensance qui force les gens à croire que l’épithète usuel posé sur une personne ou une chose est nécessairement péjoratif et en plus qu’il est interdit d’être péjoratif. C’est de l’auto-mutilation intellectuelle.


            • Philippakos Philippakos 29 novembre 2007 12:59

              Je crois que le but de tout ce changement de vocabulaire est de ne vouloir froisser personne dans une société où l’individu est devenu d’une susceptibilité maladive quant à son image. On a dû supprimer les départements « inférieurs » pour que la population ne se croit pas inférieure pour autant, un représentant de commerce devient vite « directeur commercial », une caissière « responsable de caisse », un balayeur « technicien de surface »... et tout à l’avenant. Les professions n’ont pas changé pour autant mais l’image donnée à l’extérieur est flatteuse et cette image devient prépondérante aujourd’hui, surtout quand on ne sait pas exactement en quoi consiste ces professions envelopées dans un flou artistique de mots. C’est une conséquence un peu triste de la dévalorisation de certains travaux manuels qu’on essaie, tant bien que mal, de compenser par des titres ronflants.


              • Vilain petit canard Vilain petit canard 30 novembre 2007 15:50

                Eh eeh...ça ne date pas d’hier... La Loire-Inférieure (44) et la Seine-Inférieure (76) sont devenues respectivement la Loire-Atlantique et la Seine-Maritime en 1942, sous Pétain ! Mais à l’époque, « l’Agriculture manquait de bras »/i> et « la Terre ne savait pas mentir »...


              • Leila Leila 29 novembre 2007 13:34

                Ces nouvelles expressions pour désigner les jeunes des banlieues, les noirs, les maghrébins, les immigrés et la répression traduisent bien l’embarras de tous les racistes qui travaillent avec le gouvernement Fillon, sans avouer qu’ils sont racistes.


                • Vilain petit canard Vilain petit canard 30 novembre 2007 15:56

                  Je crains, Leyla, que ce ne soit, plus généralement, l’embarras des puissants et des riches à nommer les pauvres. Et le plus pauvre des plus pauvres, le S.D.F. (Sans Domicile Fixe), fait carrément l’objet d’une appellation entièrement négative ("Sans...). Même plus de périphrase contournée, on ne le désigne que par ce qui lui fait défaut.

                  En attendant le travailleur S.R.S. (Sans Revenu Suffisant) et le citoyen O.N.C. (d’Origine Non Conventionnelle)...

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