Laurent Joffrin, le Rock et les Eléphants
Tous les vieux de la vieille ont lu Vladimir Ilitch Oulianov. Dans une des tavernes zurichoises pleines d’émigrés, ce jeune et fringant révolutionnaire d’Octobre avait lâché devant son absinthe : « Il faut rêver ! ». Presque cent ans plus tard, un amateur de rock, un rebelle de la gauche-caviar, un barbu français très hype nous sert ses œufs d’esturgeons avec cet indéfinissable air kitsch d’intello-complice. « Il faut rêver » : nous sommes évidemment censés tous connaître cet oukase mythique et d’avoir dans nos bagages d’homme de gauche cet impératif distingué et terriblement révolutionnaire. Car comment pourrions-nous comprendre le formidable Samizdat de libération de ce vendredi 16 mai 2008, déchiffrer le titre de ce premier rebond : « PS : le réformisme n’interdit pas le rêve » si nous ne partagions pas ce même air révolutionnaire (d’autres écriraient le même « habitus de classe ») avec ce branché de la gauche tiède ? Car ce "rebond" est une réponse. Et un joli profit de distinction : c’est que répondre à Vladimir Ilitch Oulianov et à ses ouailles, ça en jette, n’est-ce pas ?

« Ultima ratio » : remarquons aussi l’emploi de la formule latine qui remplace le sel et soulignons l’absence de majuscules pour individu, intellectuel, socialiste qui aurait fait trop poivre exotique. Un beau et bon repas... à rebours des plats réchauffés des grandes cuisines idéologiques d’antan, non ?
Walpole soupire encore devant cette propension de ces intellectuels-caviar à dénier toute analyse sur leur propre position et trajectoire sociales (« consciences libres » que ces messieurs !), mais pas les derniers à vouloir classer l’autre (« marxistes, bourdieusiens, sociologues lugubres et embêtants, absurdes rêveurs du grand soir, orthodoxes et bien-pensants », etc.)
Relevons encore : l’article n’est pas publié en seconde page comme les interventions du grand-père July. On le trouve à une place stratégique de débats et d’ouvertures, rayon la page « rebond », page qui est censée être le nec plus ultra du journal (Hé, Laurent ! Walpole aussi sait jouer de sa langue latine !). Ce jour-là, l’intervention de Laurent voisinait celle de Pierre Marcelle (on est décidément magnanime et ouvert à toute la maison de gauche, n’est-ce pas ?). Ce pseudo-égalitarisme colle tout à fait à la stratégie du nouvel esprit du capitalisme : foin des patrons (de presse) intransigeants à la Lazareff, foin de la hiérarchie (on vient de 68 que diable !) ! On est à hauteur égalitaire de ses opérateurs (on ne dit plus : employés). Piège évidemment grossier que Walpole démonte avec son aisance aristocratique coutumière : il en déduit adroitement que :
1. la raison d’être de cet article est de dire l’agacement de notre bobo barbu qui n’a pas encore digéré le numéro-anniversaire de Libération du 21 mars 2008 où un petit rebond fit faire un grand bond à l’humanité. Il était intitulé vachardement et justement : « Libération d’aujourd’hui n’aurait pas fait Mai-68 ».
2. et qu’en oubliant d’écrire sous sa présentation que le Laurent barbu est aussi directeur du directoire, la tenue de cet article s’adresse – sans le dire – à son équipe de journalistes. « Je suis comme vous ! Je suis comme on était avant ! Je suis avec vous contre tous les pouvoirs, etc. » Contenu manifeste banal et gentiment discret, mais lorsque Walpole gratte dans le contenu latent… il trouve de la fermeté et de l’autoritarisme dans ce rappel à l’ordre... genre : « Messieurs et Mesdames les journalistes, n’essayez pas d’avoir d’autres idées que la mienne. D’accord pour jouer aux vilains petits canards à la petite récréation, mais dès qu’on rentre en classe, vous obéissez au maître-qui-n’en-est-pas-un, etc. ».
Arabesque managériale bien connu des petits roitelets.
Cette nouvelle remise en ordre s’accompagne de soutiens politiques que Laurent voudrait d’envergure. Avec l’appui des éditeurs du livre, il fait le portier à ses amis Huchon et Valls (et leurs magnifiques livres d’entretiens). Tiens, tiens, entretien, quand tu nous tiens ! Personne ne va croire Walpole et pourtant : oui le Laurent barbu va lui aussi le sortir son bouquin d’entretien... incessamment sous peu. Walpole ne va pas ici en faire de la pub (il ne sera guère difficile pour le lecteur lambda de voir, d’entendre Laurent dans les circuits habituels de l’info libre), mais avouons que son petit livre rouge d’entretien arrive au poil.
Walpole conseillerait à Laurent-le-bobo de former un groupe avec Valls à la batterie (il a « du sang catalan » le bougre !) et Huchon au maxi-micro (un formidable « amateur de rock cosmopolite »). Un beau trio qui ferait du bruit. En avant-première au Congrès de novembre ? En vedette américaine ? Ils remplaceraient si aisément – héritage oblige – les éléphants des eighty’s !
Alors pourquoi un tel article alors que cette gauche de la gauche est résiduelle, insigne et quasi absente ? C’est qu’au-delà de ce faible poids il y a les faits et les faits – comme disait un autre barbu – sont têtus. Pas si simple de jeter les restes au panier, de se débarrasser des déchets. Là-dessus, il faut faire comme Walpole, avec ce numéro de Libération trouvé sur le bateau le menant à Mykonos : en débarquant, il le tendit au premier pêcheur grec vendant son poisson à la criée. Même s’il ne lisait pas le français, le marin sut immédiatement quoi faire de ce cadeau impromptu.
La page « rebond » de Libération enveloppant son poisson-rebelle fut du plus bel effet.
Finalement, se dit Walpole, ça sert toujours un numéro de Libé.
Walpole.
[http://www.pensezbibi.com]
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