Le bal des conspirationnistes

L’annonce de la mort de Bin Laden, exécuté par les forces spéciales américaines, a provoqué un tourbillon de commentaires aussi fantasmagoriques les uns des autres que l’on s’interrogerait sur le caractère universel descartien de la raison. Depuis que Bin Laden a été foudroyé par la colère tenace américaine, tout ce qui compte d’américanophobes, de pseudo-détenteurs de la véritable information sous l’étendard du conspirationisme sont entrés en croisade pour que la « vérité », la leur, soit celle qui s’impose tous. On a parlé d’une photographie truquée du cadavre de Bin Laden comme autant de preuve de la manipulation américaine, en oubliant soigneusement de dire qu’aucun responsable ou officiel américain ou pakistanais n’a authentifié celle-ci, et qu’au contraire des conseillers à la Maison Blanche ont insisté sur la nature fallacieuse de cette photographie émise par une chaine pakistanaise. D’ailleurs aucun grand media américain n’a diffusé ce qui semblait être un « photomontage grossier ». Mais cela n’a nullement empêché les fervents adulateurs de la théorie du complot de jouer leur partition qui au fond manque d’originalité et d’intelligence, toujours rébarbative et à force de répéter inlassablement la même logique en devient soporifique. On le savait déjà le conspirationisme était le droit au ridicule décomplexé mais ce que l’on ignorait c’est jusqu’à quelle profondeur d’absurdité elle pouvait descendre sans – ce qui est encore plus hallucinant – manquer d’air.

Ensuite, il y a eu cette affaire du corps de Bin Laden « immergé » en mer. Encore une rumeur ni confirmée ni infirmée par les différents responsables américains, mais qui a tenu lieu d’information à part entière. Personne n’a vérifié si elle était fondée ou non, l’occasion trop belle, les affamés de la moindre fantaisie médiatique, de l’obsession du mensonge et de la manipulation, se sont précipités pour mieux faire la démonstration des limites de leur capacité à une analyse rationnelle donc sans partialité. On aurait bien souhaités voir des arguments sérieux portés par des preuves irréfutables, on est restés sur sa faim à lire un enchainement indigeste d’une hystérie collective. A croire que Bin Laden mort, une aubaine s’est présentée pour que de nombreux « intellectuels » du conspirationisme aigué puisse s’extirper de la morosité des discussions à n’en plus finir sur le « Bith Certificate » de M. Obama, sur l’obsession pathologique sarkophobienne, sur « Israël », cible privilégié, etc. Bin Laden a ouvert une porte dans laquelle vont s’engouffrer les tenants de la verité « officieuse », ces pseudo-marginaux résistants dont l’engagement politique ne va pas au-delà du clavier de leurs ordinateurs, au moins jusqu’à la mort d’une autre grande figure de l’extrémisme islamiste prônant la haine, la discrimination et l’intolérance.

Les débats sur l’exécution de Bin Laden ont ceci de totalement ahurissant qu’ils soufflent d’un manque abyssal de « preuves » et ils sont largement minoritaires ceux qui se mettent à l’écart de cette agitation peu productive en clarté pour apporter un angle de vue porteur en nouveauté, parce qu’au fond personne ou presque ne sait rien. Ou du moins ce qu’il sait est directement faxé des brèves de comptoir ou des medias. Chacun se fait l’esclave docile du mimétisme de l’autre, paraphrasant, copiant, et surfant sur une mode qui fait fureur, celle de l’incrédulité congénitale. Rien de plus normal d’ailleurs, ne sommes-nous pas libre de croire ou de ne pas croire ? De faire du doute le fil conducteur de notre cheminement vers la verité ? De penser autrement que le mainstream et de ne point adhérer à l’aveuglement de cette frange de la population totalement « conne » ? Un droit absolu et incontestable. Aussi incontestable que d’être au cœur de la débilité assumée, avec la part du comique qui lui sied.