Le « Bienheureux » bin Laden
La Maison Blanche a mis un terme aux rumeurs en refusant de publier les photos du cadavre de bin Laden. Une nouvelle qui a aussitôt embrasé la toile et son petit univers de conspirationnistes. Il est clair que les motivations d’un tel refus n’ont pas pesé bien lourd face au rouleau compresseur des théories saugrenues. Pourtant il faut dire que cette décision aussi incomprise soit-elle pour certains, ou tombant à point pour d’autres, contribuant à alimenter le délire virulent des complotistes – on utilisera l’euphémisme très diplomatique de « sceptiques » - n’est pas dépourvu de bon sens, au contraire. Pour la large majorité des américains, bin Laden est mort dans une opération des forces spéciales américaines, une idée acquise, y compris chez les membres d’Al Qaida qui promettaient déjà de sanglantes représailles. Ensuite, une éventuelle diffusion de quelques photographies aurait des conséquences désastreuses sur le plan de la sécurité nationale, sur la stabilisation des pays arabes à risque au Proche et Moyen Orient, coupables pour de nombreux radicaux de liens trop étroits avec l’occident, sans parler de la propagande qu’elles seraient susceptibles de provoquer avec les craintes de récupération des djihadistes.
Dans l’élite politique de Washington, du Républicain John Boehner, Président de la Chambre des Représentants que l’on ne pourrait pas accuser d’Obamanie, grand pourfendeur de l’action du Président américain, a apporté son soutien à cette décision jugée par l’ensemble de la classe politique de « responsable » au vu de la particularité et de l’exceptionnalité de la situation dans le monde arabe actuellement. En même temps il est fort peu probable que rendre publique des photographies du cadavre de bin Laden apaiserait le courroux et la suspicion des « sceptiques ». Quand on est dans le négationnisme total de tout, on ne se laisse pas impressionner et démonter par quelques preuves photographiques qui seront vite estampillées « Photoshop ». Déjà que la publication des clichés des corps des fils de Saddam Hussein en 2003 avaient déclenché la furie des activistes droit-de-l’hommistes criant au non-respect de la dignité d’autrui, produit des fantasmes toujours aussi originaux des « sceptiques », provoqué une vague d’indignation et de colère dans le monde arabe, une diffusion des photographies pour l’heure dans ce climat électrique, de débats enflammés où la passion annihile la raison, serait un acte hautement contre-productif.
Sans doute, l’administration américaine attend-elle que les esprits recouvrent une certaine sérénité, qu’elle ait la certitude que le travail besogneux de rapprochement entre l’occident et le monde arabe commencé depuis le discours du Caire après des distensions importantes crée par les guerres successives en Afghanistan et en Irak, ne souffrira pas d’une entorse majeure. Encore une fois, par cette décision, M. Obama fait montre d’une capacité fort peu commune à peser les conséquences de ses actions, à ne pas céder à la panique, à l’excitation, à l’engouement impulsif, à assurer un leadership responsable. Les récents sondages d’opinion effectués depuis la mort du terroriste bin Laden, ennemi du monde civilisé et des démocraties, tendent à démontrer l’approbation écrasante du peuple américain et l’assentiment de la Communauté internationale.
Quant aux sceptiques, il semble que même le Christ ne saurait les convaincre, ce serait donc une perte de temps mais surtout une erreur stratégique d’entamer toute forme de dialogue raisonnable possible, enfermés dans leur brouillard et convaincus de tout ce qui n’est pas « officiel ». M. Obama en refusant d’être une sorte de Don Quichotte à l’assaut des moulins à vent, prenant conscience que le conspirationnisme, le scepticisme, le complotisme est comme les sables mouvants, plus on fait preuve de clarté et de raison, plus les illusions hystériques qui habitent cette frange du peuple vous enfoncent dans un sorte de non-sens vaseux. Ceux qui s’époumonent à dire que nous vivons dans le totalitarisme de la pensée unique, qui sont les résistants, le mot est inapproprié mais il leur fera plaisir – flatter leur ego est quelque chose qu’ils apprécient particulièrement, du mainstream sont les premiers à phagocyter l’expression de paroles dissonantes, à recréer dans leur univers obscurantistes une forme de totalitarisme de la « malpensance » avec la furie d’intolérance et de grossièretés qui la caractérise. Ces hommes aux yeux ouverts, dénués d’arguments et de preuves incontestables, voyant dans la lumière du soleil les ténèbres qui sont en fait l’expression douloureuse des obscurités dans leurs esprits. Il était donc nécessaire que M. Obama n’entre pas dans ce jeu complètement inutile.
La mort de bin Laden, une « exécution illégale » ?
De nombreuses voix se sont élevées depuis l’annonce de la mort de bin Laden pour dénoncer une « exécution », un « assassinat », un « meurtre de sang froid » puisqu’il apparait qu’il ne fut pas en possession d’armes. On dénonce une Amérique policier, juge et bourreau, foulant le droit international, méprisant le concept de souveraineté, et galvaudant le terme de « justice ». Des critiques légitimes qui mériteraient aussi quelques explications. Premièrement sur l’accusation de violation du principe de souveraineté, il faut dire que si la Pakistan dont le double jeu dans la lutte contre l’islamisme apparait désormais au grand jour, avait été informé de cette opération, il est fort à parier que bin Laden serait toujours en cavale. Comment comprendra qu’un pays soi-disant allié du monde libre puisse ignorer que le criminel le plus recherché au monde se trouve à quelques mètres de ce qu’il convient de nommer la « West Point » pakistanaise ? Suite aux accords confidentiels concernant la sécurité et la lutte contre le terrorisme, l’Amérique étant le principal levier financier du Pakistan – ce qui aux dires de nombreux parlementaires américains interrogés il y a quelques heures ne devrait plus être le cas – avait la légitimité de prendre les décisions nécessaires à la mise hors-circuit d’un terroriste aussi dangereux. La France l’a fait récemment en Côte d’Ivoire avec l’intervention des forces spéciales de la Licorne pour capturer le Président Gbagbo. Une jurisprudence militaire dont s’est inspirée l’administration américaine. Pour une fois que la France est copiée, elle ne devrait pas bouder son plaisir et s’enorgueillir.
Secondairement, que bin Laden ait été armé ou pas lors de l’intervention militaire ne change pas grand-chose au fait que ses hommes et lui ont opposé une forte résistance, que sa garde rapprochée était lourdement armée, qu’elle avait l’intention de protéger coute-que-coute leur « chef » et que bin Laden lui-même dans une de ses interventions médiatiques avait manifesté son irrésistible désir de mourir en martyr et qu’il ne se laisserait pas prendre vivant – contrairement à Saddam Hussein. Ses vœux ont été réalisés. Opposant une résistance farouche, il est tombé comme il l’aurait souhaité sans pour autant devenir un martyr. Dire que bin Laden a été assassiné est un propos inapproprié, étant considéré juridiquement comme un une cible militaire, un combattant armé volontairement engagé dans un conflit contre l’Amérique, n’ayant pas exprimé une intention de se rendre de son plein gré à la justice. Sa mort se justifie comme un « act of national self-defense », dans le cadre d’une « Kill or capture mission » dont le strict respect du droit a été assuré. En tant que Leader Opérationnel d’Al Qaida entré dans un conflit armé avec l’Amérique, il pouvait être capturé ou tué à n’importe quel moment sous le droit de la guerre (Law of War). En 1996, bin Laden déclarait dans un décret religieux le meurtre de citoyens américains partout où il se trouvait, après le 11 septembre le Congrès autorisait le Président américain à « utiliser tous les moyens nécessaires et la force appropriée contre toute organisation ou tout individu ayant joué un rôle » dans les attaques terroristes qui venaient de frapper l’Amérique, or bin Laden a reconnu lui-même avoir participé à ces attentats monstrueux, sans parler de ceux de Nairobi au Kenya et de Dar Es Salam en Tanzanie. En outre, le Président Obama a signé comme avant lui son prédécesseur Bush un décret secret autorisant soit la capture de bin Laden soit son élimination. Le caractère « illégal » de la mort de bin Laden n’a pas de fondement concret et réel, car il n’y a rien qui obligeait l’Amérique à conduire devant un tribunal – d’ailleurs lequel ? Lequel aurait été compétent ? – un terroriste notoire qui avait refusé d’abandonner sa lutte armée, qui n’a fait montre d’aucune forme de reddition, et qui promettait de déchainer sur l’Occident, particulièrement la France, les enfers. La force utilisée par l’Amérique est conforme au droit à la fois « domestique » et « international ». Lorsque les forces de sécurité sont confrontées à une situation à risque qui menace leurs vies, ils ont le droit de se défendre et d’utiliser la force « lethale » qu’elles jugent appropriées. Ce qui a été le cas. Il n’y a donc aucune inégalité véritable dans la mort de bin Laden. Le droit a été parfaitement respecté qu’il soit interne ou international, dans ce sens « Justice a été faite ».
A cent mille lieux sous la mer.
La controverse sur la façon avec laquelle l’armée américaine a conduit l’immersion du corps de bin Laden provoque plus de polémiques de la part des musulmans que « comment » il a été tué. Les circonstances de sa mort importent peu comme le déclarait M. Rehman, membre de la Commission Pakistanaise des Droits de l’Homme. La religion islamique semble pointilleuse sur le sujet, les leaders religieux devraient déterminer si bin Laden a été inhumé selon le rite musulman car ceci a sa grande importance, ils devraient s’assurer que le sieur bin Laden est bel et bien auprès de Allah avec ses mille Vierges, contrairement aux innocentes victimes dont les squelettes gisent sous le béton et l’acier de Ground Zero. Les critiques se font rude sur la décision américaine de ne pas enterrer bin Laden mais de l’immerger, les raisons avancées qui ne manquent pas pourtant d’intelligence – le refus d’en faire un lieu de pèlerinage, la crainte de voir une sorte de mausolée être construit sur son lieu d’enterrement engendrant ainsi un culte indécent qui serait une insulte à toutes les victimes de ce barbare, etc. – sont balayées d’un revers de la main. A juste titre, c’est l’Amérique qui le dit, donc forcement c’est suspect. Il faut qu’en même souligner que M. Amidhan, membre de la Indonesia’s Ulema Council, juge que la décision américaine d’immerger en mer le cadavre de bin Laden peut se justifier en raison de « circonstances extraordinaires », une voix discordante qui n’a pas fait taire la meute déchainée, comme toujours, après chaque éternuement de l’Amérique.
Bin Laden, le « Bienheureux ».
On connaissait bin Laden comme l’une des figures marquantes de la barbarie postmoderne, ce que l’on découvre depuis sa mort, c’est qu’il est en passe de devenir une sorte de Che Guevara des conspirationnistes, des négationnistes et autres complotistes – on utilisera l’euphémisme très diplomatique de « sceptiques » - un Messie dont on pardonnerait les actes de terreur, le sang des innocents versé pour le triomphe de sa perversion idéologique, pour peu qu’il soit tombé sous la balle de cette Amérique que l’on aime à détester. Il est devenu en quelques jours l’objet de toutes les spéculations aussi invraisemblables qu’abracadabrantesques, s’érigeant en symbole de la résistance des marginaux et des frustrés, de ces combattants de l’américanisme voire de l’occidentalisation du monde. Celui là qui incarnait de manière si particulière le déni de la dignité humaine est devenu le symbole de la liberté de dire « non » à un ordre mondial fantasmé, tentaculaire, pernicieux, et dangereux. Dans la religiosité conspirationniste, il est devenu une icône portée en acclamations contre cet ogre froid et cruel qu’est le monde civilisé. On aurait juste aimé voir ce que cela aurait été pour ces marginaux de la désespérance, troubadours du non-sens, s’ils avaient perdu un membre de leurs familles dans des attentats, s’ils avaient été contraint de vivre dans des pays pratiquant la Sharia où les femmes sont moins que des primitives, où la discrimination est une vertu, où la modernité et la pensée libérale est considérée comme une corruption de l’âme humaine. Aujourd’hui, il fait « in » d’être « underground », de se dire moins « con » que ces autres que l’on estampillerait de gloutons de la parole officielle tout en exprimant à chaque réflexion un vide abyssal, de se faire l’agent de relais du commentaire des commentaires de ces compagnons complotistes. Faute de preuves, la chimère tient lieu de vérité incontestable. Bin Laden n’est plus grâce à cette nébuleuse conspirationniste un criminel d’une barbarie innommable, il est désormais le « Bienheureux », à quelques encablures de la béatification.
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