Le bourbier des armées nationales
Ce qui se passe au Soudan en ce qui concerne les développements sur le terrain n’est pas très différent de ce qui s’est passé pour les armées nationales dans d’autres pays arabes de la région. Ces armées se retrouvent opposées à des milices, des organisations et des groupes, engagées dans des guerres non conventionnelles dont l’issue est souvent prédéterminée.
Dans ce contexte, nous n’aborderons pas la question de la légitimité de la position de l’armée soudanaise ou des Forces de soutien rapide (FSR) dans le conflit militaire en cours. Cette question revêt un caractère exceptionnel au Soudan même, car ces forces faisaient autrefois partie de la structure officielle du régime institutionnel du pays, leur chef, le général Hemeti, occupant le poste d’adjoint du président du Conseil de souveraineté. Toutefois, à la suite du déclenchement du conflit actuel, le général Hemeti a été démis de ses fonctions par le chef du CS, le général Burhan.
Ces forces ne peuvent donc pas être assimilées aux milices terroristes ou rebelles que l’on trouve couramment dans la région arabe. Elles maintiennent une structure organisationnelle distincte de l’armée soudanaise, qui est restée inchangée même après que leur chef ait intégré la structure officielle du pouvoir dans le pays.
La difficulté à laquelle sont confrontées les armées nationales de certains pays de la région réside dans leur engagement avec des acteurs non étatiques. Cette situation n’a pas surgi de nulle part et n’est pas non plus récente. Elle s’est reproduite à de multiples reprises dans des situations antérieures telles que le Viêt Nam, l’Afghanistan et l’Irak, qui ont toutes vu l’implication des forces américaines. Elles ont été confrontées à des situations similaires et ont finalement abouti à des positions et à des résultats comparables. Il est difficile pour les armées conventionnelles de remporter des victoires militaires décisives contre des organisations et des groupes non étatiques.
La lutte contre le terrorisme a également donné lieu à des conflits non conventionnels analogues qui ont abouti à des résultats variés. Il est important de souligner que l’éradication et la défaite de Daesh en Syrie et en Irak n’ont été possibles que grâce aux efforts collectifs de la coalition internationale contre le terrorisme, composée de nombreux pays.
Un aspect évident du problème de terrain auquel l’armée soudanaise est actuellement confrontée est la prolifération d’éléments des FSR dans les grandes villes comme la capitale, Khartoum. Ces éléments sont stationnés dans des zones résidentielles et des installations critiques telles que des écoles, des hôpitaux et des institutions gouvernementales. Cette situation pose un véritable dilemme à l’armée soudanaise, car il est extrêmement difficile d’affronter ces éléments sans endommager les infrastructures et les zones résidentielles. Les conséquences seraient catastrophiques.
Un exemple récent est l’attentat à la bombe qui a visé les environs du siège de l’Université internationale d’Afrique à Khartoum, entraînant la perte de vies humaines parmi les réfugiés du Congo. Le ministre des affaires étrangères du Congo a déclaré : « Ce qui nous fait très mal, c’est que c’est l’armée régulière qui a lancé les bombes en sachant qu’il y avait des étrangers ». Cet incident particulier n’est pas le premier à faire des victimes civiles depuis le début du conflit. Cependant, il a attiré davantage l’attention des médias en raison du pays d’origine des victimes.
Dans ce type de conflit, la position des armées régulières semble plus complexe que celle des organisations ou autres forces non étatiques. Cette complexité découle de divers facteurs liés à la nature des institutions militaires conventionnelles, notamment leur formation, leur état de préparation, leur armement, leurs stratégies de combat et les règlements et contraintes qui régissent leur conduite professionnelle. Contrairement aux entités non étatiques, qui jouissent d’une liberté de mouvement, d’une facilité de déploiement et de dispersion et d’une flexibilité tactique, les armées régulières opèrent dans certaines limites.
La distinction cruciale réside dans le fait que les forces non étatiques peuvent opérer sans être liées par des règles et des contraintes. Elles peuvent mener des opérations sur le terrain qui entraînent des pertes humaines et matérielles, tout en rejetant la responsabilité sur l’armée régulière, qui est perçue comme la partie responsable, tant au niveau national qu’international, des événements qui se déroulent sur le terrain.
L’un des principaux enseignements à tirer de ces crises est que les milices et les forces non étatiques restent une menace différée. Il arrivera un moment où il sera difficile de les « dompter » ou de contenir leur danger, en particulier s’ils possèdent un pouvoir immense, des armes, du personnel et un sentiment de parité qui les poussent à poursuivre leurs propres objectifs individuels ou organisationnels. La nature, la légitimité ou l’alignement de ces objectifs sur les intérêts nationaux de la population ou d’autres facteurs n’entrent pas en ligne de compte.
Ce qui se passe au Soudan suit un schéma que nous avons observé dans d’autres pays arabes, dont certains sont toujours en proie à des conflits. Les perspectives pour les armées régulières de parvenir à une résolution définitive de ces conflits semblent limitées et nécessitent une longue période de temps. Il en résulte des crises complexes tant pour les armées elles-mêmes que pour les habitants des villes qui se sont transformées en champs de bataille.
Par conséquent, une résolution rapide de ce conflit semble improbable, sans parler des années, voire des décennies, qu’il faudra pour rétablir la normalité et faire face aux conséquences, notamment sur le plan psychologique et sociétal. De nombreux rapports de terrain publiés par les médias décrivent les maisons et les rues comme des charniers.
L’un des aspects de la crise soudanaise est l’effondrement progressif des fondements de l’État soudanais. La probabilité d’un retour à un état antérieur au conflit s’amenuise ou, à tout le moins, est de plus en plus entourée de difficultés et de complications croissantes au fil du temps.
Le conflit en cours entraîne la destruction d’infrastructures et d’installations essentielles, tandis que les personnes qualifiées chargées de gérer ces ressources sont déplacées, forcées de fuir ou perdent la vie. Dans des vidéos enregistrées, nous avons été témoins de la transformation d’hôpitaux, d’écoles et même du musée national de Khartoum en bases militaires. Par conséquent, la question principale n’est plus de savoir quand les combats de rue dans les villes soudanaises prendront fin, mais plutôt quand le Soudan dans son ensemble guérira.
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