Le Brexit ce n’est pas la démocratie
Autant le dire d’emblée, je suis un Helvète, cela situe immédiatement le contexte. Le référendum du Brexit n’a pas été un exercice de démocratie. Lorsqu'un référendum est un instrument qui appartient au seul parti au pouvoir qui – seul – peut décider de faire voter le peuple, ce n’est pas de la démocratie.
En Suisse s’il doit y avoir ou non référendum, c’est la Constitution qui le décide pour les objets qu’elle a prédéfinis comme importants. Alors les autorités politiques ont l’obligation – et non le choix – de demander l’avis du peuple, de même ces autorités ont l’obligation de tenir un référendum lorsque la signature de 100'000 citoyen-ne-s l’exige.
Ce n’est pas ce qui s’est passé en Grande-Bretagne.
On a parlé de démocratie britannique, c’est le 3e référendum de toute leur histoire, c’est dérisoire. On a parlé de Brexit on aurait dû parler de Brexit 2 car c’était la seconde fois que les Britanniques avaient à choisir leur appartenance à l’organisation européenne.
Ici, comme en 1975, personne n’a posé la question de savoir pourquoi le pouvoir en place organisait un référendum en menaçant de quitter l’UE alors que précisément ce même pouvoir en place désirait plus que tout au monde y rester…
On comprend alors que ce qu’a mis en place David Cameron était un pari – une manipulation – et il l’a cette fois perdu. Mais rien n’est moins sûr.
Les médias européens n’ont encore une fois dépeint la situation que de manière détestablement partielle et seulement en vertu de leurs intérêts. Que d’analyses lacunaires et superficielles, que de descriptions grotesques n’a-t-on vues ? Comme ces images d’un bateau britannique coulant désormais seul au milieu de l’océan.
Le brexit 2, comme le brexit 1, est l’occasion de voir de manière relativement claire comment fonctionne la politique aujourd’hui, comment les partis politiques manipulent les opinions publiques et s’en servent pour garder le pouvoir et défendre d’abord les intérêts de ceux qui les financent.
[Il est aujourd’hui démontré que les intérêts de la plupart des partis politiques ne sont pas ceux du peuple, que ces partis politiques sont bien des entités et des mécanismes avec des intérêts propres et différenciés, quasiment ceux des castes qui les dirigent, et qu’ils sont prêts à sacrifier les intérêts du peuple si leurs propres survies ou leurs pouvoirs en dépendent].
Le Royaume-Uni c’est la deuxième économie d’Europe, la première place financière du monde, le [l’ex] membre UE qui a la meilleure croissance du système européen et l’UE couperait avec elle tous les ponts et la laisserait couler au milieu de nulle part ? On comprend ici tout l’inanité et le grotesque de ces dessins de presse dont la force de manipulation est délétère.
Que va-t-il se passer ? En réalité personne ne le sait. Les questions qui vont se poser sont si complexes que les études mises à dispositions de la Chambre des communes avant la votation annonçaient déjà que sur beaucoup de points elles n’avaient aucunes réponses et qu’il faudrait les trouver en négociant… avec l’UE.
Un point qui devrait indiquer qu’en réalité rien ne va beaucoup changer se trouve dans cette considération que les études britanniques faisaient dans leur analyse d’une sortie de l’UE. Ces études analysaient ce qu’elles appelaient le modèle suisse – qui n’est pas membre de l’UE mais qui a tout un réseau d’accords avec l’UE négociés de manière bilatérale – et dont elles concluaient que bien que non membre UE la Suisse était bien plus intégrée à l’UE que ne l’était le Royaume-Uni lui-même. Plus intégré.
Ici tout est quasiment dit…
Il n’est pas impossible de penser qu’au final le Royaume-Uni, selon les accords bilatéraux qu’il devra forcément trouver avec l’UE, se retrouve encore plus intégré à l’UE qu’il ne l’était auparavant… Ce danger était précisément soulevé dans les discussions parlementaires en relevant que le Royaume-Uni n’y gagnerait rien mais qu’au contraire il serait forcé comme d’autres de reprendre les normes et la législation européenne sans n’avoir plus aucun droit de parole au parlement européen. Ce qui explique par ailleurs le coup de colère du président Obama qui comptait précisément sur les voix des Britanniques pour faire accepter le futur accord transatlantique TTIP entre l’UE et les USA.
Le Royaume-Uni un bateau qui coule seul au milieu de l’océan, chacun aura compris le ridicule et le grotesque de cette image. L’UE et particulièrement la zone euro, en mal de croissance, ne peuvent se permettre de lâcher le Royaume-Uni. En mal de croissance ils ne pourront refuser l’accord de libre-échange transatlantique à venir. Et alors nul doute que les américains pèseront de tout leur poids pour défendre la position de leur allié britannique et de la City à partir de laquelle opèrent les plus grosses banques d’investissement US.
Bien sûr dans cette nouvelle situation certains vont perdre, mais d’autres vont gagner. Ce ne sera tout simplement pas les mêmes. A chacun son tour pourrait-on dire. La migration folle reprise en main par les Britanniques, les loyers vont probablement reprendre des niveaux plus conformes à la raison, les petits salaires britanniques retrouver des couleurs, les coûts sociaux alors forcément diminuer, la livre qui sait ?
En tout état de cause une amélioration pour toute une série de paramètres tout aussi fondamentaux pour la compétitivité britannique et pour la maîtrise de ses coûts de production, à l’instar de ce qu’a fait l’Allemagne à la fin des années 1990 qui a pu baisser ses coûts de production pour inonder l’Europe de ses exportations mais, tout en protégeant le revenu disponible de ses citoyens et ses caisses sociales…
Pour ceux qui voudraient comprendre pourquoi ce référendum pesait 200'000 milliards d’euros – non, ce n’est pas une erreur – pourquoi David Cameron n’avait pas d’autre choix que de donner la voix au peuple britannique, mais pourquoi ce n’était pas un exercice de démocratie, et pourquoi c’est un épisode essentiel pour comprendre comment fonctionne la politique en Europe, ils liront avec avantage le livre "Brexit L'adhésion du Royaume-Uni à la CEE" de Michel Piccand disponible sur amazon France.
Michel Picand
N.B. La lecture de ce livre a posteriori en devient d'autant plus intéressante. Pour les Suisses la question du Brexit ne fait que commencer, de même pour tous ceux qui veulent que l'UE s'arrête. Comprendre ce qui s'est vraiment passé en devient d'autant plus crucial.
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