Le cas Eli Lilly : un exemple emblématique du pouvoir de Twitter
C’est à une bien mauvaise nouvelle qu’a été confronté le CEO d’Eli Lilly, David A. Ricks : le vendredi 11 novembre, vers 19h30 heure de Paris, un message partagé par un faux compte se faisant passer pour la véritable entreprise déclarait que l’insuline allait être désormais disponible gratuitement, alors qu’elle actuellement en vente en pharmacie aux Etats-Unis à un prix de 82,41 $ pour les flacons individuels et à 159,12 $ pour un pack de cinq stylos (Insuline Lispro Injection, Eli Lilly). Un mini-scandale aux Etats-Unis, et une bizarrerie vue de France, puisque l’insuline sous sa forme générique est remboursé à 100% par la sécurité sociale.
1. Mais au fait, qu’est-ce que l’insuline exactement ?
L’association Diabetes UK explique que l’insuline est une hormone découverte par Sir Frederick Banting, Charles Best et JJR Macleod à l’Université de Toronto en 1921. Cette hormone, naturellement produite par le pancréas, permet au glucose (sucre) d’entrer dans les cellules du corps » complète l’association Diabète Québec. Chez ceux souffrant de diabète, l’insuline est nécessaire pour pouvoir aider leur corps à pallier leur déficience en sucre.
Le ministère des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapés rappelle que « le diabète est une maladie chronique caractérisée par la présence d’un excès de sucre dans le sang, appelé hyperglycémie. L’hyperglycémie prolongée du diabète expose à de nombreuses complications. Le diabète de type 2 est le plus fréquent (plus de 90%) et en forte progression dans le monde entier. Cette progression est liée à l’évolution des modes de vie, surtout l’alimentation et l’activité physique. En France, en 2019, près de 4 millions de personnes sont identifiées comme diabétiques par l’assurance maladie ». Dans le cadre de la stratégie nationale de santé 2018–2022 du gouvernement, de nombreux conseils ont été donné pour réduire le risque de diabète chez l’adulte comme chez l’enfant.
En 1920, des scientifiques avaient déjà identifié des grappes de cellules dans le pancréas, appelées îlots, produisant de l’insuline, et avaient déterminé que ce sont ces cellules qui sont absentes, manquantes, chez ceux porteurs de la maladie appelée diabète de type 1. Ce fut l’une des plus grandes percées médicales de l’histoire, qui a permis de sauver des millions de vies dans le monde et a déclenché un siècle de découvertes sur le diabète. Le 23 janvier 1923, Banting, Collip et Best obtiennent les brevets américains sur l’insuline et vendent ces brevets à l’Université de Toronto pour 1 $. Banting déclara : « L’insuline ne m’appartient pas, elle appartient au monde.
Comment expliquer alors le prix actuel de l’insuline aux Etats-Unis ? D’abord, au XXe siècle, Eli Lilly passe un deal avec l’université de Toronto et paye à cette dernière une redevance de 5 % pour chaque flacon d’insuline d’origine animale vendu, et ce jusqu’en 1967. C’est donc l’histoire d’un médicament qui, d’abord vendu en échange d’une royaltie, est ensuite tombé dans le domaine public. Le site d’Eli Lily indique à cet égard que « la plupart de nos insulines vendus ne sont pas brevetés ». Pourtant, en raison des « 5000 personnes, ingénieurs et scientifiques » employés par l’entreprise, et des « 1,2 milliards » investis depuis 2012 pour améliorer le processus de production de l’insuline, Eli Lilly indique qu’un mois de traitement coûtera environ 95 dollars pour la plupart de ses clients.. Si un programme d’Eli Lilly existe pour les plus démunis afin de ne payer que 35 dollars par mois — par exemple ceux sans assurance — une note de bas de page mentionne cependant que seuls ceux en « co-pay » (un système privé de sécurité sociale géré par les entreprises pharmaceutiques, et parallèle à l’assurance sociale) pourront bénéficier du programme d’insuline à 35 dollars. Les plus pauvres n’ayant pour assurance que Medicaid ou Medicare (sponsorisés par l’Etat fédéral) n’étant pas éligibles.
Un simple tweet sur le réseau social Twitter efface 15 milliards de capitalisation
Pour Anat Ashkenazi (CFO) Stephen F. Fry (HR), Anat Hakim (Counsel), Edgardo Hernandez (Operations), Patrick Jonsson (Président, Etats-Unis), tous membres du comité exécutif, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe : un tweet d’un compte Twitter prétextant être la firme Eli Lilly déclarait vendredi dernier : « Nous sommes très heureux d’annoncer que l’insuline est désormais gratuite ». Retweeté quelques minutes plus tard des centaines de fois et liké des milliers de fois, l’annonce a eu un impact direct sur les marchés : moins de trois heures après cette annonce, un mouvement massif de vente d’actions faisait chuter le cours de bourse de la firme d’Indianapolis de 4.37% et effaçait 15 milliards de dollars de capitalisation !
En cause ? La fameuse vérification sur Twitter, qui prend la forme d’un petit logo bleu à côté du nom du compte, et qui avait été provisoirement mis en place par le nouveau président de la société, Elon Musk. Rapidement stoppé, cette nouvelle stratégie de développement du réseau social consistait à permettre à tous les utilisateurs d’acquérir le petit logo bleu pour 8 dollars par mois. Evidemment, de nombreuses personnes en ont profité pour créer des comptes parodiques afin de tourner en ridicule des entreprises bien réelles comme Coca-Cola.
Au-delà de la démocratisation de la certification, pourtant nécessaire, le problème de la suppression des propos litigieux pour une personne morale ou privée
Comment éviter à nouveau ce genre d’abus ? La vérification formelle de l’identité de ceux qui souhaitent obtenir une marque de vérification s’avère nécessaire. De nombreux outils existent : entretiens vidéo, soumission d’une pièce d’identité, voire prise d’un selfie avec pièce d’identité ou encore vérification d’un email professionnel. Par ailleurs, une période de probation de 3 à 6 mois pourrait être rendu obligatoire. Dans le cas spécifique du réseau social Twitter, une limitation des likes et retweets pendant les premières heures de la publication d’un post peut aussi être envisagé.
Enfin, plus important, la capacité d’une entreprise ou d’un particulier à faire retirer de fausses informations de l’internet et des réseaux sociaux s’avère être primordial. Aujourd’hui, de nombreuses personnalités, firmes et particuliers sont démunis car le processus de plainte est long, coûteux quand il faut faire intervenir la justice, et très lent. Google, Instagram, Facebook ou encore Twitter se doivent donc de mettre en place, avec l’aide des pouvoirs publics, des boutons permettant à une victime comme Eli Lilly de pouvoir faire effacer sous une heure et de façon automatique le ou les publications litigieuses.
Il n’est en effet pas question de liberté d’expression quand la personne ciblée est morale ou privée. La justice est, au contraire des réseaux sociaux, l’instrument à saisir pour faire valoir une critique, quant elle est sérieuse. Même si l’intérêt d’un réseau social est de créer du contenu, cela ne doit pas se faire aux dépends de la réputation des personnes calomniées. Trop souvent, sur internet, la rumeur a contribué, à cause de la non-suppression rapide, automatique, de posts mensongers, à des comportements animaux que Gustave Lebon décrivait déjà dans son analyse des foules. Seuls les entités et personnes publiques devraient pouvoir faire l’objet de critiques sans filtres dans l’espace public.
37 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON