Le chercheur d’or
Aujourd’hui un chercheur est un chercheur d’or. Cet or qui n’est pas un résultat, pas une découverte, mais une consommation de son temps. Un temps détourné de la recherche. Un chercheur d’or n’est pas un chercheur. La recherche s’est travestie en une ruée désespérée. On ne le dira jamais assez (reprise d'une tribune publiée ici).
A mon ami le chercheur inconnu.
Autrefois, Marie et Pierre Curie refusèrent de breveter leur méthode de purification du radium. Il fallait que le plus grand nombre en profite. L’argent ne comptait pas. Le radium ne fut pas transformé en or sonnant et trébuchant. Marie Skłodowska mourut d’avoir pétri avec acharnement cette matière d’où émergea au bout du compte la radiothérapie. Elle augmenta notre humanité.
Aujourd’hui, Marie et Pierre ont prêté leur nom à une bourse de recherche prestigieuse mais ultra-compétitive pour les chercheurs voulant travailler en Europe : les bourses Marie Skłodowska-Curie. Les précaires de la recherche, ceux que l’on appelle les chercheurs post-doctorants, ne peuvent y prétendre qu’à condition de faire preuve d’une mobilité au sein de l’Europe, ou d’en avoir fait preuve sur l’année écoulée. Très contraignant mais probablement compréhensible tant la mobilité géographique et culturelle peut stimuler la mobilité intellectuelle. (Mais souvenons-nous tout de même que le départ de Marie Skłodowska pour la France ne fut pas motivé par une quelconque envie de mobilité soudaine, autre que celle de fuir l’interdiction faite aux femmes de suivre des études supérieures dans son pays...) Ajoutons sur ces bourses que les chercheurs post-doctorants qui sont partis il y a un peu plus d'une année et qui en ont ramené des collaborations internationales, ou ceux qui ont déjà des collaborations internationales du fait du rayonnement de leur travail depuis leur pays ne peuvent prétendre à ce financement européen.
Les exhortations à la mobilité et au mouvement permanent, à la flexibilité, envahissent la sphère professionnelle qui déborde sur le privé et entament les espoirs de familles à peine nées. Ces conditions – ultra-compétitivité et mobilité - seraient acceptables si d’autres opportunités notamment en France permettaient aux chercheurs post-doctorants de candidater à des financements plus accessibles. Il n’en est rien.
En marge de la bourse des Curie s’étalent des acronymes plus austères, des filons très courus comme ERC et ANR, le premier est européen et le second national. Mais l’ERC a un taux de réussite tout aussi prohibitif. Les post-doctorants français y sont mis en compétition avec des chercheurs permanents et des post-doctorants de toute l’Europe. Quant à l’ANR, en France, il est interdit aux post-doctorants d’y mettre les pieds. Pour espérer obtenir un poste de chercheur permanent on leur exhorte pourtant de collaborer, de s’impliquer dans des projets, de se rendre indispensable, de mener une recherche originale à défendre devant les jurys de concours. Mais comment ? Pas de financements, pas d’autonomie.
Mais voici qu’un autre filon appelé “Momentum” fut découvert il y a peu. Encore une fois il fallut aux post-doctorants se confronter à des chercheurs d’or aguerris. Vingt chercheurs seront récemment parvenus à déterrer une pépite grosse comme le poing. Bravo et bon courage à eux dans leur recherche. Au demeurant on annonça que c’était un grand succès et l’on trouve placardé en cette fin d’année 2018 : “Avec un total de 383 dossiers éligibles, l’appel a connu un grand succès et vingt projets ont été retenus”. Juste là. A peine plus de 5% de réussite. Pire que le filon ANR. Il s’agit certainement d’un grand succès. Une formulation à la sémantique cynique adosse la notion de succès à des moyens dérisoires. Le CNRS se félicite que 383 affamés se précipitent pour excaver de l’or et que seuls vingt chercheurs en reviennent rassasiés. Vingt chercheurs d’or plus chanceux que d’autres. Cinq pour-cents. Parmi eux seulement une poignée de post-doctorants.
On ne laisse pas les post-doctorants devenir des chercheurs d’or. Ils attendent sur le bord des chemins de France que les “vrais” chercheurs trouvent eux-mêmes déjà péniblement les ressources pour leur tendre une main. On en voit aussi certains errer sur leur petit radeau. Voyez encore leur bouteille à la mer, aperçue ici ou là. Ils sont dans l’attente d’un soutien inexistant d’une hiérarchie en apparence peu concernée.
Les “post-docs” aussi pourraient être des chercheurs d’or. Aujourd’hui n’est-ce pas la seule recherche qui compte ? La seule recherche qui prend du temps. La seule recherche dont la réussite est célébrée. La seule recherche qui permette de faire de la recherche.
Ce qui devrait être une œuvre collective devient sans cesse plus chiffré, quantitatif, individualiste.
Les post-doctorants quittent la France ou la recherche. Certains continuent à mendier sur le bord des chemins menant à des mines et des rivières qui se tarissent, où même les chercheurs d’or succomberont cette année un peu plus.
Mais ce ne sont pas davantage de chercheurs d’or qu’il nous faut. Il nous faut juste des chercheurs. Des chercheurs en poste permanent, avec des moyens. Leurs trouvailles nous mènent alors aux vrais trésors, à ceux qui enrichissent notre humanité, aux découvertes qui nous font repenser notre monde. Tout le reste n’est que course effrénée.
L’or rend fou.
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