Le christianisme, malade du mondialisme
Catholiques traditionnels et patriotes s'inquiètent à juste titre de la progression islamique, et fustigent avec Alain Soral un mondialisme judéo-sioniste appuyé sur la puissance militaire, mais aussi économique, anglo-américaine. Ils se surprennent alors à rêver d'un retour à la monarchie absolue de droit divin, et espèrent, ouvertement ou en secret, l'arrivée d'un Prince, éventuellement charmant, qui serait capable de sauver la France et de restaurer sa religion structurante ancienne. Il n'en reste pas moins qu'il est difficile de combattre un universalisme par un autre. Que penser d'une doctrine qui chercherait le salut du pays encore nommé la France, tout en vouant aux flammes éternelles les braves hindous qui se baignent dans le Gange ou encore les bouddhistes enseignant une sagesse assez différente de celle des Évangiles ?
Le christianisme, malade du mondialisme
La culture chrétienne présente certes des grandeurs sublimes et des préceptes moraux fort judicieux, mais il ne faut pas oublier qu'elle est, depuis l'origine, un universalisme, donc une sorte d'impérialisme, qui s'est fondé sur les décombres des paganismes nationaux. Les chrétiens ont beau jeu, surtout les catholiques, de vilipender les destructions intellectuelles et matérielles perpétrées par la Révolution Française au nom de certains idéaux, éventuellement malsains, qu'on pourrait qualifier de maçonniques ; mais c'est oublier un peu vite que le christianisme fut lui-aussi une révolution bien destructrice, servie par des despotes, tels que Constantin ou Théodose. Dans cette vaste affaire, l'assassinat d'Hypatie ne fut d'ailleurs qu'un tout petit épisode, parmi tant d'autres.
Nous sommes aujourd'hui dans une situation terrible, qui n'est pas sans rappeler, un siècle auparavant, les débuts de la Première Guerre Mondiale, à ceci près que nos moyens de destruction sont considérablement augmentés, et dans un monde infiniment plus contaminé par la technique et les pollutions à long terme. Les universalismes ne cessent de s'entrechoquer. Mes amis nationalistes et catholiques traditionnels s'inquiètent à juste titre de la progression islamique, et fustigent avec Alain Soral le mondialisme judéo-sioniste appuyé sur la puissance militaire, mais aussi économique, anglo-américaine. Ils se surprennent alors à rêver d'un retour à la monarchie absolue de droit divin, et espèrent, ouvertement ou en secret, l'arrivée d'un Prince, éventuellement charmant, qui serait capable de sauver la France et de restaurer sa religion structurante ancienne.
Il n'en reste pas moins qu'il est difficile de combattre un universalisme par un autre. Que penser d'une doctrine qui chercherait le salut du pays encore nommé la France, tout en vouant aux flammes éternelles les braves hindous qui se baignent dans le Gange ou encore les bouddhistes enseignant une sagesse assez différente de celle des Évangiles ? Peut-on à bon droit s'inquiéter d'un complot judéo-maçonnique universel si, d'un autre côté, on pose que sa religion est la seule valable, et que les adorateurs de Vishnou ou les tenants du Zen doivent ou se convertir ou périr éternellement ? On notera qu'en la matière, les musulmans, tout aussi universalistes, raisonnement de la même façon. Il n'y a certes rien de plus funeste que l'athéisme, dans la mesure où il constitue lui-même un universalisme matérialiste et jouisseur, irréaliste dans un monde où le moins qu'on puisse dire est que les plaisirs sont rares et chers, et que la frustration prédomine ; l'athéisme jouisseur est une religion. Mais les catholiques ou les musulmans convertisseurs poursuivent le même objectif que les athées militants : il s'agit in fine, dans leur eschatologie, j'allais dire dans leur messianisme, que tous les hommes, à la fin des temps, se ressemblent, qu'ils soient tous unifiés dans le même système.
A cet égard, nous ne ferons guère de différence entre les religions qui prévoient un peuple élu (un certain judaïsme, un certain protestantisme, voire un certain athéisme très XVIII° siècle où les philosophes des Lumières constitueraient un nouveau peuple-prêtre, fût-ce de la déesse Raison, une secte oligarchique) et celles qui prédisent une unification totale du genre humain. Car, au bout du compte, c'est toujours de l'universalisme. Un certain mondialisme judéocentré (Jacques Attali) préconise une gouvernance mondiale, à la fois israélienne et israélite, depuis Jérusalem, dont le Temple serait reconstruit, les autres peuples devant se contenter d'une religion de second ordre appelé le noachisme, c'est-à-dire l'observance de la morale et du droit assez rudimentaire fondé par Noé... Chez les musulmans, chez les chrétiens, cette cassure du monde entre une minorité élue et une masse, non-élue et sous domination, n'est pas ou pas tout à fait prévue (encore que, dans le protestantisme ou le jansénisme, le thème de l'élection soit très présent). Mais qu'il y ait peuple élu ou pas, qu'il y ait cassure entre l'oligarchie et le reste du monde ou non, les effets sont les mêmes. Les grands universalismes convertisseurs (islam, catholicisme, mais aussi républicanisme maçonnique des « droits de l'homme » ou encore marxisme totalitaire, non celui de Marx lui-même peut-être, mais celui des marxistes) se contentent de remplacer le peuple élu par une sorte d'aristocratie militante, dont les visées, globalisantes, totalitaires en somme, sont exactement les mêmes : in fine, le monde entier devra se soumettre au dogme ; in fine, nous deviendrons tous musulmans, ou chrétiens, ou républicains, ou bolcheviques... Et tout système ayant besoin d'une élite qui dirige, une élite, qu'elle le veuille ou non, au-dessus de la masse, une sorte d'oligarchie de prêtres ou de sages en somme, quelle différence notable y a-t-il encore entre le mondialisme judéo-WASP à l'américaine et le millénarisme républicain, islamique, catholique ou encore communiste ?
Toute l'Histoire des peuples n'a été bien souvent au fond qu'un choc entre différents messianismes... Nous ne voulons pas insinuer par là, bien entendu, que les identitarismes, les nationalismes, les localismes seraient moins belliqueux, moins destructeurs que les universalismes : les nationalismes exacerbés du XX° siècle ont pleinement manifesté leur agressivité, et leur expansionnisme. Mais enfin, les doctrines identitaires, par définition, ne sont pas animées des mêmes pulsions globalisantes que les universalismes. Malgré la scène comique du Dictateur ou l'on voir Charlie Chaplin, déguisé en Hitler, s'amuser avec une mappemonde gonflable, il est douteux que le nazisme ait eu jamais une quelconque prétention universelle ; il s'agissait de faire de l'Allemagne une superpuissance et de rafler quelques colonies, exotiques ou européennes, à l'occasion. Mais Deutschland über alles ne signifie pas exactement Alles ist Deutschland. Il ne s'agissait pas que tout le monde se « convertisse » au nazisme. Du reste, le totalitarisme d'en-face, le bolchevisme de Staline, totalement mondialiste en son principe, finira lui-même par se désuniversaliser, se renationaliser, se recentrer sur la Russie, fût-elle soviétique, avec un certain mépris pour l'Internationale. Hitler lui-même à partir de 1941, année où il épouse la cause palestinienne en rencontrant le grand mufti de Jérusalem Amin al-Husseini, fût-ce par opportunisme stratégique, multiplie les discours très droits-des-peuples-à-disposer-d'eux-mêmes.
En définitive, l'identitarisme et l'universalisme sont deux logiques opposées, mais dialectiques, l'une centripète, l'autre centrifuge, et l'on glisse assez facilement de l'une à l'autre en fonction des moyens, notamment militaires, dont on dispose. Mais l'universalisme est de loin la plus dangereuse. Il n'y a rien de plus funeste que cette prétention de tout écraser sous le même système, sous les mêmes mœurs, jusqu'aux confins les plus reculés du monde. L'identitarisme le plus agressif, d'Alexandre le Grand au Führer, de l'Athènes de Périclès à l'Italie mussolinienne connaît son ultime développement dans l'expansionnisme, dans l'impérialisme. L'universalisme, en revanche, reconnaît dans l'impérialisme, non sa dernière extrémité, mais son principe même de fonctionnement, son fondement, son origine. L'universalisme est, d'emblée, impérialiste ; il repose sur ce principe aussi terrifiant que grotesque : pas une parcelle du monde qui ne m'échappe ! Pas un homme, pas une fourmi, pas un microbe ne sera soustrait à mes dogmes... Les guerres d'autrefois, les guerres païennes, affrontaient des hommes entre eux, des dieux entre eux, et l'issue demeurait fort incertaine. Qui des Grecs ou des Troyens doivent l'emporter sachant que tel ou tel dieu soutient les uns, tel ou tel autre soutient le camp opposé ? C'est toute la beauté du tragique : les ennemis sont d'une certaine façon à égalité, d'ailleurs les revirements sont incessants, les batailles se perdent et se gagnent à l'envi, le vainqueur reste surpris de sa victoire. Changez de monde ; passez au Dieu unique ou à la doctrine centrale divinisée comme dans le bolchevisme. Les ennemis ne sont plus égaux, il y a les croyants et les infidèles, la victoire des croyants peut tarder mais elle est acquise, elle est nécessaire, inéluctable. Les ennemis ne sont plus seulement des ennemis mais des sous-hommes, des hérétiques, des mécréants, voués de toute manière à des châtiments terribles dans l'au-delà, du moins pour les globalismes religieux. L'Autre n'est plus en-face mais en-dessous. L'Histoire n'est plus une succession chaotique de victoires et de défaites, mais un progrès linéaire conduisant très sûrement à l’avènement du Bien unificateur.
L'avènement des universalismes fait courir à l'humanité des risques énormes. Il ne s'agit plus de se battre contre un adversaire aussi redoutable que nous, respectable comme tel, mais d'éliminer un sous-humain deux fois réprouvé, comme ennemi géographique, mais aussi, désormais, comme le représentant d'une doctrine réputé fausse, et, qui plus est, nuisible au genre humain. L'humilité identitaire (on ne sait jamais qui va gagner, les dieux d'en-face étant peut-être plus malins que les nôtres) se voit remplacée par une prétention, une outrecuidance qui peut véhiculer paradoxalement les plus lamentables faiblesses. Le camp du Bien (mondial-sioniste, chrétien, musulman, républicain à la française, communiste à la russe, néolibéral à l'anglo-saxonne, peu importe) devant l'emporter nécessairement au bout du compte, il serait inconcevable de perdre la guerre, impensable de s'affaiblir, voire de disparaître. L'universalisme prédispose donc à toutes les cruautés possibles lorsqu'il est en position de force, et il s'abîme dans la veulerie et la dépression dès qu'il recule.
Pour un Grec ou un Romain païen, il ne s'agit que d'être fort, et de s'entraîner à la guerre, la gymnastique n'excluant pas d'ailleurs les activités intellectuelles. La vie pour un païen se réduit à un vaste affrontement, et l'enfer est sur terre, même s'ils existe de petits paradis terrestres, et le repos du guerrier. Sans avoir lu ni Carl Schmitt ni Julien Freund, le païen vit dans sa chair ce principe si réaliste : Ce n'est pas toi qui désigne l'ennemi, c'est l'ennemi qui te désigne. Pour l'universaliste, avec ou sans Dieu, il ne s'agit plus que de propager un système (à qui on laisse la désignation de l'ennemi), sûr de son bon droit, de sa réussite irrésistible, même si celle-ci est reportée le cas échéant à une sorte de Fin des Temps ou de l'Histoire. Cette idée d'une unification totale du genre humain est tellement irréaliste, grotesque, qu'elle ne peut pas se situer dans l'ordre du rationnel, elle ne peut que se couler dans le millénarisme, dans la croyance en l'avènement inéluctable d'un âge idéal, d'un bonheur définitif... Le triomphe définitif des « bons », l'éradication définitive des « méchants », tout universalisme étant, ontologiquement, manichéen. L'universalisme est, par essence, religieux, voire mystique, même s'il se veut athée comme le bolchevisme ; l'universalisme est croyance, il est foi, il est théologal. Les peuples identitaires, conscients qu'ils sont des peuples avant tout, et non les représentants d'un quelconque système à vocation universelle, ne s'amusent pas à reporter les joies paradisiaques dans un au-delà métaphysique ou dans d'hypothétiques lendemains ; ils savent que c'est ici et maintenant que tout se joue. Les païens, bien entendu, n'ignorent point l'eschatologie comme en atteste le mythe d'Er le Pamphylien qui clôture la République de Platon1, prévoyant une sorte de jugement dernier, distribuant mille ans de repos délicieux ou, au contraire, mille ans de marche forcée dans les épines et la poussière avant réincarnation, mais l'enseignement du mythe reste symbolique, éducatif, il ne s'agit pas d'un dogme. Un guerrier grec ne fonde pas sa vie sur une histoire de randonnée forcée à travers des ronces...
Lorsque Socrate évoque ces légendes grecques, il parle toujours de « fable », de « récit », de « conte », ce qui ne l'empêche pas de saluer leur profondeur intellectuelle ; un mythe résume la condition humaine et sert aussi à l'édifier ; il ne dogmatise pas. Plus proche de nous, l'abbé Loisy, prêtre moderniste excommunié de l'entre-deux-guerres, probablement voué aux flammes éternelles par nos amis cathos-tradis, avertissait déjà que le christianisme sortirait fortement grandi s'il cessait de dogmatiser, si les autorités ecclésiastiques reconnaissaient la part de mythologie chrétienne à l’intérieur même du christianisme. Rien n'est plus fécond, plus instructif, rien ne donne davantage à penser qu'un récit conçu comme un symbole ; rien n'est plus desséchant, plus stérile qu'un récit perçu comme un dogme terrifiant, pris au pied de la lettre, avec des châtiments effroyables, immanents ou post-mortem, pour ceux qui n'y croient plus. Le mythe de Prométhée nous instruit dans la mesure même où nous refusons l'existence absolue de Prométhée, tout en admettant sans réserve son existence symbolique, puisque Prométhée est un aspect de nous-mêmes. L’Église aurait dû traiter ses références exactement comme la philosophie traite les mythes platoniques, en une sorte d'herméneutique humainement acceptable, pour nous rendre plus clairvoyants et plus forts. Elle y aurait gagné considérablement en crédibilité et aussi en puissance. Trop de dogme tue le dogme. Si le christianisme consiste uniquement à beugler que ce salaud de Bouddha crame dans un enfer éternel parce qu'il n'a point eu le bon goût de croire en Dieu, alors le christianisme est non seulement odieux, mais ridicule. Il en est ainsi de tous les universalismes.
Les universalismes se suivent, se ressemblent, ne se ressemblent pas, cohabitent souvent, souvent hostiles, souvent aussi complices ; un clou chasse l'autre, il arrive souvent que deux clous se touchent, ou plusieurs. A l'heure actuelle, trois universalismes, au moins, sont particulièrement à la mode (« tendance », diraient les jeunes gens) : le néolibéralisme à l'anglo-saxonne, le gauchisme culturel (un avatar intellectuellement atrophié du communisme) et l'islamisme en plein essor. Un pays comme la France est ainsi tout aussi capitaliste que néo-stalinien, avec une bonne dose de mahométisme, si l'on en juge par le nombre de mosquées qui se construisent un peu partout. Imaginez une multinationale appartenant à Rothschild ou Soros, administrée par des altermondialistes se réclamant du Che, et dirigée par un P.D.G. d'origine saoudienne sunnite, c'est un peu le profil du monde actuel.... Une sorte de créature à trois têtes « capitalislamogauchiste », pour employer ce terme grinçant popularisé par des auteurs de Riposte Laïque2. Il faut d'ailleurs noter que le premier théoricien de cette triplice mondiale fut Guillaume Faye, un essayiste identitaire bien connu, l'un des premiers opposants historiques à l'universalisme, chose assez rare en France (où le fond de culture catholique prédispose de toute manière à l'universalisme).
1Titre au demeurant mal traduit, « république » étant un terme romain, non grec. On devrait écrire la Politique de Platon.
2On trouve un bon résumé à cette URL :
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