Le complexe de l’enseignant mort derrière son masque
Je me présente : je suis enseignante en maternelle et j'opère sur des enfants de 4 à 6 ans depuis quelques années. J'apprécie cet âge charnière où l'enfant est sorti théoriquement de son égocentrisme primaire et de la phase du non pour commencer à s'ouvrir aux autres, accepter des interdits qui contrecarrent sa toute puissance primaire et qu'il commence à en ressentir du plaisir ... J'ai noté de manière empirique cette phase aux alentours des 5 ans, phase où j'ai pu constater une réelle métamorphose chez certains enfants de mes classes : soudainement ces enfants m'ont semblé éprouver un réel plaisir à participer au monde et ces enfants qui ne souhaitaient au départ que leur bon plaisir - jouer en permanence et frapper tous ceux qui entravaient ce désir - se sont mis à sourire et devenir des élèves prêts à travailler avec la classe.
Et c'était un réel plaisir d'assister à cette mêtamorphose... Je pense que l'avènement de cette métamorphose est en lien bien sûr avec un stade de développement de l'enfant mais ce stade se fait grâce, je pense, à la rupture avec le cellule familiale qui ne suffit plus à l'enfant en terme d'estime de soi. La cellule familiale amène l'amour, le professeur amène l'estime de soi, le moi social, on pourrait dire. Je n'épiloguerai pas dans ce texte sur la différence d'âge quant à la survenue de cette rupture en ce qui concerne les filles et les garçons car tel n'est pas le propos... ni que je me pose en ce moment la question si je ne me suis pas fourvoyée en les incitant à adhérer au monde en leur donnant confiance en ce monde qui n'est pas du tout, mais PAS DU TOUT aujourd'hui moins qu'hier encore, un monde bienveillant et inclusif, pour prendre des mots à la mode dans le milieu éducatif.
Mon propos actuel est de parler du complexe de la mère morte développé par André Green en psychanalyse : il développe l'idée qu'une mère dépressive, appelé mère morte, ne donne plus vraiment l'amour inconditionnel à son enfant et donc que ce dernier ne l'investit plus comme un bon objet et finit par revivre toute sa vie cette perte et à chaque traumatisme dans sa vie, il sombre aussi dans la dépression. ( C'est une simplification de ce qu'il me reste de sa théorie un peu trop "théorique").
Et je me demande si plus tard il n'y aura pas un complexe de l'enseignant mort ... Un enseignant masqué ne peut encourager ces enfants par son sourire, ces enfants qui sont en pleine éclosion de leur estime de soi. Mon sourire est mon arme pour les amener à oser parler en classe, les inciter à s'engager dans une activité, les inciter à me faire confiance. Bien sûr, il y a tous ceux qui vous disent de faire passer ce message par les yeux. On peut faire passer de la connivence dans les yeux mais pour qu'il y ait connivence, il faut un socle commun de complicité antérieure... ou de connaissance commune... Mes cocos sortent de l'œuf, comment créer ce socle commun si je ne peux plus leur sourire ?
Paul Watzlawick dit qu’on comprend mieux un savoir si on a confiance en celui qui le délivre. Et pour moi, le premier pas dans la confiance passe par le sourire. Puis par la voix. Ces deux outils de l'enseignant sont masqués à présent.
Que restera-t-il de cette période ?
On a tous dans la tête un enseignant qui nous a marqué et qui nous a donné envie, envie d’apprendre mais aussi envie de participer tout simplement au monde tel qu’il est, d’en être un rouage. A contrario, on a tous une foule d’enseignants ou d’adultes qui nous ont plutôt dégoûté de participer à ce monde...
J'ai vraiment peur qu'on les dégoûte entièrement de ce monde et de favoriser par ma soumission une vague de suicide ou de dépression de ces enfants qui deviendront un jour grands ... sauf si on trouve un vaccin contre ce monde mort qu'ils doivent intégrer. Un vaccin intelligent, pas leur poison qu' ils souhaitent nous injecter...
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