Le concept de « force faible » ou le nouveau pouvoir des consomma(c)teurs
« La crise des élites comme celle des marques - suivant qu’on s’intéresse aux champs politique ou économique - marque en réalité un rééquilibrage de la balance des pouvoirs au profit des citoyens ou des consommateurs. Il n’y a plus de leaders incontestés, sauf sans doute en Corée du Nord et c’est sans doute là l’aspect le plus positif du phénomène des « forces faibles ». ». Décryptage de Sébastien Durand*, expert en stratégies marketing et communication, que je remercie de m’autoriser à publier son article sur AgoraVox.
Attention, il faut distinguer cette « force faible collective » de la notion d’« intelligence collective » théorisée par Pierre Lévy dans les années 1990 et ressuscitée dix ans plus tard avec le culte du « participatif ». Il n’y a en réalité dans la force faible aucun jugement de valeur, juste la reconnaissance d’une forme de pression qui s’exerce : plus on est nombreux, plus on pèse...
LA FORCE FAIBLE OU LE LOBBYING 2.0
Ainsi, France Télécom - qui est un cas d’école en matière de mauvaise communication institutionnelle en général - s’est encore illustré récemment en réclamant le paiement de factures s’élevant à plusieurs dizaines de milliers d’euros à quelques abonnés qui avaient cru de bonne foi avoir souscrit des abonnements illimités. La mobilisation s’est organisée, principalement sur Internet, et les messages dans les forums et sur les réseaux sociaux ont fait voir rouge aux abonnés d’Orange. L’opérateur historico-monopolistique a eu beau arguer de son bon droit et renvoyer les mécontents à la lecture des petites lignes de leur contrat, il a dû faire marche arrière, annuler les factures et annoncer la mise en place de nouvelles procédures d’alerte quand les téléchargements dépassent un certain seuil. On pourrait aussi citer la loi Hadopi qui entend criminaliser des jeunes qui ne vont pourtant pas cesser pour autant de télécharger des fichiers, l’accès gratuit à la musique leur apparaissant désormais - à tort ou à raison - comme une liberté fondamentale. Il est des victoires juridiques qui sont des défaites morales.
Jadis, quand les sachants s’exprimaient, leur parole était d’or et éteignait la contestation
Mais aujourd’hui, et le web 2.0 y est pour quelque chose, tout a changé. Bon gré mal gré, les entreprises doivent apprendre à faire avec ces consommateurs qui prennent de fait de plus en plus de pouvoir, non pas parce qu’ils sont plus légitimes qu’elles mais parce qu’ils sont plus nombreux. Là est sans doute une clé de la réponse à apporter - par les élites, par les marques - à ce phénomène des forces faibles : ne pas lutter frontalement, ne pas apparaître au-dessus - et donc méprisant - mais à côté... et donc en fait dedans et dehors à la fois.
SAVOIR DOSER LES FORCES FAIBLES
Concrètement, si vous voulez mettre cette idée des forces faibles au coeur de votre démarche marketing et communication, cela ne passe pas simplement par une meilleure veille ou une présence renforcée sur les réseaux sociaux. Cela implique également deux conséquences très pratiques :
- La première est l’abandon du consensus mou qui gangrène nombre de conseils d’administration : à vouloir plaire à tout le monde en général, on ne plait à personne en particulier. Il faut donc ré-apprendre à cliver. C’est comme en politique. À part dans la Tunisie de Ben Ali, on n’est pas élu avec 100% des voix. La victoire revient à celui qui convainc un électeur - un seul - de plus que son adversaire ;
- La seconde est que les entreprises doivent accepter la perte de contrôle qu’elles avaient jadis sur leurs produits ou leur image et la remplacer par une capacité à influencer et à renforcer leur réputation. Dans le débat de l’été dernier sur les iPhones/iPods qui « explosaient » à la figure de leur propriétaire, ce qui a sauvé Apple, c’est la mobilisation rapide de ses fans, forces faibles qui ont crû exponentiellement plus vite que celles déployées par ses détracteurs... à moins qu’un « chimiste de talent » n’ait su agiter ces particules dans le bon sens ! C’est en tout cas ce que certains ont écrit, le refus de toute communication officielle de la Pomme ne signifiant nullement qu’elle n’agissait pas en coulisse.
Les entreprises du monde qui vient doivent apprendre à manier les oxymores à leur tour et répondre aux « forces faibles » par... un « pouvoir doux ». Ce fameux soft power qui sait créer l’émotion, donc le désir, et qui est l’une des clés du succès du storytelling.
- *Sébastien Durand, expert en stratégies marketing et communication, utilise le storytelling (ou communication narrative) afin d’aider les entreprises à vendre plus et mieux, à mobiliser leurs collaborateurs et à entretenir des relations à long terme avec leurs consommateurs. www.leStorytelling.com. Découvrir "La newsletter du storytelling" de décembre 2009 : http://lestorytelling.com/newsletter/wp-content/uploads/2009/11/newsletterstorytellingdecembre2009.pdf
Variations sur le même thème, à lire dans Les Di@logues Stratégiques :
- "La révolte du Pronetariat", Joël de Rosnay et Carlo Revelli (18 octobre 2005) : http://www.lesdialoguesstrategiques.com/index.php?option=com_content&task=view&id=31&Itemid=32
- "Des Mass média aux média des masses" (mai 2005) : http://www.lesdialoguesstrategiques.com/index.php?option=com_content&task=view&id=35
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