Le congrès de Reims ou la survie précaire des vieilles pratiques
Nous avons vécu trois jours difficiles lors de ce 75ème congrès socialiste. En effet, être délégué d’une fédération socialiste dans un tel climat politique n’est pas chose facile. Alors que nous tous espérions repartir de Champagne avec une nouvelle gouvernance et une ligne politique éclaircie, nous en sortons sans aucune ligne politique ni majorité claires.

La motion E (Ségolène Royal et Gérard Collomb), avec près de 30% des suffrages socialistes était arrivée en tête des six motions le 6 novembre dernier, avec 4 points d’avance sur la seconde. Pourtant, il lui a été très clairement refusé de rassembler. Dans la nuit des résolutions de samedi à dimanche, les motions A, C et D ont en effet décidé de ne pas négocier avec le texte politique choisi par le plus grand nombre de socialistes... alors même que tous les gestes avaient été faits : entretiens avec chacun des porteurs de motion, courriers, documents de travail, ouverture de la gouvernance du parti à des membres de chaque courant, etc.
L’argument de l’absence de majorité des motions portées par Ségolène Royal et le Pôle écologique n’en n’est pas un. Certes, il y a 69% des militants qui n’ont pas voté pour elles, mais il y a 75% des militants qui n’ont pas non plus voté pour la motion de Bertrand Delanoë, 76% celle de Martine Aubry et 80% celles de Benoît Hamon et d’Utopia. C’est cela la démocratie. Et n’oublions pas que les 70% qui ont voté un autre texte que le E sont très loin d’être homogènes puisque réunissant la motion la plus à gauche (C) et celle la plus modérée (A) du parti.
Aucune question de fond n’explique le refus d’alliance. La question du MoDem n’est qu’un faux prétexte car la stratégie de rassemblement de la gauche avant toute ouverture sur la base de notre projet n’a jamais été abandonnée. Ici, nous n’avons qu’à rappeler le discours de François Mitterrand à Épinay le 13 juin 1971 : « Nous devons rassembler l’ensemble des forces de gauche (...) puis reconquérir les libéraux (...) qui acceptent comme nous l’héritage démocratique dans le domaine politique, mais qui refusent nos méthodes et nos structures sur le plan de l’économie » ...
La vraie raison, nous la connaissons tous : elle s’appelle Ségolène Royal. Depuis maintenant plus de deux ans, toute une partie de notre formation politique refuse de voir ce qu’elle représente et cherche à la sortir du paysage politique purement et simplement (aidée en cela par l’UMP). Ce changement profond des pratiques politiques qu’elle incarne, la ligne politique nouvelle et rassembleuse qu’elle propose ont tout pour déplaire aux « éléphants » du parti. Le risque pour eux ou leurs anciens disciples, est tout simplement de perdre leur pouvoir local, de perdre un mandat cumulé, de ne plus contrôler les militants, de ne plus « tenir » leur bastion face à d’éventuels nouveaux venus au militantisme. Ils disent ne pas vouloir d’un parti de « supporters », mais ce qu’ils craignent en réalité c’est un parti de masse, vivant, dynamique, moins facile à « verouiller ». Chez Ségolène Royal, tout les dérange : sa façon d’être, sa popularité, sa manière d’aborder de front les sujets, jusqu’à son vocabulaire. Ils rejettent en bloc et avec une étonnante violence cette manière de faire autrement que selon les bonnes vieilles règles de la bonne vieille politique. Leurs petites phrases ont d’ailleurs largement alimenté les médias : « la secte de Ségolène », « Qui va garder les enfants », « ce n’est pas un concours de beauté », etc.
Que l’on nous parle pas de victimisation alors même que les auteurs de ces phrases, parfois prononcées en pleine campagne présidentielle, n’ont jamais exprimé le moindre remords mais n’ont pas manqué d’accuser Ségolène Royal d’être la première fautive et seule responsable de la défaite en 2007... Sans jamais se remettre en question et penser que leurs querelles internes pouvaient donner, encore aujourd’hui face à une droite dure, une mauvaise image de la gauche et flouter encore un peu plus notre message politique.
Que l’on nous parle pas non plus d’inexpérience ou d’amateurisme de l’ex-candidate. Jusqu’à la présidentielle de 2007, elle a tout gagné, et pas dans des circonscriptions acquises. Dans les années 80 elle a pris une circonscription à la droite pour la garder depuis, à gauche. Plus récemment elle a gagné la région Poitou-Charentes à l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin. En obtenant 47% à la présidentielle à partir d’un total cumulé de la gauche à 36% elle a su fédérer les gauches comme seul François Mitterrand (et dans une certaine mesure Lionel Jospin) avant elle avait su le faire, tout en parvenant à convaincre bien au-delà. Mise à l’écart du parti dès juin 2007 par de sombres tactiques politiciennes, des ambitions mal avouées, des rancunes tenaces et des jalousies déplacées elle n’a jamais cessé de combattre... la droite. Pendant que les autres la combattait elle, elle combattait nos ennemis communs : Nicolas Sarkozy et sa majorité. Jamais elle n’a abandonné ses électeurs, jamais elle n’a cédé au découragement, jamais elle ne s’est faite prier pour être de toutes les luttes.
En réalité, le seul fondement valide d’une alliance des porteurs des motions A, C et D qui ont de vraies divergences sur le fond (davantage qu’avec la E qui se veut centrale au sein du PS) était le goût de certains de leurs porteurs pour ces pratiques politiques archaïques et parfois une inquiétante déconnexion des réalité de la société française d’aujourd’hui. Même si elle a malheureusement été tentée, cette alliance n’a pas eu lieu. Les militants encore lucides n’ont pas accepté ces arrangements absurdes sur le dos du débat de fond.
L’enjeux est de taille, la question n’est pas anodine, c’est la nature même du projet socialiste qui va se dessiner jeudi, c’est sa modernité, son retour au réel, sa projection dans l’avenir par son retour à la source de tout notre engagement : la lutte quotidienne de nos concitoyens pour plus de justice, plus d’égalité, plus de liberté et plus de fraternité. Le projet dépersonnifié de Ségolène Royal mettant en avant une équipe autour de Vincent Peillon va dans le bon sens et permettra ce renouvellement et cette clarification tant attendus.
Nicolas Cadène
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