Le Connard à costar
Une espèce protégée : le Connard à costar.
Le Connard à costar est craintif, il ne peut vivre qu’à l’abri des grands, des puissants dont il imite même les tics les plus anodins, pour complaire, pour faire la cour, pour se parer de lambeaux d’une gloire qu’il ne peut qu’admirer. Ses plaintes se font entendre jusque tard dans la nuit, il pleure le caractère miséreux de son destin, pas assez intelligent pour créer le Beau mais assez pour se rendre compte que beaucoup d’autres que lui y arrivent.
Pourtant tout le prédestinait à une ’carrière’ comme disait la dense parentèle qui le poussait à être le premier en tout. Dès la plus tendre enfance : le premier à babiller, à sourire, à se mettre sur ses petites jambes. Le premier à dire papa, à tracer les lettres de l’alphabet dans le sable avec son petit doigt, le premier à lire, le premier à écrire, le premier à faire des poèmes, à faire rire la petite voisine....
Les études, l’éducation, les relations, les loisirs doivent protéger le Connard à costar de toute mixité avec les gens-qui-ne-sont-rien et qui ne peuvent que critiquer tout ce qu’ils ne sont pas capables de faire eux-mêmes : diriger, guider, commander, esquisser un paraître. Pourtant que de bienfaits dispensés par la race des gens-qui-savent-tout-mieux-que-les-autres. Les allocations, les primes, les subventions, les exonérations de ’charges’, les minima sociaux, les allègements... et tant d’autres faveurs accordées aux démunis et prélevées sur les innombrables petits, tout ceci constitue à n’en pas douter une preuve de la très sincère commisérations des élus envers ceux qui n’ont pas hérité ni de leur père ni de Dieu cette sagacité qui les tire irrésistiblement vers le haut de l’affiche, là où tous peuvent les regarder, là où tous peuvent les admirer ; là où ils peuvent faire croire à l’idée qu’ils sont indispensables à d’autres qu’à eux-mêmes.
Pour arriver à ces sommets, le chemin est balisé et il ne nécessite que de ne pas s’en écarter. D’abords s’imprégner de l’idée que Dieu ou la Nature a fait de vous un être d’exception, qui ne peut donc qu’avoir un parcours de vie d’exception.
Le premier à connaître les joies du sinus, du cosinus, de l’arc-tangente, des équations du premier puis du deuxième degré, à pouvoir discerner toutes les subtilités des équations devenues différentielles linéaires ou pas. Premier au bac ou peu s’en faut tant les choses allaient de soi. Premier inscrit dans une classe préparatoire prestigieuse d’un lycée prestigieux. La gloire d’avoir réussi la plus grande des Grandes Ecoles, celle qui ne rassemble que des premiers. Des jeunes adultes d’une érudition inégalable qui leur permet de prendre de haut un collègue moins bien en cour, qui leur permet également d’affirmer que des évidences fausses peuvent être vraies puisqu’ils l’affirment, les autres étant des béotiens poussés par des caprices de chercheurs peu doués.
Le Connard à costar qui réussit devient certes une majesté mais aussi un rebelle. Il combat courageusement non pas pour les démunis trop frustres à ses yeux mais contre les moeurs héritées de la morale bourgeoise. Il pourfend en conséquence avec cruauté un milieu dont il est le fruit. Anarchiste de salon peut-être s’il ne refusait pas avec véhémence d’être assimilé de près ou de loin à toute étiquette bien que toutes celles de la préséance lui conviennent. Rebelle d’apparat pourraient aussi convenir si besoin était mais nul n’impose un quelconque besoin à sa majesté lui-même.
Le Connard à costar est donc chef aussi naturellement que le paon fait la roue, sans savoir comment, sans se demander pourquoi, ni pour quoi. Le Connard à costar pense sincèrement, bien que le mot sincérité ne fasse pas partie de ce qu’il est convenable d’utiliser dans le monde où il évolue, le Connard à costar pense donc que s’il optimise son bien être, un irrésistible ruissellement apportera aux plus humbles ces jouissances inutiles dont ’on’ pense qu’ils sont friands. Les gueux devront de toute façon s’en contenter incapables qu’ils sont de donner un autre sens à leur vie.
Le mépris, le fait de considérer autrui comme indigne d’attention, n’est pas volontairement affiché par les Connards à costar, il est consubstantiel à leur être. Ce sentiment qui élève au-dessus des autres n’est que la constatation d’un état de fait, dans les termitières aussi les soldats et les ouvriers ne peuvent pas voler. Ce manque d’estime pour les illettrés, les sans-grades, est une conséquence de leurs propres manquements aux savoirs, à la culture. La nouvelle justice divine ne consiste pas à offrir les mêmes règles à tous mais à faire en sorte que les uns puissent se mettre au service des autres afin de former société dans la fraternité.
Le Connard à costar va ainsi conduire sa vie en conduisant celle des autres. Il est heureux. Il a une, deux ou trois femmes car l’attachement à un couple relève selon lui à un passé forclos, pas dans l’air du temps et trop contraignant pour être moderne. La modernité c’est la licence sans contrainte ! Car qui ou quoi peut contraindre le Connard à costar à part sa propre volonté ? Ce qui nuirait à ses ambitions ? Mais alors ces aliénations ne seraient que temporaires car il accédera immanquablement au firmament, il prendra sa place parmi les étoiles, il sera enfin le seul à briller... Il se débarrassera alors des rivaux, on ne regardera plus que lui : le savant le plus illustre, le poète le plus génial, le politicien le plus visionnaire... Et pour réduire ces manants au néant, il utilisera sa meute de courtisans qui ne savent même pas pourquoi ils partagent cette haine.
Les livres d’histoire les accueilleront quelquefois, mais rarement, en leur sein. Très vite cependant ces mêmes livres ne garderont que les Grands Hommes et parmi eux pratiquement aucun de ceux qui se sont tracés pour eux-mêmes la route de la grandeur. On ne devient pas Grand par ambition...
11 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON