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Accueil du site > Tribune Libre > Le contexte arabe et ses effets sur le partenariat euro-méditerranéen

Le contexte arabe et ses effets sur le partenariat euro-méditerranéen

L’auteur montre les risques d’une réactualisation des contentieux historiques, après la désillusion que provoque le processus de Barcelone, et l’évolution vers l’unilatéralisme, par la mise en oeuvre de la politique de voisinage.

La déclaration de Barcelone (27-28 novembre 1995) s’inscrivait dans une ère de détente, après la chute du Mur de Berlin et les accords d’Oslo. Transgressant le contentieux colonial, ce contexte favorable qui occultait les divisions, les alliances et les mésententes de la Guerre froide, entre les grands acteurs mais aussi entre leurs relais du tiers-monde, faisait valoir, dans l’aire euro-méditerranéenne, « une coopération globale et solidaire, qui soit à la hauteur de la nature privilégiée des liens forgés par le voisinage et l’histoire » (préambule de la Déclaration de Barcelone). La restructuration de l’Europe permettant l’émergence de l’Union européenne, comme acteur dominant sur la scène, il était dans la nature des choses qu’elle se soucie de développer ses relations avec l’aire méditerranéenne, qui constituait sa zone de proximité immédiate et son territoire de manœuvres privilégié, lors de la Guerre froide. Sur la rive méridionale de la Méditerranée, la communauté arabe était sentimentalement unie et politiquement divisée. Fait plus grave, les alignements de la Guerre du Golfe ont dessiné de nouvelles lignes de démarcations, des divisions qui prennent du temps pour se colmater. Saluée par tous, l’UMA restait, bel et bien, une entité virtuelle, une volonté de construction unitaire, qui tardait à se matérialiser. Les asymétries de la genèse (rapports de forces politiques et économiques, définitions différentielles des priorités et des attentes, différentes perceptions et/ou approches des questions du Moyen-Orient) pouvaient constituer des sources de malentendus, sinon compromettre l’action communautaire. Comment garantir alors la pérennité d’un compromis conjoncturel ? Des pesanteurs freinent la réalisation du partenariat, dans ses différents volets barceloniens ou de voisinage. Dans quelle mesure le nouveau contexte arabe exerce-t-il ses effets sur le partenariat ? Le recentrage de l’aire arabe, disons plutôt arabo-musulmane, en relation avec les pôles de tensions, en Palestine, en Irak et en Iran, et le recentrage de l’Union européenne, consécutive à l’élargissement, redimensionnent la Méditerranée, « un ventre mou », au mieux, une frontière symbolique, réactualisant, auprès de certains, les contentieux d’antan. Quel est, dans ce cas, le rôle des représentations, dans l’action politique et dans ce partenariat ambitieux, qui impliquent une vision globale, au niveau d’un destin ? Notre analyse devrait aussi distinguer son impact sur les acteurs et les opinions publiques, dans la mesure où un projet de cette envergure implique nécessairement la conjugaison des actions des différents acteurs. Nous n’en sommes pas là, malheureusement.

 

I- L’Europe et la guerre d’Irak : il n’est guère nécessaire de rappeler des événements connus. Mais les prises de position qu’ils suscitent, même dans les cas où nous avons affaire à une même lecture, comme dans la question irakienne, sont différentes et souvent radicalement opposées. L’expédition américaine en Irak et l’occupation qui s’ensuivit ont certes été dénoncées par l’opinion publique européenne. Ce qui a provoqué un rapprochement conjoncturel entre les opinions publiques, de part et d’autre de la Méditerranée. Mais l’alignement de certains pays d’Europe sur les positions américaines et leur participation à l’expédition, traçant une ligne de démarcation, a mis en échec la politique communautaire européenne au Moyen-Orient. La mobilisation de la France, de l’Allemagne et de la Belgique contre l’engagement de l’ONU dans la guerre, lui ôtant ainsi toute légitimité, accorda un certain crédit à ces Etats, comme acteurs indépendants, durant ce contexte de mésentente. L’autonomie de décision de ces Etats, rejoints par l’Espagne depuis l’accession au pouvoir de Zapatero, et depuis quelques jours par l’Italie, après le départ de Berlusconi, redessinait les frontières des alliances occidentales, au profit d’une mouvance hors guerre. Mais ce ne fut qu’une démarcation de conjoncture, un rejet diplomatique de la restructuration de la carte des intérêts sur la scène moyen-orientale par « l’hyperpuissance ». Tout rentra dans l’ordre, après cette « démonstration des forces » diplomatique. Rappel à l’ordre par le grand frère, mais les tournées de persuasion de Condolezza Rice avaient sans doute négocié aussi des arrangements, érosion de la volonté d’indépendance, après le changement de majorité en Allemagne et les effets de l’élargissement, dans son recentrage de l’UE et sa consolidation du clan des alignés, retour à la « conscience communautaire occidentale » et à l’alliance générique qui la fonde, l’Europe rejoint, progressivement, la stratégie américaine au Moyen-Orient, se démarquant ainsi de ses « juniors partners » maghrébins et de leurs opinions publiques (positions affirmées, au Conseil de sécurité de juin 2004). Fût-elle considérée comme un état de fait, l’occupation américano-anglaise de l’Irak est désormais légalisée. Occultant l’embrasement de la région, la montée des périls par le développement du terrorisme et l’affirmation des ethnies séparatistes, l’Europe soutient, en l’édulcorant diplomatiquement, le projet du président Bush, sur le « Grand Moyen-Orient » et son diagnostic réducteur de la crise, (réunion du G8, juin 2004). Ce qui permet d’occulter les problèmes de l’occupation de l’Irak, du scénario de son démembrement éventuel et de la maîtrise de la zone, en redessinant la carte du Moyen-Orient au profit de certains intérêts bien compris. Ironie du sort, les conseils relatifs à la « bonne gouvernance » occultent désormais les références à la souveraineté nationale, processus conforté par l’omission effective de la condamnation de l’occupation, en Irak et en Israël. Or, les Maghrébins, qui savent ce qu’est une situation coloniale, accordent la priorité à sa disparition. L’occultation de cette donnée par les Establishments européens est une source de malentendus, sinon de discorde.

 

II - Le discours et sa mise en application : Le blocage du processus de la paix et la consolidation effective du clan de guerre, en Israël, par « le nouvel ordre », établi par la guerre d’Irak, n’étaient pas propices au traitement de la question palestinienne. On se borna à organiser les réunions rituelles du Quartet, destinées à entretenir l’espoir. Mais le statu quo se perpétuait, dans l’indifférence quasi générale. De fait, l’Europe semblait s’accommoder de cette situation, s’en remettant au bon vouloir du grand frère. Les élections palestiniennes, dans ce contexte défavorable au clan de la paix mirent en minorité el-Fatah, au profit du parti islamiste Hamas, qui optait pour la résistance. De ce fait, les ennemis du processus d’Oslo se retrouvaient aux commandes, en Israël et en Palestine. « Règne de la contradiction », les Etats-Unis et l’Union européenne, qui recommandaient le processus démocratique au Moyen-Orient, coupèrent les vivres aux nouvelles autorités. Cette mise en otage de la population palestinienne, punie par ce qu’elle avait mal voté, faisait valoir cette contradiction entre le discours démocratique américain, relayé par l’Europe, et son application sur le terrain, concrétisée par ce refus de respecter les résultats des urnes, qui consolidait un acteur dont le désespoir et la désillusion ont favorisé l’émergence. Quelques voix européennes se sont élevées pour dénoncer « le jeu tragique que joue l’Union européenne » et demander la prise « d’une grande initiative diplomatique au Proche-Orient, pour que la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens soit la première étape » (communiqué du Mouvement républicain et citoyen, 2 mars 2006). Mais, faute de consensus, l’Union européenne est, de fait, paralysée dans ce domaine. Ce qui d’ailleurs l’empêche de s’affirmer comme acteur crédible dans l’aire arabe.

 

La mise en application des décisions du Conseil de sécurité relatives au Liban et l’engagement du processus d’évacuation des troupes syriennes rappelaient, s’il en était encore besoin, que les motions du Conseil de sécurité relatives à la Palestine ne suscitèrent guère une similaire volonté d’application. Cette « politique de deux poids, deux mesures » se réalisait dans l’indifférence, sinon dans la complicité diplomatique.

 

L’escalade contre l’Iran et la dénonciation de sa « politique nucléaire », considérée comme source de menaces, en dépit de l’affirmation de ses options civiles, rappellent également cette « politique de deux poids, deux mesures », puisque les Etats-Unis, et les membres européens du Conseil de sécurité, secondés par l’Allemagne, s’accommodent d’une vision partielle des sources de menaces nucléaires au Moyen-Orient. N’aurait-il pas été plus sage et, en tout cas, plus crédible, de mettre sur pied, une stratégie de « dénuclérisation » de l’ensemble du Moyen-Orient, dans le cadre de cet ordre qu’on se propose d’établir dans l’aire arabe ?

 

 

Conclusion : Est-ce à dire que la réactualisation, par le nouveau contexte géopolitique arabe et méditerranéen, des énoncés anciens : Occident/monde musulman, sinon chrétienté/islam, ou jihad/guerre sainte expliquent, du moins au niveau des opinions publiques, cette culpabilisation réciproque des partenaires de la binarité Europe-aire arabe ? La tournure des événements et ses faits marquants : tragédies palestiniennes et irakiennes, obsessions sécuritaires européennes, campagnes contre l’immigration, recherche d’un ennemi de compensation, après la fin de la Guerre froide, discours de refoulement de la Turquie de l’Europe ont, certes, de part et d’autre de la Méditerranée, favorisé les perceptions essentialistes, l’affirmation des espèces génériques, le rappel récurrent des matrices. Huntington, conforté par les extrémismes et dérives occidentales et orientales, a bel et bien réussi à mettre à l’ordre du jour « le choc des civilisations », la guerre entre les espèces. Mais cette composition de la toile de fond conflictuelle ne constitue guère, selon nos vues, le facteur déterminant. Tout juste peut-elle contribuer à instaurer un climat de méfiance et susciter des inquiétudes. Elle ne concerne pas, d’après nos appréciations, les acteurs du partenariat et les opinions éclairées européennes et arabes. Mais soyons vigilants, car elle peut exercer son impact sur les majorités silencieuses. Fait d’évidence, l’Union européenne, réintégrant son alliance générique, n’est plus en mesure de s’ériger en acteur autonome, susceptible de corriger les décisions unilatérales.

 

La dépréciation du partenariat, ou du moins l’usure qui l’affecte, s’expliquerait plutôt par la désillusion des opinions publiques, par la consolidation du « mur méditerranéen », la pesanteur qui ralentit les actions communautaires et l’opposition désormais manifeste entre les priorités identifiées par les différents partenaires. Pour les pays du Sud, « l’aire de prospérité partagée » de Barcelone a été oubliée, ainsi que l’idéal-type de co-développement et la mise en œuvre d’une politique ambitieuse et solidaire de rapprochement des peuples, dans le cadre de la réalisation d’un destin prometteur.

 

Un analyste européen lucide, proche et solidaire du Sud, tente ainsi d’expliquer caricaturalement la politique de l’Union européenne vis-à-vis des pays arabes : « Nous n’avons pas de financement à vous accorder, mais nous pouvons vous associer à la protection et à la fermeture de nos frontières. En contre-partie, nous pouvons vous donner des conseils, à savoir la bonne gouvernance ».

 

Autre explication réductrice certes, mais qui permet de présenter une certaine perception populaire du partenariat, par cette dialectique « du pont et des barbelés » :

 

« D’un côté, il y a la volonté de faire de la Méditerranée un "pont" entre le Sud et le Nord, et de l’autre, il s’agit de justifier l’existence de barbelés pour empêcher que ce "pont" ne soit trop fréquenté par des candidats à l’émigration vers l’Europe. C’est là toute "l’ambiguïté" du partenariat ».

 

(site rfi, http://www.rfi.fr/actufr/articles/071/article_40049.asp)

 

 

L’analyste avisé doit prendre la juste mesure des actions entreprises, tout en constatant qu’elles sont bien en deçà des attentes et des engagements pris à Barcelone. Mais la sortie de l’impasse implique une meilleure prise en compte des attentes des différents partenaires, pour corriger cette direction asymétrique de l’action de l’Union européenne, que privilégie désormais la nouvelle politique de voisinage, c’est-à-dire les discussions en ordre dispersé, autre forme de l’unilatéralisme, par rapport au multilatéralisme qu’incarnait le processus de Barcelone.

 

 

Professeur Khalifa Chater

 

Vice-Président de l’AEI

 

Séminaire L’Union européenne et le Maghreb, entre le partenariat et politique de voisinage

 

(AEI, Tunis, 22-23 mai 2006).

 


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5 réactions à cet article    


  • Marsupilami (---.---.184.89) 24 mai 2006 13:37

    Ouaf !

    Solide langue de bois universitaire et élitiste. Le réel est ailleurs. Mais le site de l’auteur fait très Star’AC pipole...

    Houba houba !


    • caramico (---.---.227.48) 24 mai 2006 16:13

      Beau site, éclairé par des étoiles... Beau texte réaliste. L’opinion publique européenne n’est pas toute entière manipulée par ses dirigeants et ses médias.


      • Yves (---.---.66.251) 26 mai 2006 14:06

        Bonjour ,

        - Article approprié à l’actualité sur le Proche-orient ...

        - Ehud OLMERT ret revenu de sa visite à WASHINGTON , en se déclarant « ... très très satisfait ... » de l’opinion de George W. BUSH ... , qui a déclaré :
        - « ... Je crois que le premier ministre OLMERT convient qu’un accord définitif négocié sert mieux les Israéliens , les Palestiniens et la cause de la Paix . Le Hamas doit faire un choix stratégique pour la Paix ... »
        - Ehud OLMERT a répondu qu’il est prêt à négocier avec le Président Mahmoud ABBAS , qu’il qualifie de « ... personne authentique et sincère ... » .
        - En suite de quoi , le Président Mahmoud ABBAS et le Premier ministre Ismaïl HANIYEH ont ouvert un dialogue national interpalestinien ............ , dans le cadre duquel Mahmoud ABBAS a décidé d’organiser un référendum national , dans 40 jours , sur la base d’un document élaboré conjointement par des personnalités du FATAH et du HAMAS , prisonnières en Israël , document qui propose en 18 points la création de l’Etat palestinien dans les territoires occupés en 1967 par Israël , savoir la bande de GAZA , la CISJORDANIE et Jerusalem Est comme capitale ......... , c’est à dire , sauf erreur , la fameuse « feuille de route » .
        - Ismaïl HANIYEH a déclaré à ce sujet : « ... Notre réunion , aujourd’hui , a pour objectif de cimenter notre unité nationale . Je promets à nos héros prisonniers que nous ne vous ferons pas souffrir avec des luttes entre palestiniens , nous avons des différends avec l’occupant israélien mais pas avec nos frères ... »
        - Le Président du Parlement palestinien a déclaré que le HAMAS accepte l’idée du référendum , en ces termes :
        - « ... Revenir devant le Peuple est l’un des principes les plus importants de la démocratie ... »
        - Mahmoud ABBAS a , quant à lui , déclaré :
        - « ... Pourquoi faut-il que nous combattions alors que nous sommes face au bien plus grave et bien plus large problème posé par l’occupation israélienne ... »

        - DONC ... , tout devrait aller pour le mieux ........

        - MAIS , voilà que , simultanément , on apprend ( le Canard Enchaîné du 24 mai 2006 , page 3 ) que .......... l’Administration BUSH prépare son « revirement » sur le conflit israélo-palestinien ................... , le représentant de la FRANCE à l’O.N.U.- Rochereau de La SABLIERE - ayant informé l’Elysée et le Quai d’Orsay que son homologue américain - John BOLTON - venait de décréter que le « QUARTET » ( O.N.U. , U.E. , RUSSIE et U.S.A. ) n’avait plus son mot à dire sur le conflit et que la « feuille de route » est désormais lettre morte .........
        - Parallèlement , une proposition de loi « contre le terrorisme palestinien » ( n° HR4681 ) est soumise à la Chambre des représentants ... , interdisant notamment toute aide directe à l’Autorité palestinienne ... et qualifiant les territoires palestiniens de « sanctuaires terroristes » ( parce que l’IRGOUN et ses attentats aveugles et ciblés contre la population civile et l’Administration britannique , ce n’était pas du terrorisme ........ , bien sûr que non ... !!! )
        http://www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=CAP20060508&articleId=2408

        - La FRANCE a réagi aussitôt en déclarant , par le porte parole du Quai d’Orsay , que la « feuille de route » , toujours soutenue par le « QUARTET » , reste le « ... document de référence ... » pour la Paix au Proche-orient et « ... qu’une frontière définie unilatéralement ne pourrait pas faire l’objet d’une reconnaissance internationale ... , toute initiative de paix doit s’inscrire dans cette démarche , seule capable d’amener israéliens et palestiniens à la négociation ... »

        - Le Premier ministre Ehud OLMERT doit venir en FRANCE à la mi-juin ........................................


        • Yves (---.---.66.251) 26 mai 2006 14:10

          C’est vraiment curieux cette façon d’amputer des coordonnées de sites ..........

          - Donc :
          http://www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=CAP20060508&articleId=2408


        • Yves (---.---.66.251) 26 mai 2006 14:22

          - Soit il y a une « couille » dans le fonctionnement du Forum pour l’affichage des textes ... , soit c’est la « modération » ..........

          - Donc , pour lire ce qu’il en est du projet de loi américaine n° HR4681 soumis à la Chambre des représentants , cité au dessus , vous vous rendez sur le site « Mondialisation.ca » ( Centre de recherche sur la mondialisation ) , et vous cherchez l’article du 8 mai 2006 intitulé « ... Etats-Unis : une loi d’annihilation de la Palestine ... »

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