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Accueil du site > Tribune Libre > Le CPE : contrat pour les jeunes ou contrat pour les entreprises (...)

Le CPE : contrat pour les jeunes ou contrat pour les entreprises ?

Le CPE, outre qu’il est un contrat pour les jeunes, est surtout la deuxième pierre (après le CNE) dans la mise en place de la flexibilité du travail. Il permet de légaliser des pratiques courantes dans les entreprises.

Après avoir longtemps hésité, et à la veille de la manifestation anti-CPE, j’ai quand même décidé d’ajouter ma pierre à l’ensemble des articles déjà parus sur le sujet. Au-delà des arguments de base des uns des autres pour ou contre le CPE, il est intéressant de se pencher sur la signification de la mise en place de ce type de contrat, après le CNE, et avant les prochaines banderilles posées dans le droit du travail.

Le phénomène des consultants

Tout d’abord il est important de se rendre compte qu’aujourd’hui, les entreprises sont à la recherche permanente de la flexibilité. Ici, je ferai une petite parenthèse pour essayer de détailler le phénomène assez peu connu des consultants, en utilisant mon expérience personnelle.

Je suis ingénieur dans une entreprise de taille moyenne (2000 employés en France, pour environ 4000 dans le monde) opérant dans le domaine du développement informatique. Depuis près de quinze ans que je travaille dans cette entreprise, j’ai été frappé par le recours croissant aux « consultants ». Il est peut-être souhaitable que je rappelle ici la mission d’origine d’un consultant : les consultants sont censés permettre à une entreprise d’effectuer une tâche ponctuelle hautement spécialisée dans laquelle l’entreprise n’est pas spécialisée, et n’entend pas l’être. Par exemple, la mise en place d’un logiciel de paye informatique répond parfaitement à ce critère, l’entreprise ne peut le faire seule et n’a aucun intérêt à embaucher des personnes en CDI pour effectuer cette tâche.

Une fois le projet fini, la mission des consultants sera achevée, et ils seront affectés à une autre mission dans une autre entreprise. Le droit du travail est d’ailleurs très clair sur ce point, le contrat de consultant (signé avec une entreprise et non avec une personne) doit stipuler très clairement la mission à effectuer ainsi que sa durée. Si le renouvellement d’une mission est autorisé, il est limité, ainsi que la durée totale de la mission. Il se trouve que, dans la plupart des sociétés de haute technologie, le nombre des consultants est allé croissant au cours des dix dernières années.

Une illégalité organisée

Ces sociétés contournent en fait la loi, et dans de nombreux cas, les consultants travaillent depuis plusieurs années, en effectuant exactement la même tâche, ce qui est en contradiction totale avec la loi. Dans mon entreprise en particulier, il n’est pas rare de voir un service qui fonctionne avec 80% de consultants et 20% d’employés permanents, cette situation n’étant pas temporaire, mais clairement établie. L’entreprise sait très bien qu’elle enfreint la loi, puisque nous avons, lorsque nous établissons un contrat de consultant, obligation tacite de ne pas utiliser certains vocables dans l’établissement du contrat de mission (par exemple, le terme de support est prohibé car il réfère à un emploi a priori permanent). Dans d’autres entreprises que je connais, des dispositions précises ont été prises pour pouvoir éviter toute assimilation d’un consultant à un employé permanent (par exemple, la non-présence de la personne dans l’annuaire d’entreprise, etc.). Il est à noter qu’un consultant coûte entre 400 et 600 euros par jour, en moyenne, à l’entreprise ; ce qui est beaucoup plus cher qu’un employé permanent (pour les profils que nous employons, le coût salarial pour l’entreprise est de l’ordre de 200 euros par jour).

La flexibilité avant tout.

Ce que les entreprises achètent à ce prix-là, c’est la flexibilité : effectivement un contrat de consultant peut-être rompu du jour au lendemain sans aucun problème. Et j’ajoute que cela ne relève pas du fantasme ; après le 11 septembre 2001, le secteur aérien, auquel notre entreprise est très liée, a subi une baisse d’activité d’environ 30%, qui a perduré quelques semaines, et il a fallu plus d’un an pour retrouver le niveau d’activité d’avant les tristes évènements de New York. A la fin du mois d’octobre 2001, près de 150 contrats de consultants étaient rompus (près de 10 % de l’effectif de l’époque). A la suite de cela, l’année 2002 a été une année faste, au cours de laquelle nous avons enregistré nos bénéfices les plus élevés. Les consultants ont été utilisés, non pas pour sauver l’entreprise de la faillite (l’entreprise était assez solide pour encaisser le coup), mais pour maintenir sa marge bénéficiaire.

La légalisation d’une pratique courante

Ce que le gouvernement offre aux entreprises, avec le CPE, c’est la possibilité d’avoir cette flexibilité à un coût bien inférieur (et dans la légalité). D’autre part, il est évident que les personnes embauchées en CPE seront, avec cette épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, des employés bien plus dociles que celles embauchées en CDI.

De plus, c’est une arme à répétition car, et cette information est assez peu propagée : « En cas de licenciement durant ces deux premières années, un nouveau CPE entre le même employeur et le même salarié pourra être conclu après un délai de trois mois à compter du jour de la rupture du précédent contrat »[1]. Autrement dit, on offre à l’entreprise une possibilité d’organiser la flexibilité (avec en prime la docilité) du travail, sans aucune contrepartie. Il y a gros à parier qu’après quelque temps, les entreprises s’organiseront pour avoir un volant permanent de 10% à 20% de CPE, pour pouvoir assurer la flexibilité. En plus de ce cadeau, elles ont également des exonérations de charges sociales, décidément c’est Noël avant l’heure, il fait de plus en plus doux être patron en France de nos jours.

L’avenir le montrera, mais il y a gros à parier que l’impact sur l’emploi sera globalement assez mineur, en revanche le paysage des entreprises va sans doute changer, et si jamais le gouvernement réussit à maintenir sa réforme, il est probable qu’une autre tentative sera faite pour transformer les CDI, ainsi il n’y aura même plus besoin d’organiser le roulement des CPE.

Le grand bond en arrière

Nous n’assistons pas aujourd’hui à la mise en place d’une réforme pour les jeunes, mais plutôt à une libéralisation du marché du travail, à l’image de ce qui a été fait dans les pays anglo-saxons, avec des résultats plus que controversés (voir l’excellent article d’Anthony Meilland sur ce même site : http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=7406).

Autrement dit, la question n’est pas : sommes-nous pour le CPE ? Mais plutôt : sommes-nous pour le libéralisme économique ? Nous sommes en plein dans le « grand bond en arrière » très bien décrit par Serge Halimi[2]. Il ne s’agit pas ici de dire que tous les dirigeants d’entreprise sont des salauds, mais simplement de faire comprendre qu’ils obéissent aux règles qui leur sont données. Celles-ci aujourd’hui visent principalement à assurer un minimum de 10 à 15% de rentabilité annuelle aux actionnaires[3], ceci au mépris de l’impact sur les populations. Les dirigeants qui y réussissent sont grassement récompensés[4] ; pourquoi changeraient-ils d’attitude ?

En conséquence, nous retournons à l’époque de ce qu’on a appelé le capitalisme sauvage, dans lequel l’employé n’est pas considéré comme une personne mais comme une marchandise. Si nous voulons changer la situation, il faut changer les règles du jeu, et celles-ci doivent être édictées par les politiques ; l’entreprise n’est pas en dehors de la société, et elle doit répondre de son fonctionnement devant la société. Dans presque tous les pays, aujourd’hui, les politiques agissent en suiveurs de l’économie, alors que ce devrait être eux qui font les règles.

Je ne sais pas quel type d’action peut être mené pour enrayer la machine libérale. Rejeter le CPE est certainement une première étape, limiter les dégâts en évitant le retour de ce gouvernement, une autre. L’opposition actuelle nous a déjà montré qu’elle allait également dans le sens du libéralisme, mais elle reste sans doute le moins mauvais choix car sinon, que reste-t-il ? Malheureusement pas grand-chose, si ce n’est des extrêmes que personne ne souhaite voir revenir. L’urgence est à la définition d’un autre projet de société, en arrêtant de penser que le système capitaliste est le seul viable, avec le sempiternel argument sur le système soviétique et son échec. D’autres pistes existent sans doute, mais pour les trouver, il faut les chercher...



[1] Non, non, cela ne vient pas d’un tract de la CGT mais du Figaro du 21/02/2006.

[2] Le grand bond en arrière, Serge Halimi chez Fayard.

[3] Depuis 2001 les dividendes versés aux actionnaires des grandes entreprises ont été multipliés par 2,5 (France Inter 06/03/2006).

[4] Dans mon entreprise, au cours des 4 dernières années, les rémunérations des cadres dirigeants (12% des employés) ont progressé de 35%, les bénéfices de 40% et les rémunérations du reste du personnel de 5%.


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6 réactions à cet article    


  • Yann Riché Yann Riché 8 mars 2006 10:47

    La conclusion de votre article montre bien les limites actuelles de la gouvernance en France et ailleurs.

    Le choix ou non du libéralisme est à mon sens dépassé. Il est indispensable aujourd’hui d’assumer pleinement le libéralisme et d’en comprendre ses limites (phénomènes de concentration, délocalisation et financiarisation de l’économie) pour apporter de nouvelles réponses.

    Le débat doit tourner sur la défense de l’emploi au sens général (plus d’emplois, moins de temps partiels...) plutot que de s’attarder sur la défense de son emploi.

    Le droit du travail est complexe, à ce titre le CPE créé une nouvelle niche, un « truc » en plus mais pourquoi faire ? Là je m’interroge, ce CPE comme le CNE ne permettent pas de simplification du droit du travail et dans tous les cas licencier sans motif me parait aller à l’encontre du droit du travail en général.

    Pourtant l’intention est bonne car la création des richesses passe par les TPE et PME qui grossiront et pas par les multinationales qui ont en point de mire des marchés beaucoup plus interessants (en terme de croissance) que le marché européen.

    Les différents responsables des organisations patronales vous le diront la France manque de main d’oeuvre qualifiée, d’où la mesure sur l’apprentissage à partir de 14 ans, mais aussi de voir les « employés » s’orienter vers des formations continues qualifiantes.

    Donc rejeter la machine libérale, alors que l’économie est ouverte me semble être une utopie. Il y a une réalité que chacun appelle néo-libéralisme ou ultra-capitalisme qu’il faut réguler, mais confondre libéralisme (économie de marché et liberté d’entreprendre) avec les dérives que nous vivons actuellement ne permet pas d’établir un dialogue serein entre les Français pour donner une nouvelle voie à notre pays.

    L’entrepreneur est créateur de richesse et donc d’emploi et c’est là que tout se joue.


    • (---.---.38.140) 8 mars 2006 12:23

      La droite n’est pas là pour faire du social !!! ce n’est pas son role !!! Elle est au pouvoir !!! La loi a été votée !!! Donc affaire classée !!!


      • Julien Arnoult (---.---.225.234) 10 mars 2006 15:42

        Si je trouve pertinent la première aprtie de votre article, sur les « consultants », dont les abus que vous décrivez relèvent de la sous-traitance, je trouve votre seconde partie, avec dommage, plus démagogique et simpliste.

        Il ne s’agit pas, comme l’a mentionné Yann Riché dans sa réaction à votre écrit, d’être pour ou contre le libéralisme (libéralismes économique, social, et politique avec le mode représentatif et la supériorité de l’Etat de droit et de la législation sont un tout indissociable), mais de quelles règles nous avons besoin.

        Je veux bien qu’il faille assurer 10 à 15 % de rentabilité aux actionnaires, mais sachez que la plupart des entrepreneurs de ce pays ne font 10 à 15 % de rentabilité.

        Ce qui me permet de faire le lien avec le type d’entrepreneur et d’entreprise. 91 % des entreprises en France sont des TPE (moins de 10 salariés) dont les actionnaires, pour en pas dire l’unique actionnaire, n’est ni plus ni moins que le fondateur, c’est à dire la personne qui a pris le risque de créer et qui y a investi son argent personnel qu’il a gagné tout comme n’importe quel employé de ce pays à la sueur de son front. Celui qui s’il perd tout, perd son travail, ses économies, et se retrouve sans indeminité chômage. Est-ce de cet actionnaire dont vous parlez ? Est-ce du dirigeant-actionnaire d’un commerce telle une boulangerie (qui travaille toute la nuit) ? Est-ce de celui qui a investi son épargne dans des produits d’assurance-vie, en la plaçant (en escomptant des bénéfices à terme... toujours) dans des valeurs mobilières c’est à dire des actions ou des fonds d’actions qui invstissent dans de grandes et moyennes entreprises côtées) ? Ce dernier n’est ni plus ni moins que le travailleur lambda.


        • (---.---.43.89) 10 mars 2006 16:15

          Re :« affaire classée ».En Territoire Francophone example Belgique], France etc. ce que m’agasse est de placer dans les « Trinunals du Travail » une majorite des juges de la soi-disante droite(chez les ridicules Prud d’Hommes l’UMP a deja ca) des Entrepreneurs(Ingenieurs de Hard- & Software etc. ).C’est ca. CPE est rien d’autre que les contrats flexibles depuis 2o ans connu dans l’industrie informatique. Les risques de ma societe sont diminues considerablement si je peus limoguer un « temporaire & CPE » a court terme.


          • CARNAC (---.---.7.104) 12 mars 2006 00:07

            pour le CNE je vous renvoie à l’arrêt du conseil d’état Section du contentieux Nos 283471,284421,284473,284654,285374 Séance du 14 octobre 2005

            « l’ordonnance attaquée n’a pas exclu que le licenciement puisse être contesté devant un juge, afin que celui-ci puisse vérifier que la rupture n’a pas un caractère abusif et n’est pas intervenue en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure disciplinaire et de celles prohibant les mesures discriminatoires ; »

            autrement dit les employeurs s’exposent à de lourdes désillusions en pensant que le CNE et maintenant le CPE leur apportera de la souplesse : cela leur apportera surtout beaucoup plus de contentieux prud’hommaux...

            A la sortie les risques juridiques de ces deux contrats trop vite élaborés sont énormes pour les entreprises et de nombreux dossiers sont en cours dans les conseils de prud’hommes.

            La vérité c’est que ces deux contrats seront rapidement inutilisables ....

            ensuite sur le plan économique le CNE n’a pas tenu ses promesses ; le CNE n’a pas généré l’embellie d’une reprise forte de l’emploi qui était espérée : 68000 emplois créés en 2005 en France c’est très peu par rapport à l’espagne par exemple 190 000 emplois dans le même temps . donc le CNE n’est pas la bonne réponse pas plus que ne le sera le CPE.

            C’est un nouveau contrat social qu’il nous faut qu’on l’appelle flexisécurité , parcours professionnel sécurisé : dans tous les cas c’est
            - plus de concertation entre organisations patronales et organisations de salariés , tous les patrons sont loins d’approuver CNE et CPE et pour certains annoncent déjà qu’ils ne les appliqueront pas
            - face au capitalisme sauvage plus d’état
            - face à la concurrence mondiale plus d’europe.

            Si nos gouvernants actuels pensent se débarrasser du problème CPE CNE par une fin de non recevoir , ils se trompent lourdement .

            Nos enfants perdent espoir et quand on n’a plus rien à perdre .... je serais avec eux dans la rue le 18 mars et vous ??


            • françois (---.---.196.100) 14 mars 2006 23:39

              Désolé de voir que les jeunes sortant avec un BTS un DUT une licence professionnelle ne pourront pas profiter du CPE parce que la majorité des étudiants de fac (non concernés par le problème puisqu’ils sortiront après 25 ans) finiront, je le crains, par le tuer dans l’oeuf. Et le PS contribue à ce saccage.... Je m’étonne que le CNE est passé comme une lettre à la poste (presque) il y a 1 an et qu’on refuse le CPE qui est pourtant plus intéressant. Je m’occupe de chercher des emplois à des BTS et Licence pro (site : http://perso.wanadoo.fr/bernard.kempf/photonique/OffresEmploi.htm). Que trouve-t-on pour ces jeunes : des CDI où on exige une l’ancienneté de 2, 3 ans ou 5 ans, beaucoup de CDD, quelques CNE, beaucoup d’intérims. Puisque le CDI est inaccessible le plus souvent pour les débutants, il faut se rabattre sur le CDD voire des stages à répétition. Le CPE est un CNE amélioré. C’est un petit progrès, un intermédiaire qui manquait entre CDD et CDI, qui permet au jeune de parfaire sa formation dans une entreprise pour lui permettre d’accéder au CDI. Une fois formé, il constitue pour l’entreprise une valeur que l’employeur souhaitera garder s’il est capable. Refuser le CPE n’est-il pas refuser de faire ses preuves ? (à moins que ce ne soit tout simplement refuser pour refuser). Alors oui, le CPE est un contrat pour les entreprises mais c’est aussi un contrat pour les jeunes qui veulent travailler.

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Laurent

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