Le crime impuni de la complexité

Si chacun d'entre nous est confronté à une société de plus en plus complexe, des règles et des normes de plus en plus lourdes, les évolutions récentes de notre pays (via l'admninistration numérique) empêchent un nombre croissant d'habitants de devenir autonomes, libres et capables de s'assumer.
Une illustration : la loi Alur, votée il y a 2 ans, qui plonge les nouveaux locataires comme les professionnels de l'immobilier, dans l'inconnu, la complexité inutile et la perplexité (plus on doute moins on change ou on entreprend en France comme ailleurs).
Dans les échos du 21 avril un journaliste spécialiste de l’immobilier, créateur du site « le bon bail », nous livre sa lecture (angoissante) de la loi ALUR et de ses conséquences sur le logement (ne parlons pas de l'arrêt de la construction pendant 2 ans alors qu'on prétendait vouloir plus construire !).
Le rédacteur nous explique donc en quoi les nouveaux locataires, comme les propriétaires (privés comme institutionnels), sont désormais soumis à une règlementation à la fois complexe, incohérente et sans doute anxiogène (on n’est jamais sûr de la bonne rédaction des documents tant les interprétations sont diverses).
Cette complexité concerne annuellement 1,8 million signatures de baux en France
Extraits :
- Deux ans et demi après la publication de la loi tous les décrets ne sont pas parus
- Les décrets paraissent au compte gouttes mois après mois
- Il n’y a pas de bail type mais une litanie de mentions obligatoires (mais différentes selon la région, l’exposition aux risques, des exceptions, des zones particulières…)
« Le rédacteur d’un bail doit effectuer un certain nombre de vérifications et contrôles préliminaires, dont dépendront ses obligations, les mentions obligatoires du bail et les documents à annexer :
• Le bien est-il situé dans une zone sismique, couverte par un plan de prévention des risques technologiques ou des risques naturels prévisibles ?
• Le bien est-il situé dans une zone tendue (encadrement des loyers) ?
• L'arrêté préfectoral d’encadrement des loyers a-t-il été publié dans votre département ?
• Quel est le plafond des honoraires (hors état des lieux) de la zone dans laquelle se situe le bien ? Chaque réponse conditionnera une mention, une autre question, une annexe ou une obligation. »
Du coup le rédacteur de l’article propose de modéliser la rédaction du bail à travers des algorithmes puissants. Exit les questions linéaires et innombrables : chaque rédaction s’effectuant à partir d’un formulaire dynamique qui suit un cheminement unique et personnalisé : plus rapide, plus simple et plus efficace.
Le big data et la saisie assistée pour tous les actes de la vie quotidienne guettent le citoyen.
Pourquoi l’Etat nous impose-t-il cette complexité croissante ?
Il y a au moins six raisons pour expliquer ces complexités administratives (mais pas les justifier)
- Le souhait du pouvoir exécutif de légiférer dans tous les domaines, dès que la moindre affaire passe dans les médias selon l’adage suivant : « un problème=une loi »
- La volonté de marquer son passage aux affaires pour chaque nouveau ministre qui donnera son nom à une loi et aura l’impression de gagner un peu de postérité (on parle toujours des lois Delors, Aubry ou de Robien)
- L’incapacité d’arrêter une machinerie folle qui s’est emballée depuis la montée en puissance et les facilités de la bureautique (les copier-coller permettent de produire des quantités énormes de textes que personne ne relit ni souvent ne comprend réellement)
- Le manque de courage (et d’intelligence sociale) des pouvoirs publics qui préfèrent ajouter des textes nouveaux aux textes anciens plutôt que de faire un ménage impitoyable et régulier
- L’existence et la justification des rémunérations d’un grand nombre de personnes qui constituent l’écosystème législatif et administratif français (députés, huissiers, chargés de missions, consultants, cabinets de conseils, journalistes spécialisés, avocats, organismes de formation…)
- Et enfin la nécessité plus largement de procurer du travail (une occupation) à ces centaines de milliers de diplômés que la machine éducative produit chaque année et qui sans cette complexité trouveraient difficilement du travail (au regard de leurs qualifications, supposées étendues)
Quelles sont les conséquences de la complexité en France ?
- L’exclusion et la marginalisation d’un nombre croissant d’habitants du pays. Devant recourir sans cesse aux services de l’Etat, ceux-ci les maintiennent dans un état de dépendance non seulement financière (les aides et assistance empêchent nombre de personne de s’autonomiser) mais aussi cognitive (l'assistante sociale qui passe son temps à remplir des formulaires sans écouter ni accompagner tous ceux qui sont perdus)
- Le creusement des inégalités entre ceux qui savent (ou peuvent se faire aider) et ceux qui subissent les règlementations
- La perte de repères d’une population entière qui passe une partie non négligeable de son temps à remplir des formulaires ou attendre qu'un automate les renseigne au téléphone ou sur Internet
- Le vote protestataire pour tenter de casser un système dont on se sent définitivement exclu ("plus rien à perdre")
- La désespérance sociale enfin quand on a l’impression de devenir étranger dans son propre pays, de ne plus comprendre les changements de la société, l’intérêt des lois, le bien et le sens commun.
La complexité est bien un crime contre la pauvreté, elle l’a crée, elle l’entretient et elle rend le vivre ensemble de plus en plus problématique.
La prochaine fois que vous remplirez un formulaire en ligne ou sur papier (mais le papier ne servira plus très bientôt) demandez vous si toutes les cases à remplir et informations demandées sont bien nécessaire ? Les Français ont-ils vocation à subir des milliers de lois et règlements nouveaux chaque année ou bien ce phénomène ne peut-il être stoppé et limité à l'avenir ?
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