Le culte de la médiocrité
Depuis quelques jours, j'entends parler d'une "guerre" de l'accent circonflexe, le concept me semblant en lui-même plus que particulier et étant de nature curieux, je décide finalement de m'intéresser à la question.
Lorsque l'on y regarde de plus près, c'est à dire une fois dépassé les professionnels du "tout-fout-le-camp" et ceux du "c'est-le-progrès-ma-bonne-dame", on s'aperçoit qu'en elle-même, sur le fond, cette réforme n'a rien de choquante. L'idée de réformer des particularismes qui n'ont aucunes justifications comme l'accent circonflexe dans "entraîner" ou le trait d'union dans "extra-terrestre" n'a rien de choquante et relève même selon moi d'une simplification nécessaire comme il y en a déjà eu par le passé dans notre chère langue de Molière. La richesse de l'orthographe n'a de raison d'exister que lorsque sa diversité est porteuse de sens. C'est la raison pour laquelle je considère qu'écrire désormais "nénufar" au lieu de "nénuphar" (même si pour l'insant cela me fait très mal aux yeux) n'est pas une mauvaise chose.
Par ailleurs, à titre de comparaison, la langue allemande, connue pour sa complexité se passe très bien des"-" dans ses mots composés de manière générale et en a, à l'inverse permis l'utilisation lorsque cela facilite la prononciation par une réforme de 1996, laquelle a par ailleurs facilité les règles en matière de "ß".
Dans un souci de cohérence de la langue, cette réforme me paraît donc parfaitement normale, après tout, plus personne aujourd'hui ne parle du peuple "françois", cela appartient à l'histoire, et lorsque l'on lit un texte utilisant ce mot on peut le dater, de même fidèle à mon époque et à l'enseignement que j'ai reçu, je continuerai à employer des "^" et des "-" même si cela devient désuet.
Non, ce qui me gêne profondément dans cette réforme est l'une des justifications qui lui a été donnée, ce que des linguistes ont appelés en 1990 "le défi pédagogique". Pour eux, outre l'inutilité de certains particularismes ortographiques, il faut réformer la langue pour qu'elle soit plus simple à apprendre dans la lubie de "conduire 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat", "au cours d'études raisonnables", lesquelles ne pourraient pas se permettre de "consacrer beaucoup de temps aux détails sans importance, et à des listes d'exceptions".
A travers cette justification, transparaît toute la bêtise de l'égalitarisme consistant non pas à donner les mêmes droits à tous, ni à compenser les écarts sociaux-économiques innés pour donner une effectivité à l'égalité de droit mais à vouloir considérer que les êtres humains sont tous fondamentalement égaux à tout point de vue.
Dans cette logique, tous les élèves sont donc capables d'avoir le baccalauréat, le problème est que le fantasme s'est vite fracassé sur la réalité avec le constat que tous les élèves ne sont pas égaux face à l'enseignement scolaire. Dans ce cas, deux possibilités pour aboutir aux fameux "80%", soit investir des moyens considérables pour donner à chaque élève de façon individualisée les moyens de réussir le baccalauréat, soit en baisser les exigences.
Evidemment face aux difficultés financières de notre pays, le choix s'est vite orienté vers la 2ème solution avec ce que beaucoup appellent le nivellement par le fond.
L'idée est simple, 80% des élèves ne peuvent pas, "au cours d'études raisonnables" (comprendre sans trop se fouler) maîtriser les subtilités de la langue française, les "détails sans importance" et les "listes d'exceptions". Plutôt que de chercher à hisser les moins doués au niveau des plus forts, on va donc permettre aux plus doués de se contenter du niveau des moins forts.
Une politique des plus dramatiques qui sous des airs de vouloir démocratiser l'excellence a en fait eu pour objet de poser la médiocrité en norme. Politique dont on constate aujourd'hui tous les effets pervers :
- la dévalorisation totale du baccalauréat qui aujourd'hui n'a plus aucun intérêt hormis celui d'ouvrir les portes de l'enseignement supérieur
- le taux d'échec dramatique dans l'enseignement supérieur avec des élèves absolument pas préparés pour des études exigentes ou n'en ayant tout simplement pas les capacités
- le taux de chômage qui s'explique en partie aussi par cette politique, lorsque l'on regarde aujourd'hui les offres d'emploi, pour la plupart il ne s'agit pas de postes à Bac +5 mais d'emplois manuels, le problème est que ce type de travail a été sans cesse méprisé et décrié par les tenant du "80%" de telle sorte que ceux qui auraient pu pourvoir ce type d'emplois font des études supérieurs, parce que apparemment "y-a-que-ça-de-vrai", et finiront au chômage car il n'y a aucun débouché dans leur filière d'étude ou que tout simplement celle-ci ne mène nulle part (car oui ça existe)
En conclusion je dirai donc ici que si le moyen en lui-même mérite d'être approuvé, c'est la fin qui est hautement contestable, pendant que beaucoup s'écharpent sur la question de savoir si l'ortographe du nénuphar a été abîmée, ils feraient mieux de s'interroger sur la clarté de l'eau sur laquelle il repose.
Mes sources :
http://www.cslf.gouv.qc.ca/publications/pubf214/f214.pdf
http://www.europe1.fr/economie/reforme-de-lorthographe-la-guerre-du-circonflexe-est-relancee-2662755
http://www.europe1.fr/societe/reforme-de-lorthographe-on-met-les-points-sur-les-i-2663053
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9forme_de_l%27orthographe_allemande_de_1996
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