Le déclin de l’Occident, une idée neuve, dérangeante et belle
Depuis 30 ans, la notion de crise est mise à toutes les sauces pour tenter des explications toujours insatisfaisantes à ce qui nous arrive. Depuis peu, nous avons appris à la décliner au pluriel, les crises pouvant être sociétales, écologiques, et non uniquement économiques.
Si on a atteint les limites dans l’emploi du mot crise, c’est sans doute que le mot ne suffit plus. Ne faut-il pas alors passer un cran au-dessus et employer maintenant le mot, certes douloureux, de déclin ?
Le déclin de l’Occident, cela sonne comme le déclin de l’Empire Romain, cela nous renvoie à notre condition d’empire, dans le sens de l’emprise sur le monde que nous avons eu, empire déclinant, souvenir d’un temps où la domination était l’essence même de notre puissance.
Ce mot total a un autre avantage : en englobant ce que nous vivons au quotidien, par petite touche (une usine qui ferme, une existence brisée par le chômage, ...) dans un état général du monde, il permet de nous détacher de nos peurs, de nos échecs pour les ramener à l’état de conséquences d’une vague de fond qui nous échappe et nous submerge.
Le lecteur irrité, à ce stade de l’article, sera tenté sans doute d’arrêter là : qu’est ce que ces propos qui valorisent l’idée de déclin ? Et puis, cette idée est trop dure à entendre et à accepter. Nous allons sortir de cette nouvelle crise, voilà tout !
J’ai déjà beaucoup écris sur l’idée de crise, persuadé que nos intellectuels ne font souvent pas assez l’effort d’en discuter la portée et le contenu pour pouvoir la comprendre. J’emprunterais ici à ma culture historique pour dire simplement qu’une crise qui dure depuis 35 ans, (même avec des rémissions) n’est plus une crise, c’est autre chose. Ce n’est plus un événement, c’est une période, une séquence longue.
Quand Emmanuel Todd, il y a une demi-douzaine d’années, avait annoncé le déclin de l’Amérique au motif de sa perte d’emplois industriels, les grands esprits du temps avaient gaussés sur son raisonnement. Les même continuent de se gausser, mais il avait raison.
Ce que nous vivons n’est pas une crise cyclique de plus mais un mouvement global dû à la conjonction de deux phénomènes :
-la société de consommation de masse, que nous avons inventé dans la période des trente glorieuses, nécessite des ressources naturelles importantes. Ces ressources deviennent de plus en plus rares et chères. Ne les ayant rarement chez nous, leur importation nous coûtent de plus en plus comme le montre notre balance des paiements régulièrement déficitaire depuis une décennie. Il n’y a aucune raison que ce phénomène cesse. Bien au contraire, la montée en puissance des pays émergents ne peut qu’accroître cette concurrence. Notre balance des paiement va continuer à être déficitaire, nos pays vont continuer à s’appauvrir.
-la globalisation économique a entraîné, pour la production industrielle, un partage du travail progressif entre les pays du monde. Mais ce partage n’est pas égalitaire. Si nous conservons, pour l’instant, des secteurs clés comme celui de l’aéronautique, des pans entiers basculent vers des pays émergents, qui se développent. Du coup, la production industrielle décline au point de craindre sa disparition, le transfert définitive de brevets et de compétences vers ces pays du Sud. Les dégâts humains sont considérables.
Le schéma espéré du partage du travail : à nous les services, à eux, la production industrielle est en train de devenir caduque. Ces pays ont maintenant de l’argent, davantage que nous, et développent leurs services (particulièrement financiers). Le partage égalitaire devient une illusion : les gagnants sont au Sud et les perdants au Nord. Cette analyse, que je développe ici, n’est pas partagée et reste minoritaire d’une part parce que le phénomène est trop récent pour être toujours compris, d’autre part, parce que les multinationales (le CAC40 en France), engagées dans la globalisation, y sont largement gagnantes. Par leurs relais dans les médias, elles ont un poids dans l’opinion qui minimise la gravité du phénomène. La désindustrialisation est un phénomène destructeur du point de vue social et humain qui détériore définitivement le potentiel économique des Nations du Nord.
Mais revenons à mon propos, je défend la position suivante : notre déclin est une belle idée qu’il faut défendre et diffuser. Pourquoi ?
D’abord, il faut dire que, ce qui est une mauvaise nouvelle pour nous, devient une bonne nouvelle pour les autres. Tous ceux qui, depuis les années soixante, défendent le tiers-mondisme et le développement du Sud ne peuvent que se réjouir de ce qui se passe pour les habitants de ces pays.
Ensuite, parce que, si notre paresse intellectuelle accepte l’idée qu’il s’agit d’une crise cyclique de plus, alors il suffit d’attendre que le balancier du temps repasse de l’autre côté pour que nous vivions, de nouveau, une période faste. Ce raisonnement fait de nous des fatalistes, emprisonnés devant des phénomènes qui nous dépassent, assujettis à des lois "naturelles" sur lesquelles nous n’avons pas de prises. Accepter, au contraire l’idée de déclin, suppose de comprendre le mouvement global qui nous atteint, réclame la recherche de sa compréhension, préalable à la découverte de solutions réelles à nos problèmes.
Enfin, si nous acceptons l’idée de déclin, nous pouvons passer à autre chose et chercher des solutions concrètes et globales à nos problèmes. Nous sortons d’une culture défensive qui à gauche, fait s’arc-e-bouter chacun autour de l’idée de défense des acquis. Nous sortons d’une culture offensive de la droite qui pense que nous allons retrouver une croissance miroir aux alouettes en "cassant les cloisons" de notre contrat social de 1945.
Ces solutions globales et concrètes se trouveront du côté du développement durable. Pourquoi ? Parce que l’usage modéré des ressources, le recyclage des matériaux vont permettre de sortir de l’appauvrissement par l’utilisation limitée des ressources. Parce que la durabilité peut offrir des opportunités de recentrage locales des activités économiques, ce qui limitera les effets pervers de la globalisation (sans pour autant en sortir).
Pour conclure, je voudrais revenir au déclin de l’Empire romain, référence historique ultime. Les historiens sérieux savent que, contrairement à ce que nous croyons souvent, il ne s’agit pas de deux ou trois siècles de malheurs, mais de profondes mutations des sociétés du pourtour méditerranéen, avec de nombreux aspects positifs. L’usage du mot déclin est d’ailleurs souvent réfuté au profit de celui de Bas-Empire. Sachons nous en souvenir pour faire ce que nous avons à faire : faire évoluer positivement nos sociétés !
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