Le déclin de la maison Macron
Tous les baromètres mensuels le confirment : Jupiter est en perte de vitesse. Sur la moyenne des différents indices de satisfaction, le recul, à la mi-février, était de 5.06 % par rapport au mois de janvier, à 41.8 %, proche de l’étiage d’octobre dernier (41.29 %). Et la courbe ne semble pas près de se redresser. Au contraire.
Dans le Journal du dimanche du 16 décembre 2017, Hervé Gattegno écrit : « La relation d’Emmanuel Macron avec les Français est décidément atypique. Après avoir dévissé durant l’été (-24 points entre juin et août), le président de la République accomplit une remontée d’un genre inédit. Il regagne 6 points par rapport à novembre dans notre baromètre Ifop.JDD, pour se situer à 52% de satisfaits – soit une hausse de 10 points en deux mois. »
Si la relation est atypique, c’est que le personnage l’est aussi, de sa « carrière » politique à sa façon autocratique de gouverner – avec un premier ministre réduit au rôle de chef du cabinet présidentiel -, en passant par sa vie privée. Et il en résulte, pour les Français, une perplexité que nous avons choisi d’illustrer au travers du baromètre mensuel IFOP/JDD. Il inclut des commentaires représentatifs de l’opinion des sondés, où dominent bien souvent le ressenti, les impressions, nés de la mise en scène du président de la République par lui-même, avec la complicité active des médias.
A première vue, Macron semble se porter mieux que ses prédécesseurs puisqu’il a enregistré quatre sondages positifs sur neuf (juin 17-février 18), contre deux pour Sarkozy (juin 2007-février 2008) et un seul (+ 1 %, en janvier 2013) pour Hollande (juin 2012-février 2013). C’est trompeur, les sondés ont d’abord longtemps cherché à comprendre qui était vraiment ce président de la République et ce qu’il leur réservait.
En décembre Frédéric Dabi, directeur général-adjoint de l'Institut français d’Opinion publique (IFOP), parlait encore d’un « regard bienveillant » des Français. Un mois plus tard, ce n’était plus le cas. Les prochains baromètres nous diront si le basculement de janvier 2017 inaugurait une tendance durable fondée, elle, sur les conséquences du macronisme « en marche ».
Il reste maintenant à voir comment on en est arrivé là (les dates sont celles de l’édition du Journal du dimanche dans laquelle figurait le baromètre).
21 mai 2017 – Une attente bienveillante
Quinze jours après le deuxième tour de la présidentielle « Les Français expriment envers le chef de l'Etat une attente bienveillante », note, déjà, Frédéric Dabi.
Hervé Gattegno du JDD ajoute : « Les propos tenus par les sondés en marge de l'enquête confortent l'impression d'indulgence vis-à-vis du nouveau pouvoir. Le « renouveau », la « jeunesse », la « modernité » du chef de l'Etat sont souvent mis en avant, mais aussi sa « prestance » et son « autorité ». « Il secoue le cocotier », entend-on, ou encore : « Il nous débarrasse des has been » et « Donnons-lui sa chance ». (…) « Il met les meilleurs aux meilleures places sans distinction d'appartenance politique » relève un sondé.
25 juin 2017 – Presque un état de grâce
« Si ce n'est pas un état de grâce, cela commence à y ressembler fortement. Après six semaines d'exercice du pouvoir, le couple exécutif culmine à des sommets de popularité. Emmanuel Macron et Edouard Philippe recueillent l'un et l'autre 64% d'opinions favorables… »
« Le chef de l'État est apprécié pour sa capacité à incarner la fonction présidentielle et sa volonté de renouveler les pratiques politiques – « Avec lui, au moins, je suis fier », confie un sondé à l'Ifop. « Après l'attente bienveillante des débuts, Emmanuel Macron semble bénéficier d'une confiance prudente », observe Frédéric Dabi, qui signale cependant que "la satisfaction porte sur des impressions, le mécontentement sur des mesures précises" (la hausse de la CSG et les "affaires" sont épisodiquement cités). »
23 juillet 2017 – Lourde chute
« Le chef de l’Etat perd dix points en un mois (…) La satisfaction des Français envers son action s’établit désormais à 54%. » « Pour Emmanuel Macron, l’entrée dans l’atmosphère est brutale, constate Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Ifop. Il subit le contrecoup de griefs divers, provenant de secteurs différents de la société. »
« …si la crise de cette semaine autour du budget des armées semble avoir contribué à la disgrâce, d’autres causes sont invoquées par les sondés et transparaissent dans les chiffres : la hausse de la CSG qui inquiète les retraités (-11 points chez les plus de 65 ans, -14 chez les 50-64 ans), la future réforme du droit du travail et le rétablissement du jour de carence pour les agents publics qui déplaisent à l'électorat de gauche et aux fonctionnaires.
« Plusieurs de ces mesures ont en outre alimenté la crainte que les promesses du candidat Macron ne seraient pas tenues. "Certains sondés critiquent à voix haute une présidence fondée sur la com’", signale Jérôme Fourquet. D’autres reprochent au Président son "autoritarisme" face au général de Villiers, même si une part non négligeable continue de souligner la stature du chef de l’Etat et le rythme de son action, en soulignant le contraste avec son prédécesseur. »
27 août 2017 – L’effondrement
« Quatre mois après son élection triomphale, Emmanuel Macron, est désormais un président minoritaire. Selon notre baromètre Ifop-JDD, le chef de l’Etat perd 14 points en un mois : seuls 40% des Français se déclarent satisfaits de son action, et 57% se déclarent mécontents (dont 20% "très mécontents"). Cette chute très abrupte prolonge celle du mois dernier pour aboutir à un effondrement de 24 points sans précédent : Jacques Chirac avait cédé 20 points entre mai et août 1995.
« Le plus préoccupant pour Macron est qu'une grille de lecture tend à s'installer, qui fait apparaître sa politique comme favorisant l'injustice », souligne Frédéric Dabi. Des témoignages recueillis en marge de l'enquête par l'Ifop, il ressort que les sujets de mécontentement sont divers : si le chef de l'État recule autant à gauche qu'à droite (– 14 points au PS, – 15 chez LR), c'est pour des motifs différents (sa ligne sur les migrants à droite, ses mesures sociales à gauche). Les sondés expriment aussi leur incompréhension, leur impatience (« il ne fait pas grand-chose ») ou leur inquiétude (« quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup », émet l'un d'eux, citant Martine Aubry à propos de François Hollande).
24 septembre 2017 - Rebond sur fond d’autorité
« Après avoir perdu 24 points en deux mois, Emmanuel Macron se reprend un peu. 45% des Français (+ 5) sont satisfaits de son action (53% mécontents, - 4). »
« Les explications des personnes interrogées recueillies par l'Ifop en marge de l'étude expliquent cependant le redressement de la cote présidentielle par sa fermeté face aux oppositions à la réforme du travail – signe que les réticences des syndicats, de la gauche et de Jean-Luc Mélenchon ne se sont pas imposées dans l'opinion. « Enfin un président qui tient ses promesses », dit un sondé. « Lui au moins ne cède pas face à la rue », approuve un autre. « Il fait ce qu'il a dit et il le fait vite », admire même un sympathisant LR. »
22 octobre 2017 – Un pas en arrière…
« Après la remontée de septembre, la cote d’Emmanuel Macron se tasse en octobre, à 42% de satisfaits (–3), ce qui le situe au même niveau que François Hollande à la même date de 2012. Emmanuel Macron perd du terrain parmi les retraités (44 %, –4), les cadres supérieurs (52 %, –4) et les agents publics – ceux qui peuvent se sentir visés par sa politique fiscale.
19 novembre 2017 …un pas en avant
« La cote de popularité d’Emmanuel Macron, dans notre baromètre IFOP du mois de novembre, grimpe de 4 points par rapport au mois précédent : 46% des sondés se déclarent satisfaits de son action. Le début de ce quinquennat n’obéit pas aux cycles d’opinion observés lors des deux derniers quinquennats, observe Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP. Avant, lorsqu’on baissait fortement, on ne s’en remettait pas. »
17 décembre 2017 – Retour en grâce
« Emmanuel Macron repasse au-dessus de la barre des 50% de popularité. »
« La relation d’Emmanuel Macron avec les Français est décidément atypique. Après avoir dévissé durant l’été (-24 points entre juin et août), le président de la République accomplit une remontée d’un genre inédit (…) « Aucun de ses prédécesseurs n’était parvenu à sortir des abîmes de l’impopularité », rappelle Frédéric Dabi.
« Les Français portent sur lui un regard bienveillant », enchaîne Dabi sur la base des propos tenus par les personnes interrogées en marge des questionnaires. Les observations du type : « Il a pris de l’épaisseur », « il fait ce qu’il dit », « il tient son rang » sont nombreuses, peut-être stimulées par la séquence des funérailles en grande pompe de Jean d’Ormesson et de Johnny Hallyday. Surtout, nombre de sondés sont prêts à lui donner du temps, là où ses prédécesseurs se heurtaient à l’impatience. « Je ne suis pas totalement satisfaite, dit une électrice du PS, mais on verra sur le long terme. »
21 janvier 2018 – Nouveau recul
« Une légère rechute. Après avoir gagné 6 points de novembre à décembre, Emmanuel Macron en reperd 2. Il régresse notamment de 10 points chez les sympathisants LR
« Les autres catégories dans lesquelles Emmanuel recule le plus : les 25-34 ans (+ 6 % de mécontents) et les 50-64 ans (+ 5 %). Sa chute dans ces catégories, c'est la carte du regard des Français sur la question du pouvoir d'achat, qui se demandent en quoi les transformations macroniennes impactent leur niveau de vie », décrypte Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop.
Pour l’anecdote, on notera que l’évanescent premier ministre, Edouard Philippe, passe pour la première fois depuis juin 2017, derrière son président avec 49 % de satisfaits contre 50 %. L’ordre s’inversera de nouveau le mois suivant, ce qui va contre l’idée, formulée par David Revault d’Allonnes du JDD, selon laquelle « le premier ministre, de plus en plus visible et à la manœuvre, joue maintenant pleinement le rôle de fusible du président. »
25 février 2018 – Premiers véritables doutes
« Selon notre baromètre mensuel, Emmanuel Macron subit une chute lourde dans ce sondage, perdant 6 points de popularité en un mois. 44% des personnes interrogées se disent satisfaites de son action.
« L'enjeu du pouvoir d'achat gagne en intensité, analyse Frédéric Dabi. Il y a un effet déceptif de la politique menée, avec un décalage entre le discours de Macron et la promesse d'augmenter le pouvoir d'achat, d'une part, et les effets réels de sa politique, d'autre part. Par ailleurs, on perçoit des premières critiques sur le réel changement du pays. Comme si apparaissaient, dans une opinion jusqu'ici bienveillante, les premiers ferments d'un véritable doute. »
D’autres sondages ont, dans l’intervalle, confirmé le déclin du locataire de l’Elysée, et ce n’est pas prendre ses désirs pour des réalités d’observer que les perspectives ne sont pas des plus favorables. Dans son numéro du 8 février, Valeurs actuelles publiait un article intitulé Les cinq piliers de la colère, à savoir :
— Les policiers et les pompiers abandonnés,
— Les agriculteurs étranglés
— Les gardiens de prison agressés
— Les familles modestes asphyxiées
— Les automobilistes rackettés
Au-delà, il y a les hausses, acquises ou programmées, qui affectent tout le monde, directement ou indirectement, le gaz, l’électricité, le carburant, le fioul domestique, le forfait hospitalier, le timbre « rouge », les péages autoroutiers, le contrôle technique des véhicules, les frais bancaires, le tabac…
Jacques Myard, ancien députés des Yvelines, maire LR de Maisons-Laffite, vient de publier Marabout à l’Elysée suivi de Prescriptions pour le désenvoûtement (L’Harmattan, 2018), mais plus modestement, le 22 février, il commettait un Billet d’humeur, Les malheurs de Sisyphe, publié sur le blog de Lucienne Magalie Pons. L’énumération qui lui est dictée par la frénésie réformiste de Macron est à la fois impressionnante et déconcertante :
« En quelques mois, Macron a ouvert de multiples dossiers sans en refermer ni résoudre aucun :
- Les projets sur l'immigration et l'asile politique qui divise sa propre majorité
- Le projet de réforme constitutionnelle dont l'utilité crée polémique
- La réforme du service national, dont on ignore le caractère obligatoire ou non, la durée, le coût ; à l'évidence, aucune étude approfondie n'a été au préalable effectuée.
- La réforme de la carte judiciaire qui provoque l'ire des magistrats et des avocats
- La réforme de la fonction publique avec l'annonce de départs volontaires sans avoir établi au préalable une stratégie des missions de l'Etat
- L'annonce, tonitruante, de la réforme de la SNCF, un dossier explosif
- La réforme du bac qui semble être acceptée jusqu’à l'irruption des manifestations
- La reculade sur l’aéroport Notre-Dame–des-Landes face aux Zadistes qui font un bras d'honneur à l'Etat en refusant de partir
En matière fiscale :
- Le pouvoir d'achat des Français en berne avec plus de 4 milliards d'€ de hausse d’impôts ; l'écart se creuse entre les plus riches et les classes moyennes
- La suppression de la taxe d'habitation sans avoir le début du financement pour le dégrèvement des communes : un coût d'une dizaine de milliards d'€
- La suppression de l'APL, l'augmentation de la TVA pour les sociétés d'économie mixte qui construisent des logements sociaux : un coup sévère au logement social
Et de conclure : « Certains seraient tentés de louer un tel activisme, y voyant la marque de faire bouger les choses et de réformer en profondeur.
« En réalité, comme l'a souligné un jour devant les députés du groupe Les Républicains un certain Bruno Le Maire, il est impossible de tout mener à bien avec une multitude de projets lancés tous azimuts.
« L'asphyxie guette le gouvernement et Macron Jupiter qui n'ont ni les moyens financiers ni la capacité à mener de front tous ces chantiers, surtout en pratiquant la concentration des pouvoirs. »
« Il se comporte comme un roi »
Un constat qui nous a remis en mémoire un commentaire de Jean-Luc Parodi, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques, publié en marge d’un autre baromètre de l’IFOP, sous l’intertitre Critiques des sondés :
« …c'est d'abord son exercice de la présidence qui est mis en cause : dénonciation du « pouvoir personnel » (« Il se comporte comme un roi » ; « C'est un monarque »), pouvoir personnel d'autant plus insupportable qu'il n'apparaît « plus réfléchi » (« Il va trop vite » ; « Il est très impulsif ; il n'a pas assez de contrôle de soi ») et souvent excessif (« J'ai l'impression qu'il se mêle de beaucoup de choses qui ne le regardent pas. ») Son action semble souvent incompréhensible : (« C'est une action au coup par coup » ; « C'est un peu désordonné, il commence plusieurs choses sans en finir une, ce n'est pas facile à suivre. »).
C’était en 2008, et il était question de Nicolas Sarkozy !! Lors d’un prochain baromètre, l’IFOP pourrait bien n’avoir à faire qu’un copié-collé pour restituer un projet craché de l’actuel président de la République.
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