Le destin brisé d’Anouar el-Sadate : du prix Nobel de la paix à l’assassinat
Anouar el-Sadate, président de l'Égypte de 1970 à 1981, est une figure emblématique de l'histoire moderne du Moyen-Orient. Son ascension au pouvoir et son assassinat tragique ont marqué des tournants décisifs dans la politique égyptienne et régionale. En tant que successeur de Gamal Abdel Nasser, il a hérité d'un pays en pleine mutation, confronté à des défis internes et externes. Son parcours, marqué par des réformes audacieuses et des choix controversés, a façonné le destin de l'Égypte et a eu des répercussions durables sur la paix au Moyen-Orient.
De la révolution de 1952 à la présidence : le parcours d'Anouar el-Sadate
Né le 25 décembre 1918 à Mit Abu al-Kum, dans une famille modeste, Anouar el-Sadate a grandi dans une Égypte profondément marquée par le colonialisme et les aspirations nationalistes. Après des études modestes, il intègre l'armée égyptienne et se distingue pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment lors de la campagne d'Afrique du Nord. Convaincu de la nécessité d'un changement radical, il rejoint le mouvement des officiers libres, un groupe d'officiers républicains qui aspirent à mettre fin à la monarchie et à moderniser le pays. Le succès du coup d'État de 1952 le propulse sur le devant de la scène politique. Sous le régime de Gamal Abdel Nasser, il occupe plusieurs postes clés, notamment ceux de ministre des Travaux publics et de vice-président. Bien qu'il soit un fidèle soutien de Nasser, il n'hésite pas à exprimer ses propres opinions et à défendre certaines positions plus libérales. À la mort de Nasser en 1970, il accède à la présidence et entame un nouveau chapitre de l'histoire égyptienne.
Dès son accession au pouvoir, Sadate opère une rupture nette avec la politique de son prédécesseur, Gamal Abdel Nasser. Il met fin au socialisme arabe et à la politique d'autarcie pour adopter un modèle économique plus libéral. L'Infitah, politique d'ouverture économique, vise à attirer les investissements étrangers et à moderniser l'industrie. Si cette politique stimule la croissance, elle engendre également des déséquilibres sociaux importants. Sur le plan politique, Sadate tente de démocratiser le régime tout en maintenant un contrôle étroit sur l'appareil d'État. Sur la scène internationale, il marque une rupture radicale en initiant un rapprochement avec les États-Unis et en cherchant à résoudre le conflit israélo-arabe par la négociation.
De la guerre à la paix : Sadate et le renouveau de l'Égypte
L'un des moments les plus marquants du mandat d'Anouar el-Sadate est la guerre du Kippour en 1973. Cette offensive surprise, lancée conjointement avec la Syrie, vise à reprendre le Sinaï, occupé par Israël depuis la guerre des Six Jours. Bien que repoussée sur le plan militaire, l'armée égyptienne parvient à infliger de lourdes pertes à Israël et à entamer sa réputation d'invincibilité. Ce conflit, loin d'être une victoire militaire, permet à l'Égypte de regagner une certaine fierté nationale et de renforcer sa position de leader du monde arabe. Fort de ce regain de confiance, Sadate propose en 1974 un plan de paix visant à récupérer les territoires occupés et à établir une paix juste et durable au Moyen-Orient. Cette initiative marque un tournant dans la politique égyptienne et ouvre la voie aux négociations directes avec Israël.
Anouar el-Sadate comprend que la voie militaire ne permettra pas de résoudre le conflit israélo-arabe. Il opte alors pour une approche diplomatique inédite en se rendant à Jérusalem en 1977. Cette visite historique ouvre la voie aux accords de Camp David, signés l'année suivante. Ces accords, fruit de longues négociations, marquent un tournant majeur dans l'histoire du Moyen-Orient en mettant fin à l'état de guerre entre l'Égypte et Israël. Récompensés par le prix Nobel de la paix, le 27 octobre 1978, Anouar el-Sadate et Menahem Begin, premier Ministre israélien, incarnent ainsi l'espoir d'une paix durable dans la région. Cependant, les accords de Camp David ne résolvent pas tous les problèmes et suscitent de nombreuses critiques, notamment en raison de la question palestinienne qui reste en suspens.
Un tournant sombre : l'Égypte après l'assassinat de Sadate
Malgré ses efforts pour moderniser l'Égypte et établir la paix au Moyen-Orient, le régime de Sadate est de plus en plus contesté. Les réformes économiques libérales, bien que visant à stimuler l'économie, exacerbent les inégalités sociales et provoquent un mécontentement croissant au sein de la population. Parallèlement, la répression des mouvements d'opposition, notamment islamistes, alimente un sentiment d'injustice et de frustration. Ce climat de tension atteint son paroxysme le 6 octobre 1981, lorsque Sadate est assassiné lors d'un défilé militaire par un commando islamiste appartenant à la Jama'a Islamiyya. Cet attentat, motivé par le rejet de la politique de paix avec Israël et de la répression des islamistes, marque un tournant tragique dans l'histoire contemporaine de l'Égypte.
Cet événement tragique met fin à une expérience politique unique et ouvre la voie à une période d'incertitude. Son successeur, Hosni Moubarak, hérite d'un pays profondément divisé, où les tensions entre islamistes et laïcs, exacerbées par les accords de Camp David, persistent. Bien que Moubarak parvienne à maintenir un équilibre fragile, l'héritage de Sadate continue de hanter la politique égyptienne. La question de la paix avec Israël, de la modernisation du pays et du rôle de l'islam dans la société restent au cœur des débats. L'assassinat d'Anouar el-Sadate souligne la fragilité du processus de paix au Moyen-Orient et révèle les défis auxquels sont confrontées les sociétés arabes en transition.
"Dans le pouvoir de se changer soi-même existe le pouvoir de changer le monde autour de vous."
Anouar el-Sadate
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